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« La recherche, une aventure collective »

Au travers d’une série de portraits, SOLEIL part à la rencontre de celles et ceux qui font le synchrotron. Pour ce sixième épisode, Edwige Otero, scientifique sur DEIMOS, l’une des 29 lignes de lumière de SOLEIL, s’est prêtée au jeu.

Très tôt animée par le plaisir de comprendre, Edwige Otero s’est naturellement tournée vers la recherche. Mais c’est aussi l’idée de contribuer à une aventure collective, où l’on partage connaissances et découvertes, qui a guidé son parcours. De la Lorraine au Canada, de la chimie à la physique, son itinéraire reflète une passion constante pour la science et l’échange.

« À dire vrai, je ne me suis pas orientée dans la recherche, j’ai suivi mon intérêt pour les sciences, pas à pas, et ça m’a menée jusque-là.» Lorsqu’on demande à Edwige Otero, scientifique sur la ligne de lumière DEIMOS de SOLEIL, l’origine de sa carrière, sa réponse remonte… à son enfance. Pas de chemin tout tracé, mais une éducation sensible et ouverte, ainsi qu’un « investissement sincère et collectif dans la recherche du savoir ». « J’ai eu la chance de grandir dans une famille où on donnait beaucoup d’importance à la réflexion et à la curiosité, on prenait toujours le temps de répondre à nos questions », explique-t-elle. « S’étonner, s’interroger et essayer de comprendre sont devenus une habitude », poursuit la scientifique. « C’est un sentiment tellement exaltant lorsqu’on parvient à se dire : c’est donc ça ! »

« Je n’avais qu’une envie, c’est d’être plus tard »
Faute d’Internet à cette époque, Edwige Otero apprend à chercher les réponses par tous les moyens : dans les livres, dans les musées, en allant à des expositions, à des portes ouvertes… Son premier professeur de physique-chimie a également joué un rôle déterminant : « Il vous donnait envie de tout comprendre », se rappelle-t-elle. « Ça nous amenait souvent à sortir du programme et quand c’était le cas il nous disait : vous apprendrez ça plus tard. Je n’avais qu’une envie, c’était d’être plus tard. »

Après le baccalauréat, Edwige Otero quitte Commercy, une petite ville de la Meuse pour commencer un DUT de chimie à l’Université de Metz. Elle poursuit par un Bachelor de chimie outre-Manche, à l’Université de Kingston upon Thames, dans le Grand Londres. S'ensuit un Master de chimie avec placement en industrie en Allemagne chez le fabricant automobile Daimler-Chrysler, à Stuttgart, dans un groupe de recherche sur le traitement des gaz de post-combustion. « J’ai commencé à m’intéresser de près à la physique et à la chimie en faisant de la chimie analytique : je voulais en savoir plus sur les principes physiques derrière ces techniques », justifie Edwige Otero. Pour cela, il lui faudra aller plus loin dans ses études que ce qu’elle ne l’avait envisagé.

Des compétences de pointe
En 2002, elle rejoint l’équipe du Dr. Stephen Urquhart à l’Université de la Saskatchewan, au Canada. Elle y effectue une thèse sur l’étude par rayonnement synchrotron de molécules et de polymères organométalliques. « J’ai commencé à m’intéresser à la spectroscopie dans un but applicatif en lien avec la chimie, puis de manière plus fondamentale. »

Edwige Otero intègre ensuite le synchrotron SOLEIL en 2008, dans le cadre d’un post-doctorat sur la ligne DEIMOS. « Ma thèse repose essentiellement sur l’absorption des rayons X de basse énergie, les X-mous comme on les appelle en français, qui sont aussi les rayons les moins pénétrants », explique-t-elle. Ne s’agissant que d’une petite partie des techniques disponibles en synchrotron, la scientifique souhaite profiter de ce post-doctorat pour se perfectionner dans d’autres spectroscopies. Pour elle, le potentiel de ces techniques en chimie est « énorme ». Acquérir des compétences solides dans ce domaine lui serait particulièrement utile. 

À son arrivée à SOLEIL, les lignes de lumière sont encore en construction. « Il y avait une effervescence et une énergie contagieuse autour de cet immense anneau », se rappelle-t-elle. « J’y croisais les femmes et les hommes dont j’avais lu les travaux pendant ma thèse, pour une jeune chercheuse c’était the place to be ! » Quand l’opportunité de devenir scientifique de ligne se présente, Edwige Otero tente sa chance sans hésiter. Les contraintes liées aux horaires de travail, qui demandent une grande disponibilité, ne sont pas nouvelles pour elle et ne l’impressionnent pas – « je m’y étais préparée ». « De plus, j'avais lié des relations professionnelles et humaines très gratifiantes, qui m’ont permis de prendre part à de belles collaborations scientifiques. » Sa candidature est retenue et Edwige Otero devient désormais scientifique sur la ligne de lumière DEIMOS en 2009.

