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« La recherche est le seul domaine dans lequel une expérience ratée apporte autant de connaissances qu'une expérience réussie »

Au travers d’une série de portraits, SOLEIL part à la rencontre de celles et ceux qui font le synchrotron. Pour ce premier épisode, Sufal Swaraj, chercheur spécialisé dans la spectromicroscopie de rayons X sur la ligne de lumière HERMES, s’est prêté au jeu.

Son métier ? Maintenir le faisceau en état de marche tout en l’adaptant aux constantes évolutions scientifiques. Sufal Swaraj travaille également à la conception de nouveaux dispositifs photovoltaïques à base de carbone, moins onéreux et plus polyvalents que les cellules solaires actuelles.

Entretien avec un grand curieux, passionné par les expériences, qu’elles soient scientifiques, musicales, ou bien encore littéraires.

« Lorsque j’étais enfant, ma curiosité pour le fonctionnement des choses a souvent eu des conséquences intéressantes : faire sauter des fusibles plusieurs fois par jour, me casser le nez en faisant semblant de réparer des motos, préparer d’obscures mixtures… »

Originaire de Ranchi, en Inde, Sufal Swaraj a, depuis son plus jeune âge, toujours aimé explorer, comprendre et faire des expériences… sous l'œil probablement très patient de ses parents.

 

Apprendre auprès de passionnés

Une fascination pour le monde qui l’entoure encouragée par ses professeurs et qui l’oriente vers un master de physique à l’Institut Indien de technologie de Madras (IIT). « Mes enseignants m'ont beaucoup influencé, car ils m'ont fait découvrir une foule de livres scientifiques, à la fois philosophiques et fondamentaux », se rappelle Sufal. « J'ai eu la chance d'apprendre auprès de passionnés, qui étaient aussi les meilleurs dans leur domaine. » Et lorsqu’il n’est pas en cours, l’étudiant se consacre à la création amatrice de logiciels d’apprentissage sur le rayonnement électromagnétique.

 

Sufal Swaraj poursuit ensuite par un doctorat de chimie à l'Université Libre de Berlin, avant d’effectuer dans la même ville un postdoctorat à l'Institut fédéral de recherche et d'essai des matériaux (BAM), où pendant un an et demi, il étudie avec enthousiasme les propriétés fondamentales des métaux. « La recherche scientifique est le seul domaine dans lequel une expérience ratée apporte autant de connaissances qu'une expérience réussie, c'est donc tout naturellement que je me suis lancé dans cette voie », explique-t-il.

En 2007, il traverse l’Atlantique pour rejoindre l’Université d’État de Caroline du Nord et l’Advanced Light Source (ALS), le synchrotron du laboratoire national Lawrence-Berkeley, en Californie. Au cours de ce second postdoctorat, Sufal commence à travailler dans l’énergie solaire organique, devenue depuis son principal domaine de recherche. Pendant 3 ans, il développe et explore ainsi différentes techniques de caractérisation pour les matériaux photovoltaïques organiques et hybrides.

Panneaux photovoltaïques : silicium VS organique

Les cellules solaires produisent de l'électricité lorsqu'elles sont exposées à la lumière du soleil. Celles à base de silicium, actuellement majoritaires sur le marché, présentent plusieurs limites : elles sont coûteuses, encombrantes… Les cellules solaires organiques (à base de carbone) et hybrides (combinant composants organiques/inorganiques) permettraient de pallier ces inconvénients.

En 2010, le Synchrotron SOLEIL ouvre la ligne de lumière HERMES. Une opportunité que saisit sans hésiter Sufal : « à ce moment, je cherchais un nouvel emploi correspondant à mon expertise et je souhaitais déménager en Europe. Le continent commençait à me manquer après 3 ans passés aux États-Unis », se souvient-il. « Le timing était donc parfait pour moi. » Quelques mois plus tard, le scientifique intègre l’équipe de HERMES et s’attèle à ses nouvelles missions : spécialiste en spectromicroscopie aux rayons X, il est chargé de maintenir la ligne de lumière en état de marche et de l'adapter aux constantes évolutions scientifiques.

 

De nouvelles cellules solaires plus performantes

En parallèle, Sufal mène des recherches autour de la conception de nouveaux dispositifs photovoltaïques organiques et hybrides, à base de carbone, moins onéreux et plus polyvalents que les cellules solaires actuelles et plus accessibles au grand public. « Les matériaux que j’étudie sont très polyvalents et peuvent être utilisés sous différentes formes, contrairement aux panneaux solaires actuels, très rigides », indique-t-il. « À terme, ces matériaux pourraient même être utilisés sous forme de peinture. Par exemple, peindre votre maison reviendrait à faire de l’ensemble de votre foyer une cellule solaire géante », explique le scientifique. Mais pour le moment, ces matériaux alternatifs ne sont pas encore aussi efficaces que celle des cellules solaires “classiques” à base de silicium et leur durée de vie reste particulièrement limitée. « La plupart des recherches dans ce domaine - y compris les miennes - visent à faire en sorte que ces matériaux surmontent ces obstacles d’utilisation », précise Sufal. « L'une des principales méthodes actuelles consiste à mélanger des matériaux organiques, comme le carbone, avec des matériaux inorganiques ou des nanoparticules », ajoute-t-il.

