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Caractérisation des propriétés électroniques d’une interface d’oxydes fonctionnels

Les mémoires ferroélectriques dans lesquelles l’information est codée par la direction de la polarisation électrique sont des dispositifs électroniques déjà en vente dans le commerce car économes en énergie, endurantes et très rapides. Cependant, la lecture de l’information nécessite un circuit électronique annexe limitant la miniaturisation à l’échelle nanométrique de ces systèmes. Ainsi, les chercheurs se tournent maintenant vers des systèmes où la polarisation ferroélectrique sert à manipuler l’état physique binaire d’un oxyde plus facile à décoder. Cependant, la manière dont l’interface entre le ferroélectrique et l’oxyde se comporte reste peu connue, ce qui limite notre connaissance sur les capacités réelles de ces dispositifs. Une étude menée par la ligne de lumière GALAXIES à SOLEIL, le synchrotron ALS à Berkeley, le laboratoire Physique des Solides d’Orsay et l’Unité Mixte de Physique CNRS/THALES de Palaiseau, publiée dans Nano Letters, présente une manière inédite de caractériser ces interfaces.

Un matériau ferroélectrique possède au moins deux états stables de polarisation électrique rémanents et un champ électrique peut être utilisé pour passer d’un état à l’autre. Ainsi, il est rapidement apparu que ce matériau pouvait être utilisé pour stocker de l’information avec les avantages suivants : il est manipulable avec une basse tension électrique (1-2 volts) et à des cadences potentiellement élevées (quelques GHz), il a un caractère non-volatile et une excellente endurance aux cycles de lectures/écritures (1012 cycles minimum). De telles mémoires sont actuellement en vente et équipent par exemple des consoles de salons ou des calculatrices scientifiques. Cependant, la lecture de l’information binaire dans ces mémoires nécessite un dispositif additionnel micrométrique qui d’une part supprime l’information qu’il faudra alors réécrire (« destructive readout ») et d’autre part limite la miniaturisation à l’échelle nanométrique de ces systèmes.

La recherche s’oriente maintenant vers d’autres méthodologies pour exploiter les propriétés intéressantes des ferroélectriques dans des dispositifs électroniques constitués d’un empilement de couches très minces, i.e. d’épaisseurs inférieures à quelques nanomètres. Suivant l’idée du prix Nobel Herbert Kroemer selon laquelle « l’interface est le dispositif » [1], le principe est d’exploiter l’effet local de la polarisation d’une couche mince ferroélectrique à l’interface avec une autre couche mince ayant des propriétés de transport de charge ou de spin des électrons intéressantes. Par exemple, il a été montré que la polarisation ferroélectrique pouvait altérer les propriétés magnétiques d’une couche mince adjacente, ouvrant la voie à l’électronique de spin sans champ magnétique [2]. En se basant sur l’architecture des transistors à effet de champ traditionnels, nos collaborateurs de l’Unité Mixte de Physique CNRS/THALES ont montré que l’orientation de la polarisation ferroélectrique peut changer drastiquement les propriétés de conduction de l’oxyde adjacent [3], première étape vers des portes logiques nanométriques basées sur les ferroélectriques.

Spectroscopie de photoémission des rayons X durs en réflexion quasi-totale 

Ces systèmes sont assez bien caractérisés macroscopiquement, cependant pour aller plus loin dans leur compréhension et pour ainsi pouvoir prédire et fabriquer de nouveaux systèmes plus performants, il est nécessaire d’obtenir une caractérisation rigoureuse de leurs propriétés chimiques et électroniques, notamment à l’interface entre les deux matériaux. Nous avons développé sur la ligne GALAXIES une nouvelle méthode de spectroscopie de photoémission des rayons X durs qui exploite les propriétés particulières des photons qui arrivent à incidence rasante sur un échantillon, de manière à accéder à des informations résolues en profondeur. Le principe consiste à utiliser les interférences de photons dans l’échantillon pour sonder de manière sélective différentes profondeurs d’une structure hétérogène. Jusqu’à cette publication, la technique n’avait été utilisée que pour des super réseaux [4]. Pour la première fois, nous avons utilisé cette méthode sur une structure composée de deux films minces déposés sur un substrat en utilisant les interférences de photons proches de la réflexion quasi-totale. Pour cette étude, une couche mince de 5 nm d’un ferroélectrique, le BiFeO3 (BFO), a été déposé par ablation laser sur une couche mince de 20 nm de (Ca,Ce)MnO3 (CCMO). Le tout a été déposé sur un substrat de YAlO3 comme le montre la figure 1b. Le CCMO est un semi-conducteur extrêmement sensible à la polarisation du BFO et peut transiter d’un état conducteur à un état isolant quand celle-ci est retournée. Il est attendu que l’interface (en orange sur la figure 1b) est responsable de cet effet spectaculaire mais cela n’a pas été démontré directement par une analyse microscopique [5].

La figure 1a présente le résultat d’un calcul théorique de la répartition en profondeur de l’intensité du champ de photon X dans le système montré en figure 1b. Ce résultat montre que plus l’angle d’incidence augmente, plus les rayons X pénètrent profondément dans le système permettant une analyse résolue en profondeur du système. En analysant les photoélectrons provenant du calcium de la couche mince de CCMO, nous avons montré l’existence d’une zone riche en électrons et d’une épaisseur de 1 nm à l’interface entre le BFO et le CCMO. Cette zone d’accumulation en électrons est générée par la polarisation négative du BFO et a pour conséquence macroscopique que la couche de CCMO est conductrice. Ce résultat concorde parfaitement avec ceux obtenus par nos collaborateurs  du Laboratoire de Physique des Solides (Orsay, France) par microscopie électronique à balayage en transmission, qui montrent une concentration d’électrons plus importante sur les deux premières mailles élémentaires du CCMO à l’interface avec le ferroélectrique BiFeO3 (Figure 1c-d).

Figure :
(a) Calcul théorique de la répartition dans l’échantillon de l’intensité du champ de photon en fonction de l’indicende du faisceau.
(b) Description schématique du système constitué d’une couche mince du ferroélectrique BiFeO3 (en bleu), d’une zone d’interface (orange), d’une couche mince de (Ca,Ce)MnO3 (rouge) et d’un substrat de YAlO3 (gris) et
(c) l’image de cette structure par microscopie électronique à transmission.
(d) Répartition des électrons dans notre système en fonction de la profondeur.

Cette étude du profil de charge à l’interface entre un oxyde fonctionnel et un ferroélectrique participe à la compréhension de phénomènes d’interface dans des nanostructures de ferroélectriques et d’oxydes corrélés, et plus particulièrement à la compréhension de comportement de basculement de résistance électrique des dispositifs d’oxydes avec de telles nanostructures. La combinaison de la photoémission résolue en profondeur et de la microscopie en transmission rapportée ici pourra également être appliquée à l’étude d’autres d’interfaces d’intérêt, améliorant les connaissances sur ces systèmes à fort potentiel applicatif.

Ce travail a bénéficié d'une aide de l’Etat gérée par l'Agence Nationale de la Recherche au titre du programme Investissements d’Avenir portant la référence ANR-10-LABX-0035: Labex NanoSaclay.