Garantir les meilleures chances de réussite
Ses missions ? « Ma priorité est que notre ligne de lumière soit à son meilleur niveau. Je dois maintenir et améliorer ses performances et anticiper sur les besoins à venir de nos utilisateurs extérieurs », explique-t-elle. La scientifique consacre ainsi une part importante de son activité à concevoir, développer et tester de nouvelles expériences. La ligne de lumière DEIMOS est spécialisée dans l’étude du magnétisme. Edwige Otero et son équipe développent des environnements échantillon extrêmes, à des températures très basses – quelques dixièmes de degrés au-dessus du zéro absolu – ou très hautes, pouvant aller jusqu’à 800°C. Les mesures peuvent être réalisées en solution ou sous stimuli externes. « C’est passionnant, car il nous arrive de réaliser des expériences pour la toute première fois et d'explorer alors la matière sous un nouvel angle ! »

L’essentiel des recherches auxquelles Edwige Otero participe porte sur l’étude de systèmes magnétiques de très faible dimension, tels que des molécules de quelques dizaines d’atomes. « Ces composés sont souvent très sensibles aux rayons X, DEIMOS permet leur étude sans les abîmer ni interférer avec leurs propriétés. », indique-t-elle. « L’objectif principal est de déterminer, si, et comment, ces molécules pourraient permettre de stocker de l’information à une très petite échelle », complète-t-elle.

Edwige en plein transfert d'échantillon sur la ligne de lumière DEIMOS.

« Chaque jour apporte son lot de défis, de discussions inattendues, de nouveaux problèmes, de doutes et de belles réussites. »

Outre leurs missions d’amélioration de la ligne et de recherche, Edwige Otero et ses collègues aident également les futurs utilisatrices et utilisateurs extérieurs à concevoir leurs expériences. « Lorsque ces équipes viennent sur DEIMOS, nous les accueillons et les accompagnons toute la durée du projet, en général une semaine, nuit et jour, pour leur garantir les meilleures chances de réussite. Nous les aidons ensuite à analyser et interpréter les résultats », détaille Edwige Otero. « Il n’y a pas de journée type, ce qui est à la fois passionnant et très déroutant », confie la chercheuse. « Chaque jour apporte son lot de défis, de discussions inattendues, de nouveaux problèmes, de doutes et de belles réussites. La difficulté est de gérer les priorités ! »

Des missions qui s’inscrivent dans la contribution collective au progrès scientifique, chère à Edwige Otero. Car la recherche en synchrotron dans son domaine est souvent très fondamentale, « dans tous les sens du terme ». Pour les travaux qui mèneront à des applications, il faut attendre plusieurs années avant qu’ils ne soient concrétisés. « Quelque part, notre métier est de rendre possible l’accès aux connaissances et aux avancées de demain, ce n’est pas rien ! »

Le respect et la curiosité de l’autre
L’accès aux lignes de lumière de SOLEIL étant très restreint, ce ne sont que quelques dizaines de projets par an – et par ligne – qui sont sélectionnés par un comité d’experts exigeants. « Nous sommes donc amenés à travailler avec des équipes françaises et internationales parmi les plus douées dans leur domaine », indique Edwige Otero. « À SOLEIL, nous avons la chance d’être libres de nous investir ou de développer des collaborations avec ces équipes, qui sont en général demandeuses », poursuit-elle. La scientifique tient aussi à souligner « la qualité et la bienveillance des échanges » avec ces chercheuses et chercheurs. « C’est important de pouvoir évoluer dans un milieu aussi stimulant scientifiquement et humainement », considère-t-elle.

« À SOLEIL, nous accueillons des groupes du monde entier qui, tous les jours, dépassent leurs clivages culturels et politiques pour travailler à un projet commun. »

Le travail d’Edwige Otero demande des compétences techniques pointues, ainsi qu’un grand sens de l’adaptation : non seulement les expériences menées par les utilisatrices et utilisateurs sont très diverses, mais les scientifiques de ligne évoluent également dans un environnement humain riche, où se côtoient une grande variété de personnalités et de nationalités. « À SOLEIL, nous accueillons des groupes du monde entier qui, tous les jours, dépassent leurs clivages culturels et politiques pour travailler à un projet commun », raconte-t-elle. « La recherche est une action collective, il faut savoir travailler en équipe et respecter l’avis des autres. » Des valeurs « essentielles » pour poursuivre une carrière dans ce secteur, selon la scientifique. « Si elles vous sont étrangères, je crois que vous aurez beaucoup moins de plaisir à faire ce métier », appuie Edwige Otero.

