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Une photochimie asymétrique sur des glaces interstellaires à l’origine de l’homochiralité de la vie ?

Une nouvelle étude d’analogues de glaces interstellaires donne de nouveaux éléments pour expliquer l’origine de l’asymétrie biomoléculaire à la surface de la Terre.

Les acides aminés présents dans tous les organismes vivants ne présentent que sous leur forme énantiomérique L, un phénomène connu sous le nom d’homochiralité de la vie dont l’origine reste une question ouverte. Un consortium, regroupant des scientifiques de l’équipe Astrochimie et Origines de l’IAS (Orsay), de l’Institut de Chimie de Nice et du Synchrotron SOLEIL ont mené des expériences pour modéliser les phénomènes photochimiques qui adviennent dans les glaces interstellaires / pré-cométaires. Ces glaces pourraient être irradiées par une lumière VUV asymétrique, polarisée circulairement, comme celle disponible sur la ligne de lumière DESIRS qui conduit à l’énantiosélectivité des molécules chirales, c’est-à-dire la possibilité de transférer la chiralité des photons à la matière. De nouveaux résultats montrent que l’énantiosélectivité obtenue sur 5 acides aminés différents permet de confirmer les résultats précédents, mais aussi de préciser le scénario astrophysique qui serait responsable de l’origine de l’asymétrie biomoléculaire à la surface de la Terre primitive.

Depuis 2003, l’équipe « Astrochimie et Origines » à l’IAS développe un dispositif expérimental pour reproduire certaines caractéristiques de l’évolution de glaces interstellaires/ pré-cométaires, très largement observées dans les spectres de nuages moléculaires denses d’étoiles, disques, planètes ou autres débris stellaires comme les comètes ou les astéroïdes. Le travail s’est principalement concentré sur l’évolution photochimique de ces glaces qui mène à un matériel organique complexe soluble, qui n’est pas sans rappeler certaines similitudes avec des matériaux retrouvés dans des météorites. Les expériences– connues sous le nom de MICMOC (Matière Interstellaire et Cométaire, Molécules Organiques Complexe) ont été menées avec une source de laboratoire produisant un rayonnement VUV non polarisé. Elles ont produit, sous forme de résidu organique, plusieurs molécules telles que des acides aminés (en proportions racémiques c’est à dire un mélange 50/50 gauche et droit), ce qui pourrait être suffisant pour initier une chimie prébiotique à la surface de planètes telluriques.

 

Une légère modification de ce dispositif, appelé Chiral-MICMOC, a été conduite au synchrotron SOLEIL, en utilisant la ligne DESIRS. Cette ligne fournit une lumière polarisée circulairement dans les UV (UV-CPL) qui est connectée à l’appareil MICMOC (cf figure 1). L’expérience a pour objectif d’observer le transfert d’asymétrie de la lumière (les photons chiraux) à la matière organique produite, et en particulier aux acides aminés produits par les processus photochimiques : la photochirogénèse. DESIRS est la seule source a même de réunir sur une large gamme UV-VUV  une haute densité de flux de photons, la pureté spectrale, et des états de polarisation calibrés (incluant bien sûr la CPL gauche, ou droite et la polarisation linéaire). Les échantillons sont extraits de leur fenêtre-support à température ambiante, conservés précieusement sous argon afin d’éviter toute oxydation, puis envoyés à l’équipe niçoise qui les analysera par différentes techniques de chromatographie de gaz multidimensionnels (GCxGC-MS). Afin d’éviter toute contamination durant les manipulations, les échantillons sont marqué à l’aide de Carbone 13 de telle sorte que les excès énantiomériques ne sont mesurés que sur les acides aminés qui contiennent du carbone 13. De nouveaux résultats ont ainsi été récemment obtenus sur 5 acides aminés différents, permettant de généraliser les données obtenues en 2011 sur la seule alanine.

