Aller au menu principal Aller au contenu principal

Rôle de la composition minérale des berges de rivières situées en zone humide dans le transfert des métaux traces

Le transport des éléments trace métalliques (ETM), qu’ils soient d’origine naturelle ou liés aux activités humaines, est un enjeu majeur pour la préservation des écosystèmes et la santé publique. Ce transport est regulé par des processus physiques, chimiques et biologiques qu’il est nécessaire de comprendre afin d’appréhender et anticiper d’éventuelles contaminations environnementales.

Dans le but de déterminer le devenir de ces ETM, pourquoi ils sont présents et comment ils se déplacent, l’équipe Nano-BioGéochimie du laboratoire Géosciences Rennes s’est associée à la ligne de lumière LUCIA de SOLEIL et au Laboratoire Interdisciplinaire des Environnements Continentaux de Nancy. Ils ont cherché à mettre en évidence les facteurs influençant les transferts d’ETM en zone humide riparienne*, dont les inondations et assèchements saisonniers entrainent des changements drastiques des conditions physico-chimiques, leur conférant ainsi un rôle majeur dans la mobilité des ETM dans l’environnement.

Dans certaines régions du globe, le régime hydrique des rivières et la composition chimique de leurs eaux sont intimement liés aux zones humides qui les bordent (marais, lagunes, marécages, tourbières...). Ces zones jouent un rôle de tampon qui non seulement reçoit mais aussi transforme et stocke les éléments chimiques organiques ou inorganiques d’origine naturelle ou anthropique. La zone humide riparienne est caractérisée par une alternance de conditions hydriques. En période de hautes eaux, elle est gorgée d’eau et la rivière joue alors un rôle de drain. En période d’étiage (bas niveau des eaux), elle constitue une réserve hydrique qui permet de soutenir le niveau d’eau dans la rivière et la nappe souterraine. Ces conditions particulières contrôlent les mécanismes biogéochimiques responsables du devenir des ETM dans ces environnements.

Lorsque les sols sont saturés en eau, ils se retrouvent progressivement en condition anoxique. Le Fe(III) et tous les éléments qui lui étaient associés tels que les ETM, sont alors solubilisés. En fonction des écoulements (latéral et vertical), ces eaux réduites chargées alors en Fe(II) et en ETM entrent en contact avec le lit des rivières et/ou ses eaux oxydantes au niveau des berges. Cela provoque une précipitation du Fe(II) sous forme de Fe(III) solide à la surface des berges dû à la forte présence d’oxygène (Figure 1).

*riparien : relatif aux rives d’un cours d’eau

Figure 1 : Dépots ferriques observés dans les sédiments de berge d’une rivière drainant une zone humide (Bretagne, France).

Ces dépôts ferriques possèdent des caractéristiques favorables au piégeage d’un grand nombre d’éléments chimiques. Ils agissent donc potentiellement comme un rôle de filtre géochimique entre la zone humide et la rivière.

Analyses sur LUCIA

Les mesures de spectroscopie d’absorption des rayons X (XANES) au seuil K du Fe réalisées sur la ligne de lumière LUCIA ont permis de caractériser ces dépôts ferriques observés en surface. Ils sont majoritairement sous la forme de ferrihydrite (oxyhydroxyde de Fe amorphe), goethite (α-FeOOH, oxyhydroxyde de Fe cristallisé; produit de la transformation de la ferrihydrite) et de petits clusters de Fe associés à de la matière organiques. Le fer apparait sous des formes différentes de celles en amont des berges où l’on observe principalement du fer dans les argiles et sous forme de goethite. (Figure 2).

Figure 2 : (a) Schéma d’une coupe du lit de la rivière et des berges où sont observés les dépôts ferriques. (b) Spectres XANES réalisés au seuil K du fer pour les échantillons de berge, de surface et de subsurface ainsi que les spectres des composés références (argile, oxyde, oxyhydroxyde, Fe lié à la matière organique) utilisés pour calculer les proportions des différentes phases porteuses du Fe dans les différentes zones des berges (c).

La différence de spéciation du Fe à cette interface est primordiale pour le devenir des ETM puisque tout le Fe présent sur ces berges ne présente pas les mêmes propriétés. En effet, en raison de leur très petite taille et de leur faible cristallinité, la ferrihydrite (oxyhydroxyde de fer amorphe) et les associations Fe-matière organique sont les principaux responsables de la sorption des éléments chimiques, ils sont nommés ici Fe-réactif. Une corrélation linéaire existe entre la teneur en Fe-réactif et les concentrations totales de l’essentiel des ETM. Les échantillons de surfaces des berges possèdent les plus hautes teneurs en Fe-réactif et en métaux associés. Deux exemples représentatifs de comportement de métaux sont donnés Figure 3 : arsenic (As) et cuivre (Cu).

Figure 3 : Concentration d’arsenic (a) et de cuivre (b) dans les échantillons de berges (pour différentes tailles de particules) et relation entre les teneurs en As (a) et Cu(b) et la teneur de Fe-réactif.

Conclusions

Les dépôts ferriques se composent majoritairement de structures peu cristallisées et associées à la matière organique, formés rapidement à la surface des berges, agissant donc bien comme un filtre biogéochimique. La remise en suspension de ces oxyhydroxydes de Fe(III) intervient ensuite lors i) de la montée des eaux et ii) de l’érosion des berges par le courant de la rivière. Les eaux de surface de la rivière se trouvent en permanence en conditions oxydantes avec un pH variant de 6.6 à 7.6. Ces conditions ne permettent pas la dissolution des oxyhydroxydes de Fe(III). Ils se retrouvent donc sous forme particulaire dans la colonne d’eau et peuvent être transportés ainsi jusqu’à l’exutoire de la rivière ou sédimenter. Dans ce dernier cas, les conditions seraient amenées à devenir anoxiques et permettraient la dissolution des oxyhydroxydes de Fe(III) et la libération des ETM associés.
Les processus mis en jeu dans le transport des ETM étant identifiés, ces résultats seront pris en compte dans le cas de contamination de sites de ce type. Ils permettront d'aider à choisir, parmi les multiples les techniques de dépollution existantes, la méthode la plus adaptée (phytoremèdiation, biochar, nanoparticules…)