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« Comprendre comment les matériaux fonctionnent et découvrir leurs secrets comblent ma curiosité et mon désir créatif »

Au travers d’une série de portraits, SOLEIL part à la rencontre de celles et ceux qui font le synchrotron. Pour ce quatrième épisode, Stéphanie Belin, scientifique sur la ligne de lumière ROCK, s’est prêtée au jeu. Du LURE, qui a préfiguré SOLEIL, à sa jouvence à venir, la chercheuse a pris part aux grandes étapes de l’histoire du synchrotron, dont la construction de deux lignes de lumière, SAMBA puis ROCK.
Une aventure tout autant humaine que scientifique, faite d’un quotidien riche en rencontres et en projets, plus variés les uns que les autres.

Si Stéphanie Belin, scientifique sur la ligne de lumière ROCK du synchrotron SOLEIL, rêve d’abord d’exploration spatiale, c’est finalement celle des nouveaux matériaux qui comble sa soif de découverte : « étudier le cœur des matériaux pour mieux comprendre leurs propriétés est le leitmotiv qui m’a conduite à la recherche scientifique », explique-t-elle.

De l’entreprise vers la recherche
Après avoir passé ses 25 premières années en Bretagne, entre les Côtes d’Armor et l’Ille-et-Vilaine, Stéphanie Belin effectue son stage de fin de magistère en 1994 à Tarbes, dans les Hautes-Pyrénées, au sein d’une PME fabricante de céramiques et de composites. « J’ai découvert cet univers particulier des petites entreprises privées, où leurs propres laboratoires se mettaient mutuellement en concurrence », explique-t-elle. « La recherche devenait trop lourde financièrement, et les ingénieurs responsables des labos étaient en compétition pour la survie de leur équipe. » Si le personnel s’avère « plus que bienveillant » à l’égard de Stéphanie Belin, l’étudiante ne s'imagine pas travailler à long terme dans « de telles conditions de pression qui nuisent à toute créativité ». Une expérience mitigée, mais qui sera décisive pour la suite de sa carrière. « J’ai téléphoné à mon responsable de Magistère pour l’informer que si j’avais la possibilité de poursuivre mes études par un doctorat via une bourse du rectorat, j’étais partante ! »

En juillet 1994, « folle de joie », elle se voit proposer une thèse au Laboratoire de chimie du solide et inorganique moléculaire, sur le campus de l’université de Rennes 1. Stéphanie Belin poursuit ensuite par un post-doctorat à Bordeaux, au sein de l’Institut de chimie de la matière condensée de Bordeaux (ICMCB). Son sujet de recherche ? La synthèse d’un nouveau matériau luminescent à base de terre rare, pour améliorer la couleur rouge dans les écrans plasma.

Puis, elle obtient un poste d’ATER (Attaché temporaire d’Enseignement et de Recherche) à l’Institut de physique nucléaire (IPN) de l’Université d’Orsay (aujourd’hui l’Université Paris-Saclay), et rejoint l’Île-de-France. Un ami lui fait alors découvrir le Laboratoire pour l'Utilisation du Rayonnement Électromagnétique (LURE), un synchrotron qui allait fermer en 2003 et dont SOLEIL prendrait le relai.

L’attrait de l’inconnu
« J’ai choisi de travailler sur un synchrotron tout d’abord par curiosité, puisque je n’avais jamais fait d’expérience sur un grand instrument », justifie-t-elle. « Mais j’avais été très intriguée par une autre doctorante dans mon équipe de thèse, qui faisait des manips au LURE : j’allais enfin savoir de quoi il s’agissait ! ». De plus, « Une nouvelle machine – SOLEIL – était prévue avec de nouvelles lignes de lumière à construire. Tout était à faire. » Alors que d’autres seraient intimidés par l’ampleur du défi et l’inconnu, Stéphanie Belin est, au contraire, galvanisée.