Des excès énantiomériques de même signe ont été obtenus pour les 5 acides aminés (cf figures 2 et 3) : α-alanine, valine (forme protéique), acide 3-diaminopropionique, acide 2-aminobutyrique, et norvaline (forme non protéique). Les excès mesurés sont toujours assez faibles (2% maximum), mais comparables aux excès L observés dans quelques météorites carbonées primitives. Ces résultats viennent renforcer le scénario astrophysique conduisant à une possible source d’asymétrie qui nécessite une forme de chimie prébiotique pour ensuite amener à l’homochiralité via un processus d’amplification encore inconnu.  Le fait que ces 5 acides aminés présentent le même comportement (un excès de même signe avec la même hélicité de l’irradiation UV-CPL) est indispensable pour envisager ce scénario astrophysique. La photochimie des glaces non chirales conduit effectivement à des molécules chirales, mais en présence de lumière UV-CPL, les acides aminés détectés présentent une certaine énantiosélectivité qui conduit à de légers excès énantiomériques (L ou D, en fonction de l’hélicité de la lumière).

Dans le cas de l’alanine, plusieurs expériences ont été menées, en modifiant l’hélicité de la lumière UV-CPL et l’énergie des photons chiraux (6,6 et 10,2 eV). Un lien direct a été observé entre le signe de l’hélicité et le signe des excès mesurés, suggérant un effet induit par dichroïsme circulaire. Par ailleurs, l’irradiation de glaces achirales d’origine et de résidus organiques à température ambiante donne des conclusions similaires. Ce résultat montre clairement la formation d’entités pro-chirales à l’intérieur de glaces achirales, aussi bien que la possibilité de transférer l’asymétrie aux résidus organiques eux-mêmes. Ces résidus pourraient ainsi être présents sous forme de grains dans les nuages moléculaires dans des états déjà avancés, puis s’accumuler dans les planétésimaux et autres débris (comètes, astéroïdes) qui précèdent la formation de planètes (comme la Terre !).

Un fort degré de CPL (jusqu’à 22% dans le domaine des infrarouges) a été observé dans des régions de très forte densité de formation d’étoiles, comme la Nébuleuse d’Orion ou NGC 6334. L’extension spatiale de cette hélicité de CPL observée est beaucoup plus importante que la taille du Système Solaire (d’un facteur 100), ce qui permet de garder des excès de signe constant (L dans le cas de notre Système Solaire), et pourrait expliquer les excès observés dans les météorites.

Au final, cette expérience d’astrophysique de laboratoire pourrait aider à valider une ancienne hypothèse selon laquelle l’énantiosélectivité des molécules biologiques, initialement découverte par Pasteur en 1848, serait le résultat d’un processus déterministe, tel que discuté ensuite par Pierre Curie en 1897, et impliquant l’action de photons asymétriques (ou chiraux).

Indirectement, cette étude suggère aussi que la nébuleuse solaire s’est développée  dans une région de formation d’étoiles massives.  Cette idée a été suggérée il y a 30 ans pour expliquer la présence de radionucléides disparus dans des météorites primitives comme originaires de la supernova à l’origine du nuage moléculaire dont l’effondrement aurait donné naissance au Soleil.

Reste maintenant à étudier d’autres molécules présentant un intérêt pour la chimie prébiotique comme les sucres, qui sous leur forme biologique sont tous de forme D (forme opposée aux acides aminés).

Figure 1 : Le dispositif expérimental MICMOC connecté à la ligne de lumière DESIRS de SOLEIL fonctionnant dans le VUV.

Figure 2 : Analyse énantio-selective en GCxGC – TOFMS des énantiomères 13C  des cinq acides aminés alanine (Ala), 2-aminobutyric acid (2-Aba), valine (Val), norvaline (Norval), and 2,3-diaminopropionic acid (DAP) pour les trois polarisations utilisées (de haut en bas : circulaire gauche, non polarisée et circulaire droite) du rayonnement utilisé à 10.2 eV.

Figure 3 : excès énantiomèriques L (eeL), déterminés par GC×GC-TOFMS, mesurés pour 5 acides aminés différents marqués par  13C. Les valeurs expérimentales sont obtenues à partir de trois échantillons de résidus d’analogues de glace circumstellaire achirale à l’état de résidus irradiés par CPL à 10,2 eV. Les carrés bleus correspondent à un  eeL induit par une CPL droite, les triangles rouges à un  eeL induit par une CPL gauche, les cercles blancs à un  eeL mesuré après irradiation par une lumière non polarisée/polarisée linéairement. Les eeL sont tous de même signe pour les 5 acides aminés avec une hélicité donnée de la lumière