L’hydrogène est l’une des pistes explorées pour remplacer les énergies fossiles. Produire de l’hydrogène par décomposition de l'eau est l’une des voies possibles, qui nécessite l’utilisation de catalyseurs, souvent composés de matériaux rares, chers, et dont l’extraction est peu respectueuse de l’environnement. D’où l’importance de découvrir de nouveaux catalyseurs économiques et exempts de métaux nobles, mais conservant des performances élevées.
Un consortium dirigé par des chercheurs du Laboratoire de Physique des Solides et de l'Institut de Chimie Physique (CNRS/UPSaclay) a démontré l’intérêt des nanotubes d'argile géoinspirés en tant qu’électrocatalyseurs durables pour la réaction d’évolution de l’oxygène, goulot d’étranglement des procédés de décomposition de l'eau. Quatre lignes de lumière de SOLEIL ont contribué à ces résultats.
La réaction d'évolution, ou libération, de l'oxygène (OER) également appelée réaction d’oxydation de l’eau, 2H2O ⟶ 4e − + 4H + + O2, est naturellement mise en œuvre lors de la photosynthèse, qui produit l’oxygène que nous respirons. Cette réaction consiste en un transfert de quatre électrons tout en faisant face à la formation compétitive de peroxyde, et nécessite pour avoir lieu l’action de catalyseurs. Ces dernières années, des progrès majeurs ont été réalisés avec les catalyseurs à base d'Ir et de Ru, qui sont considérés comme des matériaux de référence pour l'OER. Cependant, malgré leur activité et leur stabilité élevées, la rareté de ces éléments et leur coût élevé posent des défis importants pour une application à grande échelle par rapport à des éléments plus abondants sur Terre. Les nanotubes géoinspirés, tels que l’imogolite à base de germanium (GeAl2O3(OH)4, Ge-NTI), sont des objets originaux dont la structure tubulaire et la composition en font des matériaux prometteurs pour des réactions catalytiques. De plus, il est possible de réaliser une substitution isomorphique sélective des différents éléments de leur structure, offrant un moyen simple de moduler leur conductivité et propriétés catalytiques, avec un défi de taille sur la préservation de la structure tubulaire d'origine.
C'est la stratégie qui a été suivie par un consortium national réunissant des chercheurs des universités de Paris-Saclay, Cergy et Poitiers, en collaboration avec quatre lignes de lumière de SOLEIL. Grâce à une synthèse hydrothermale en une seule étape, des atomes de fer ont été incorporés avec succès dans la structure de l'imogolite germanium double-parois (Figure 1), suivant la formule structurale générale Ge(Al2-2xFe2x)O3(OH)4.

Figure 1 : Schéma de la structure d’un nanotube d’imogolite double-parois Ge-INT et de la substitution isomorphique de l’aluminium par du fer.
Pour un rapport de substitution x = [Fe]/([Al]+[Fe]) inférieur à 0,1, les propriétés structurales d'origine des nanotubes sont conservées, telles que leur diamètre monodisperse, leur stabilité colloïdale et leur comportement d'auto-organisation uniques, confirmées par diffusion des rayons X aux petits angles sur la ligne SWING et diffraction de poudre sur la ligne CRISTAL (Figure 2).

Figure 2 : Caractérisation des propriétés structurales des Ge-INT dopés au Fe synthétisés à différents taux de substitution. (A) Propriétés d’auto-organisation mises en évidence par des observations optiques sous lumière visible et entre polariseurs croisés. Diagrammes de diffusion de rayons X correspondants obtenus (B) sur suspension sur SWING comparés à un diagramme calculé de Ge-NTI et (C) sur poudre sur la ligne CRISTAL.
Pour compléter cette étude, la spectroscopie XANES réalisée sur la ligne LUCIA a confirmé l'incorporation d'atomes de fer dans les sites octaédriques des Ge-NTI dopés au fer (Figure 3A). Afin d'obtenir des informations approfondies sur la chimie cristalline des échantillons synthétiques, l'équipe a quantifié à l'échelle submicrométrique le rapport ferrique/ferreux au seuil L3 à l'aide d'un microscope à transmission de rayons X à balayage (STXM-XANES) sur la ligne HERMES. La cartographie chimique à l'échelle nanométrique révèle une distribution homogène des sites Fe le long des nanotubes, avec une valeur Fe3+/ΣFe toujours supérieure à 70 %, quel que soit le rapport de substitution (Figure 3B).

Figure 3 : (A) Spectres XANES au seuil K du Fe acquis sur la ligne LUCIA. (B) Spectres STXM-XANES au seuil L3 du Fe pour x = 0,025 et 0,075 obtenus sur la ligne HERMES. Les résultats redox sont indiqués sur les échelles de couleurs et à côté des spectres. (C) Images par absorption des rayons X et optiques extraites à l'intensité maximale du seuil L3 du Fe (710 eV) et carte redox correspondante du Fe (Fe3+/ΣFe ; %).
L'activité électrocatalytique OER des Ge-NTI dopés au Fe a été évaluée dans des conditions alcalines à l'aide d'un système à trois électrodes. Le meilleur matériau obtenu pour x = 0.05 de fer présente des performances comparables à celles obtenues avec des catalyseurs à base de métaux nobles ou d’oxydes de Ni et de Co. Les tests montrent également une bonne stabilité électrochimique, paramètre essentiel pour envisager des applications industrielles.
L’ensemble de ces résultats souligne le potentiel prometteur des nanotubes d'imogolite géo-inspirés en tant qu'alternative durable et évolutive aux catalyseurs OER conventionnels à base de métaux nobles, tout en ouvrant de nouvelles perspectives pour l'application des nanomatériaux à base d'imogolite dans les technologies d'électrocatalyse et d'énergie renouvelable.