« J’ai donc intégré le monde du synchrotron en septembre 1999 » pour travailler sur un projet de ligne de lumière du futur synchrotron SOLEIL. La scientifique se rappelle parfaitement son premier jour : « celui-ci a été marqué par une assemblée du personnel, car le projet SOLEIL [1]  était menacé de ne pas être financé par le ministère de la recherche », raconte-t-elle. « Il régnait dans cette grande pièce une vraie ferveur et une volonté farouche de trouver tous les moyens possibles pour soutenir ce projet et faire changer d’avis le gouvernement. » Stéphanie Belin prend part à la bataille pour la création de SOLEIL. Des débuts mouvementés. « J’ai été immédiatement intégrée par tout le personnel, quels que soient leurs fonction et métier. Puis, j’ai été chouchoutée par l’équipe de physiciennes et de chimistes. Elles m’ont transmis leurs compétences et savoir-faire et m’ont emmenée dans leur passion pour ce projet. Voilà, j’avais la chance de faire partie de la grande famille des “Lurons”. »

Recherche scientifique et accueil des utilisateurs
Aujourd’hui, au quotidien, le travail de Stéphanie Belin comporte deux volets principaux : ses recherches sur le stockage électrochimique de l’énergie et l’accueil des utilisatrices et utilisateurs de la ligne de lumière ROCK …

« Mon domaine d’étude concerne les matériaux d’électrode, pour lesquels je mets mon expertise en spectroscopie d’absorption des rayons X à disposition des équipes de recherche d’autres laboratoires français ou internationaux avec qui je collabore », explique-t-elle. Grâce à cette technique sous rayons X de haute énergie, les chercheurs peuvent étudier les électrodes en fonctionnement dans une batterie simplifiée. L’identification des mécanismes en jeu permet notamment de comprendre les problèmes d’autodécharge, de perte de capacité, de potentiel d’utilisation trop faible… et donc d’envisager des solutions pour synthétiser de nouveaux matériaux plus performants.

« Pour la recherche, nous sommes libres du choix de nos thématiques qui, bien sûr, sont en lien avec le type de ligne de lumière sur laquelle nous travaillons », précise Stéphanie Belin. « Nous nouons des relations avec des chercheurs et offrons notre expertise et savoir-faire pour caractériser leurs échantillons en mode operando » (en conditions réelles de fonctionnement).
Les scientifiques de ligne de lumière écrivent également, pour eux-mêmes, des projets pour utiliser leur ligne ou d’autres, à SOLEIL ou sur des synchrotrons ailleurs dans le monde, en fonction du type de caractérisation de matériaux qu’ils souhaitent mener. « Nous faisons le même travail qu’un chercheur en laboratoire », résume-t-elle.

Stéphanie dans la cabane expérimentale de la ligne de lumière ROCK.

Aux petits soins
Sa deuxième mission, tout aussi importante, est de veiller avec ses collègues à offrir aux utilisateurs les meilleures conditions d’utilisation du rayonnement synchrotron de SOLEIL.
Ainsi, lorsque la scientifique assiste des utilisateurs extérieurs pour les aider à mener leur recherche sur la ligne de lumière ROCK, un travail de préparation est d’abord nécessaire pour identifier leurs besoins : dimension du faisceau, type de dispositif expérimental... À l’arrivée des utilisateurs, elle peaufine les réglages et discute des aspects sécuritaires de leur expérience, aidée de l’assistant ingénieur de la ligne de lumière.
Puis, l’expérience peut commencer.

« Je fais en sorte que les utilisateurs puissent réaliser leurs mesures avec le maximum d’autonomie pour être libres de travailler nuit et jour, en se relayant au sein de leur équipe », explique Stéphanie Belin. « En général, nous recevons entre 3 et 6 personnes selon la complexité de la « manip’ » et selon ses risques chimiques. » Mais être autonomes ne veut pas dire abandonnés : avant de s’éclipser, la scientifique leur montre les outils informatiques afin qu’ils puissent suivre pendant la nuit l’évolution des mesures prises. De son côté, elle vérifie la qualité des données enregistrées, « c’est souvent le lendemain matin que nous procédons à un débriefing des données acquises pendant la soirée et la nuit ».

Si Stéphanie Belin reste le temps de l’expérience des utilisateurs sur la ligne, elle est aussi d’astreinte jusqu’à 23h en semaine et 20h le week-end : « mais nous avons la chance d’avoir accès à nos dispositifs hors site », relativise Stéphanie Belin. « Ce qui me permet de tout suivre à distance et d’aider les utilisateurs sur simple appel de leur part. » Une fois la manip’ terminée, la chercheuse et son équipe restent disponibles pour aider les utilisateurs à récupérer leurs données ou à les analyser.

Travailler en équipe, même sur ses propres recherches
Pour ses propres recherches, Stéphanie Belin mène aussi régulièrement des expériences sur la ligne de lumière ROCK. La scientifique travaille rarement seule. Une fois l’expérience terminée, elle discute de ses résultats avec d’autres chercheurs et collaborateurs et assure en parallèle une veille bibliographique régulière.