Autres aptitudes indispensables : « savoir se remettre en question, accepter les critiques et reconnaître quand on se trompe ou qu’on ne se sait pas quelque chose pour pouvoir progresser », estime-t-elle. « La recherche demande du temps et de la résilience, les occasions de baisser les bras sont nombreuses et les « victoires » sont rarement là où on s’y attend… mais ne lâchez rien ! »

L’échange et le collectif au-delà de la recherche
À leur création en 2024, Edwige Otero a rejoint les Ambassadeurs SOLEIL, un nouveau programme de médiation scientifique pour faire découvrir le monde de la recherche et l’univers du synchrotron aux plus jeunes avec, par exemple, des interventions dans les classes du primaire et du secondaire. « Comme je l’ai dit, la recherche est un échange, un partage de connaissances », insiste-t-elle. « Être membre du programme Ambassadeurs SOLEIL est juste une manière de formaliser ce que nous faisons déjà toutes et tous, à différents niveaux : participer à des colloques, donner des cours, encadrer des doctorants, faire visiter SOLEIL à la famille ou aux amis, organiser des fêtes de la science dans les écoles de nos enfants… », énumère-t-elle.

La scientifique, tout comme son mari, chercheur au CNRS, confie être « souvent surprise » de la méconnaissance de la démarche scientifique par son entourage. « Peut-être n’est-elle pas assez présente dans notre société, dans les médias, ou assez bien enseignée dans nos écoles. Peut-être que nous ne communiquons pas de la bonne manière sur le sujet », s’interroge-t-elle. « C’est en tout cas pour ces raisons que j’ai tenu à suivre la formation d’Ambassadrice SOLEIL. »

« Rejoindre le Comité social et économique (CSE) permet de découvrir son institution et son fonctionnement et de prendre part à certaines décisions ; c’est très instructif sur les rapports humains et hiérarchiques. »

L’implication d’Edwige Otero dans la vie du synchrotron prend plusieurs formes. Avant de rejoindre le programme de médiation scientifique, la chercheuse a été pendant 9 ans représentante du personnel au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) de SOLEIL, (aujourd’hui le comité social économique). « C’est une activité qui peut être relativement chronophage pour qui souhaite s’impliquer sérieusement », prévient-elle. La scientifique estime cependant l’expérience enrichissante à tout point de vue : « c’est l’occasion de découvrir son institution et son fonctionnement et de prendre part à certaines décisions ; c’est très instructif sur les rapports humains et hiérarchiques ».

Edwige Otero suit depuis plus de 15 ans la classe de yoga proposée par le Comité social et économique (CSE) de SOLEIL. Ces séances sont pour elle un espace de rencontres et de dialogue avec des collègues d’autres divisions, qu’elle côtoie peu dans le cadre professionnel habituel. « De manière informelle, je comprends mieux leurs impératifs et les raisons de certaines décisions qui peuvent impacter mon travail », estime-t-elle. Un moment de respiration… et d’échange. 

Ses deux enfants, âgés de 7 et 12 ans, lui donnent l’opportunité de multiples découvertes et d’ouverture à la curiosité : « avec eux, c’est un peu comme sur la ligne de lumière, on ne sait jamais où nos discussions vont nous mener et ce sont autant d’occasions pour une prochaine activité ou une sortie », sourit-elle. Quand il lui reste un peu de temps, la scientifique le consacre au sport et à l’association de son village qui organise des événements pour petits et grands et dont elle est trésorière depuis 8 ans. Pour Edwige Otero, plus largement que la recherche, c’est la vie qui se construit à plusieurs.

Expérience "chouquettes" réussie ! Comme le dit Edwige : "La cuisine... c'est beaucoup de chimie et de partage !"

 

Mini bio d’Edwige Otero

1998 : obtention d’un DUT de Chimie à l’université de Metz, Metz, France
1999 : obtention d’un Bachelor de Chimie, Université de Kingston upon Thames, Grand Londres, Royaume-Uni
2001 : Master de Chimie avec placement en industrie, Daimler-Chrysler, Stuttgart, Allemagne
2002-2008 : doctorat sur l’étude par rayonnement synchrotron de molécules et polymères organométalliques, Université de la Saskatchewan, Saskatoon, Canada
2008-2009 : post-doctorat sur la ligne de lumière DEIMOS, synchrotron SOLEIL, Saint-Aubin, France
Depuis 2009 : scientifique sur la ligne de lumière DEIMOS, synchrotron SOLEIL, Saint-Aubin, France