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Verre et rayons X - première œuvre d’art créée grâce au rayonnement synchrotron

L'année 2022 a été proclamée « Année internationale du verre » par l'Assemblée générale des Nations Unies. Pour la célébrer, l’artiste Hernán Gabriel Pais -qui fait par ailleurs partie des équipes de SOLEIL – a créé une œuvre d’art, première en son genre, en utilisant l’interaction entre le verre et le rayonnement synchrotron. Cette œuvre, « Inestimabile Vitri Decus”, transpose les mots du traité médiéval du moine Théophile décrivant l’inestimable beauté du verre, sur une pièce de vitrail grâce aux rayons X produits par la ligne de lumière METROLOGIE de SOLEIL.

La création de cette œuvre est le fruit d’une collaboration entre Hernán Gabriel Pais et plusieurs équipes de SOLEIL. En mariant techniques traditionnelles et technologies de pointe, la lumière devient l’outil permettant la métamorphose du verre.

Un pont à travers l’Histoire

Le Moyen-Âge voit le développement exponentiel du vitrail dans les cathédrales grâce à des ouvertures toujours plus grandes dans les murs, permises par l’évolution de l’architecture et notamment la clef de voute en ogive. Au XIIe siècle, dans son traité Schedula, le moine Théophile (fig 1), par l’expression Inestimabile Vitri Decus, loue le thème de l'édifice « aux murs de lumière », comme la Jérusalem céleste de l'Apocalypse, bâtie en pierres précieuses, et justifie symboliquement et mystiquement l'émerveillement produit par des vitraux de couleur.

Figure 1 :
(à gauche) Frontispice d’une édition de la Schedula du moine Théophile ; (milieu) vitrail de la cathédrale de Cologne par G. Richter, 2007 ;
(à droite) Art et mathématique, œuvre de J.-M. Othoniel, 2019.

La lumière est, depuis Saint-Augustin, une composante indispensable à la notion du beau, incarnant le Mystère Divin. Aujourd’hui, la lumière est aussi un outil de haute technologie utilisé par les chercheurs – qu’il s’agisse de lumière visible ou d’autres longueurs d’onde. Le verre, quant à lui, est un matériau remarquable par sa translucidité qui a inspiré les hommes, les artistes et les chercheurs depuis sa découverte il y a 5000 ans. De l’Abbé Suger et la basilique de Saint-Denis à Jean-Michel Othoniel et ses sculptures de verre, en passant par Pierre Soulages et les vitraux de l’abbatiale de Conques et Gerhard Richter et les vitraux de la cathédrale de Cologne (figures 1 & 2), explorer l’esthétique du passage de la lumière à travers la matière est une quête sans fin du graal.

Figure 2 :
(à gauche) rose de la basilique Saint-Denis, vitrail du XIXe siècle ;
(à droite) Vitraux de l’abbatiale de Conques, par P. Soulages, 1987-1994.

Le verre est également devenu un matériau technologique incontournable, allié des chercheurs. À partir de la fin du XVIe siècle, l’amélioration de sa transparence a permis le développement de la lunette astronomique et du microscope optique, grâce auxquels les savants ont commencé à scruter l’infiniment grand et l’infiniment petit.

Mais la nature physique du verre est également remarquable. Le caractère amorphe du verre a maintenu longtemps mystérieuse sa structure atomique. Aujourd’hui encore, la nature de transition vitreuse, marquant le changement de l’état liquide à l’état vitrifié est l’un des grands problèmes de la physique. La lumière du synchrotron a permis à la science de poser un nouveau regard sur la structure et les propriétés des verres. Les expériences pionnières menées il y a plus de 40 ans à ACO, synchrotron qui a précédé SOLEIL, par spectroscopie des rayons X pour étudier la structure des verres, l’étude du mécanisme de fusion du verre dans les fours par Saint- Gobain grâce à la tomographie des rayons X (figure 3), ou l’étude des couleurs des vitraux médiévaux [https://www.synchrotron-soleil.fr/fr/actualites/vers-une-meilleure-comprehension-du-phenomene-de-brunissement-des-vitraux-medievaux] sont autant d’études pour lesquelles le rayonnement synchrotron a apporté de précieuses informations pour mieux comprendre ce matériau.