Avec son équipe, elle peut aussi effectuer le commissioning [2] d’un nouvel équipement ou d’une nouvelle technique. « Par exemple, en mai prochain, nous allons essayer de réaliser notre première expérience de tomographie, sur une idée originale de Valérie Briois, responsable de la ligne de lumière ROCK [3] », explique Stéphanie.

La rédaction de publications, de nouveaux projets d’utilisateurs ou bien encore pour obtenir un financement de l’ANR, la présentation de ses résultats scientifiques, rythment également le quotidien de Stéphanie Belin, « sans oublier de participer à la vie de mon équipe sur la ligne ROCK et plus largement à celle de SOLEIL ».

À cela s’ajoutent des missions de fond, comme la maintenance de la ligne de lumière. Un travail en continu, pour améliorer les processes et proposer régulièrement des évolutions techniques. « Je n’ai pas une mais quatre journées-types », résume Stéphanie en souriant.

Un renouveau permanent
Des journées qui ne ressemblent pas, faites de nouvelles rencontres, d’apprentissages et de découvertes… Stéphanie Belin est heureuse de cette routine qui n’en est pas une : « nous avons la chance de côtoyer des chercheuses et des chercheurs de tous les domaines scientifiques et de toutes les nationalités », estime-t-elle. « Aucune expérience à réaliser ne se ressemble, chacune est enrichissante, tant sur le plan scientifique qu'humain. » Elle apprécie également la liberté de collaborer avec les équipes de recherche qu’elle choisit, ou de monter et de participer à des projets internationaux. « Nos 29 lignes de lumière accueillent des équipes qui changent toutes les semaines, voire plus. Le renouveau est constant, que ce soient les sujets de recherche ou les personnes », explique-t-elle. « Il y a peu d’endroits aussi fourmillants d’idées et d’énergie. Sans compter qu’il y a plus d’une soixantaine de métiers différents ici à SOLEIL, ce qui est tout aussi passionnant. »

SOLEIL II, une cure de jouvence pour le synchrotron
Deux décennies après la création de SOLEIL, la science, tout comme le rôle du synchrotron, ont considérablement évolué. Celui-ci doit notamment s'adapter aux nouveaux champs d’investigation qui ont émergé ces dernières années. De nouveaux projets qui s’annoncent aussi pour Stéphanie Belin. « J’ai du mal à penser que vingt années se sont écoulées, peut-être parce que j’ai pu participer à la conception de deux lignes de lumière, la dernière en date n’ayant ouvert ses portes aux utilisateurs qu’en mars 2015, il y a tout juste dix ans », confie la scientifique. « En août 2021, nous avons remplacé l’aimant qui produit les rayons X utilisés sur la ligne ROCK par un « superbend », un aimant permanent nouvelle génération, conçu par le groupe physique machine et le groupe magnétisme et insertions de SOLEIL. »  

« SOLEIL devait donc se doter d’une nouvelle machine pour continuer à faire briller la science »

Cet aimant mis en service il y a moins de cinq ans a permis d’augmenter le flux de photons sur la ligne de lumière ROCK et d'ouvrir de nouvelles voies de caractérisation sur des échantillons étudiés. « C’est un perpétuel renouveau et le temps n’a pas de prise », constate Stéphanie Belin. « Mais la machine qui produit les photons vieillit, si elle n’est pas renouvelée alors les pannes s’enchaîneront. » Comme la chercheuse l’explique, les synchrotrons de 4e génération avec des sources d’électrons plus petites et plus brillantes sont aujourd’hui devenus la norme. « SOLEIL devait donc se doter d’une nouvelle machine pour continuer à faire briller la science », conclut-elle.

De l’importance de l’esprit critique
Forte de ses années passées au synchrotron, Stéphanie Belin a-t-elle quelques conseils pour celles et ceux qui seraient intéressés par une carrière similaire ? « La frontière entre la chimie et la physique n’est pas si claire, et la réalisation d’expérience au synchrotron ne nécessite pas forcément d’être physicien », estime-t-elle. « Ici, c’est l’interdisciplinarité qui prime, mais manier le codage est indéniablement un plus. » Pour Stéphanie Belin, persévérance, rigueur, curiosité et ouverture d'esprit sont également de précieux atouts pour devenir chercheuse ou chercheur. « Être critique vis-à-vis de soi et des résultats scientifiques est tout aussi important », ajoute-t-elle. « Si une expérience échoue, on la recommence, et si les résultats obtenus semblent étranges, on les envisage sous un autre jour…. Et puis l’IA sera bientôt totalement intégrée au monde de la recherche et il faudra savoir la critiquer pour bien s’en servir. »