Sufal sur la ligne HERMES

Apporter sa contribution

Des travaux aux enjeux environnementaux importants, qui tiennent le scientifique à cœur. « Aujourd’hui, il n’y a pas besoin de lire les journaux, il suffit de regarder par la fenêtre pour s'apercevoir sans peine que notre planète est en train de devenir inhabitable », considère-t-il. « Les températures battent des records annuels, les incendies de forêt sont de plus en plus nombreux et violents, des inondations se produisent dans des endroits qui n'en ont jamais connu, les hivers se glacent, les tempêtes et les tornades sont de plus en plus fréquentes... Et dites-vous que ce ne sont là que quelques exemples », poursuit le chercheur, alerte. « Comment ne pouvons-nous pas toutes et tous nous sentir concernés ? » Mais Sufal est optimiste : « heureusement, j’ai l’impression que les politiques mondiales s'éveillent enfin à la crise environnementale, tout comme les populations qui semblent de plus en plus impliquées individuellement. La science est également en train de jouer son rôle, en essayant de créer des solutions pour un mode de vie plus respectueux de notre précieuse planète. J’espère y apporter ma contribution, aussi modeste soit-elle. »

 

 « Il suffit de se promener dans SOLEIL pour assister à des expériences sur des météorites, des virus, des piles et des plantes… »

Curieux de tout, Sufal n’hésite pas à s’affranchir régulièrement de sa spécialité pour s’intéresser aux recherches de ses collègues : « il suffit de se promener dans SOLEIL pour assister à des expériences sur des météorites, des virus, des piles et des plantes… une grande variété de travaux y sont menés par des scientifiques du monde entier », explique-t-il. « Je suis loin d’être le seul à travailler sur des problématiques environnementales, et d’autres ont des domaines d'expertise tout aussi importants, qui couvrent la santé, mais aussi la conservation des œuvres d’art, l’agroalimentaire, l’astronomie… », énumère-t-il. Pour Sufal, faire partie de l’équipe de SOLEIL est une expérience « formidable », où l’environnement de travail est « propice » à la réflexion et au développement scientifique. « J'ai beaucoup de chance de faire partie d'un tel laboratoire », estime-t-il.

 

Peinture, musique, sculpture sur savon et Rubik's Cube

Le chercheur ne regrette pas d’être venu s’installer en France, un pays « culturellement riche, idéal pour mener une vie de famille », justifie-t-il. « Le système éducatif apprend aux enfants à faire preuve d'esprit critique dès leur plus jeune âge et il y a un très bon équilibre entre vie privée et professionnelle. » Un rythme de vie qui permet à Sufal de consacrer occasionnellement du temps à la pratique artistique, l’un de ses loisirs préférés. « Je dessine et je peins depuis mon enfance… je ne dirais pas que je suis doué, mais cela me permet de me détendre », confie-t-il. Pendant plusieurs années, le chercheur a d’ailleurs fait partie de la section arts plastiques de SOLEIL, où il a beaucoup appris « et pour une fois, ce n’était pas de la science », sourit-il. 

Sufal pratique également en autodidacte plusieurs instruments de musique, tels que la flûte, l'harmonica et la guitare, mais aussi le travail du bois, le cyclisme longue distance ainsi que d’autres activités moins courantes comme la sculpture sur savon ou bien encore le speed-cubing, qui consiste à résoudre un Rubik's Cube le plus rapidement possible.

 

 « Dans la recherche comme en musique, n’ayez pas peur des fausses notes, vous apprendrez de vos échecs, mais aussi à être patients et à en ressortir enrichi »

Ces nombreuses passions sont venues à Sufal naturellement, par son formidable goût pour tenter toute nouvelle expérience : « c’est comme cela qu’on prend le plus de plaisir à pratiquer et qu’on progresse rapidement », estime-t-il. Le scientifique fait d’ailleurs le parallèle avec la recherche en science de matériaux : « pour se lancer, une base solide en sciences est certes indispensable, mais pour faire carrière en tant que chercheur, et il faut avoir une disposition naturelle à poser des questions et à vouloir comprendre les choses. » continue-t-il. « Comme en musique, n’ayez pas peur des fausses notes, vous apprendrez de vos échecs, mais aussi à être patients et à en ressortir enrichi », conclut le chercheur.

 

Mini bio de Sufal Swaraj

  • 1978 : naissance à Ranchi, Inde
  • 1985-1998 : fusibles sautés, nez cassé, préparation de mixtures plus ou moins concluantes
  • 2001 : master de physique à l’Institut indien de technologie de Madras (IIT), Inde
  • 2005 : doctorat de chimie à l'Université Libre de Berlin, Allemagne
  • 2005 - 2007 : post-doctorat à l'Institut fédéral de recherche et d'essai des matériaux (BAM)
  • 2007 - 2010 : post-doctorat à l’Université de Caroline du Nord, basé à l’Advanced Light Source (ALS) au laboratoire national Lawrence-Berkeley en Californie, États-Unis.
  • 2010 - aujourd’hui : scientifique sur la ligne de lumière HERMES, Synchrotron SOLEIL, Saint-Aubin, France
  • 2022 : Habilitation à diriger des recherches (HDR), Université Paris-Saclay, Gif-sur-Yvette, France

 

Dans la bibliothèque de Sufal

  • Sapiens, une brève histoire de l'humanité, Yuval Noah Harari
    « Il s’agit de mon livre du moment. Cet ouvrage est écrit par un génie que tout le monde devrait lire. La façon dont l'auteur présente le cheminement de la civilisation humaine est à la fois éclairante et choquante. Sapiens, une brève histoire de l'humanité donne à réfléchir sur notre l'avenir, surtout si l'on considère la trajectoire exponentielle de nos développements technologiques. C’est un livre qui se parcourt avec des sentiments mitigés, entre appréciation et appréhension. »

 

  • Une histoire de tout, ou presque..., Bill Bryson
    « Il s’agit d’un autre livre que j'aime beaucoup. Bien que Bill Bryson soit avant-tout un écrivain voyageur, cet ouvrage scientifique est une excellente lecture, même si l'on n'a pas de formation dans ce domaine. Je pense qu'il devrait être illégal de ne pas l’avoir lu. »