 Ce sont ces multiples facettes que les Nations Unies célèbrent en déclarant 2022 “Année internationale du verre”.

Figure 3 : image de la fusion des matières premières du verre obtenue par tomographie des rayons X. © Gouillart et al. JACS, 2012.

Genèse de l’œuvre

L’artiste Hernán Gabriel Pais ambitionne, par un geste simple et symbolique, de tracer une ligne entre les vitraux des cathédrales médiévales et un lieu dans lequel la science la plus moderne se fait grâce à la lumière : le synchrotron. L’idée de son projet d’œuvre est née de ses échanges avec Myrtille Hunault, scientifique sur la ligne MARS à SOLEIL. Myrtille étudie notamment quelles sont les conditions pour analyser des échantillons précieux comme les objets du patrimoine avec le rayonnement synchrotron, sans qu’ils ne soient détériorés, ni même modifiés, par ce rayonnement. L’idée de Hernán Gabriel Pais était au contraire d’utiliser la trace laissée par le rayonnement synchrotron pour inventer une nouvelle esthétique. Il souhaitait créer un vitrail moderne où le verre serait marqué par la lumière de la science. En forme de disque, rappelant la forme du synchrotron, du soleil, mais aussi de l’hostie, ce vitrail est présenté dans une vitrine telle une relique. Par cette œuvre, Gabriel Pais veut que le public voyage à travers le temps et l’espace : de l’Antiquité au XXIe siècle en passant par le Moyen Age, et des étoiles qui nous éclairent au sol terrestre où nous puisons le sable pour fabriquer le verre, que le public rencontre la science de pointe à travers le prisme de l’art.

 

Un défi technique

Pour créer cette œuvre, il a d’abord fallu trouver les conditions optimales d’irradiation des verres par le faisceau synchrotron de façon à ce que le verre soit marqué. L’intensité et la teinte de la marque dépendent de la composition chimique des verres, qui est aussi à l’origine de leur couleur. Les essais ont permis de sélectionner le verre donnant le meilleur rendu. Celui-ci a été préparé par l’atelier Vitrail France ; cet atelier participe par ailleurs à la restauration des vitraux de la cathédrale Notre Dame de Paris, et s’est également chargé de la mise en plomb du verre à la fin du projet.

De premiers essais de « photo-écriture » ont été effectués sur la ligne PUMA, avec un faisceau de rayons X monochromatique (une seule longueur d’onde). Puis c’est finalement sur la ligne METROLOGIE que l’œuvre a été réalisée, avec cette fois un faisceau X polychromatique, c’est-à-dire couvrant une gamme de longueurs d’onde, toujours dans le domaine des rayons X – ainsi, il y a davantage de flux, autrement dit une plus grande quantité de photons X qui impactent le verre, et la « photo-écriture » est plus rapide.

Ensuite, un système motorisé adapté à la pièce de verre a été spécialement construit en bénéficiant des avantages de l’impression 3D. Son pilotage en trajectoire bidimensionnelle complexe afin de pouvoir déplacer le disque de verre dans le faisceau pour que chaque lettre soit parfaitement écrite, l’une après l’autre a été réalisé par l’équipe Ingénierie des Systèmes d’Acquisition et de Contrôle de SOLEIL. Il est basé sur l’utilisation de contrôleurs hautes-performances (PowerBricks) qui a permis de réaliser la trajectoire spécifique à l’écriture de la phrase Inestimabile Vitri Decus.

Après tout le travail préparatoire effectué en amont sur PUMA, moins d’une dizaine d’essais (et donc de disques de verre) ont été nécessaires sur METROLOGIE pour obtenir le résultat final – il est en effet impossible d’effacer le verre une fois qu’il est marqué !  Chaque essai, c’est-à-dire chaque écriture de phrase, a nécessité environ 30 minutes.

L’œuvre est à présent exposée dans le hall du bâtiment central du site de SOLEIL.

Figure 4 : L'œuvre finale, le verre photo-marqué et mis en plomb