S’engager pour les autres
Outre son poste de scientifique de ligne de lumière, Stéphanie Belin est également impliquée depuis dix ans dans les instances du personnel à SOLEIL. « Du fait de ma formation et de mon expérience, je suis très sensible à la sécurité au sein d’un laboratoire », indique-t-elle. La chercheuse fait partie du comité social économique (CSE), qui représente le personnel dans les entreprises et qui, entre autres, veille à l’hygiène, la sécurité et aux conditions de travail. Des activités lui tenant à cœur et qu’elle estime comme « une chance » pour elle : « cela me permet de mieux connaître mes collègues travaillant dans des domaines éloignés du mien – que j’aurais peu l’occasion de rencontrer sinon – et d’approfondir mes connaissances sur le fonctionnement de notre société civile qui gère SOLEIL ». Par les actions collectives du comité, Stéphanie espère ainsi améliorer le quotidien de ses collègues.

La chercheuse est aussi « évidemment » très sensible à la condition des femmes, dans le monde et de manière plus proche, dans le milieu professionnel. « Lors de mes études, au travail et dans mon entourage, j’ai été protégée des discriminations ou des violences dont pouvaient être victimes les femmes », explique-t-elle. « Très naïvement, je n’avais pas tout de suite pris la mesure de la condition féminine : naître femme me semblait identique à naître homme », admet Stéphanie avec sincérité. « Je n’avais jamais vraiment pensé que le monde avait été modelé par et pour les hommes, comme les portes qui n’ouvrent pas dans le bon sens pour les gauchers », ajoute-t-elle. Son quotidien déjà bien rempli ne le lui permet pas pour l’instant, mais Stéphanie espère bien pouvoir « s’engager pleinement dans la sororité ».

Un esprit sain dans un corps sain : Stéphanie lors de sa participation à une édition de la course "La Parisienne" -  avec logo SOLEIL !

Et lorsqu’elle n’est pas sur site, elle se consacre le plus possible à son fils, âgé de cinq ans : « il est au centre de mes nouveaux intérêts », sourit-elle. « Le regarder grandir est à la fois passionnant et un peu effrayant », admet la scientifique. « Je suis un peu esthète contemplative, alors je cours à la recherche du temps, pour faire les choses tout en les observant ».
Un trait de personnalité qui se reflète aussi dans sa manière d’aborder la lecture : « j’aime me plonger dans un ouvrage pour ensuite me poser et réfléchir à ce que je viens de découvrir ». Que ce soit au travail, envers les autres – collègues, proches ou inconnus – ou lors de ses loisirs, curiosité et plaisir de la découverte continuent à guider Stéphanie.

 

Stéphanie a souhaité dédier ce portrait. 

"À ma chère maman..."

 

Mini bio de Stéphanie Belin

1997 : obtention d’un doctorat en chimie des matériaux, Laboratoire de Chimie du Solide et Inorganique Moléculaire, Université de Rennes 1, Rennes, France
1997 - 1998 : post-doctorat, Institut de Chimie de la Matière Condensée de Bordeaux (ICMCB), Bordeaux, France
1998 - 1999 : ATER (Attaché temporaire d’Enseignement et de Recherche), l’Institut de Physique Nucléaire (IPN), Université d’Orsay (aujourd’hui l’Université Paris-Saclay), Saclay, France
1999 – 2005 : ingénieure de recherche CNRS, Laboratoire pour l'Utilisation du Rayonnement Electromagnétique (LURE), Saint-Aubin, France
Depuis 2005 : scientifique sur la ligne de lumière SAMBA, puis sur la ligne ROCK, synchrotron SOLEIL, Saint-Aubin, France
 

Dans la bibliothèque de Stéphanie

Une vie possible, de Line Papin
Du Domaine des murmures, de Carole Martinez
Medusa, de Isabelle Sorente

 

 


[1] SOLEIL pour Source de Optimisée de Lumière d'Énergie Intermédiaire du LURE

[2] Le commissioning, ou commissionnement, est un processus qualité qui vise à s’assurer que les systèmes et équipements fonctionnent comme prévu et répondent aux besoins définis.

[3] Réalisés avec l’aide de nos collègues spécialistes, les premiers essais de tomographie se sont révélés très encourageants. À suivre !