Les premières expériences ont pu reprendre à SOLEIL en respectant les consignes en vigueur pour préserver la sécurité de tous, et c’est notamment le cas des expériences industrielles.
Différents services sont proposés aux entreprises depuis plusieurs années tels que le « mail-in service » : envoi d’échantillon par l’entreprise et collecte et remise des données par SOLEIL à l’entreprise disponible depuis 2008 ; ou encore le « remote-access » : accès piloté à distance disponible depuis 2017 aux entreprises sur les lignes PROXIMA-1 et PROXIMA-2A. Depuis que ces services sont en place, plus de 250 expériences industrielles ont déjà été réalisées en « mail-in-service » et plus de 40 en « remote-access ».
Ces services avancés font d’autant plus sens en cette période où nous devons conserver les règles de distanciation physique, tout en répondant aux urgences des entreprises pour le maintien de leur activité : une priorité pour SOLEIL qui a pour mission de soutenir les entreprises et notamment les start-ups et PMEs.
C’est ainsi qu’une trentaine d’expériences industrielles de 2 à 8 heures ont été réalisées durant la dernière quinzaine de juin, côté biologie et côté matériaux.
Coté Bio :
Voici un focus sur des expériences de biocristallographie qui ont pu être programmées dès la réouverture de SOLEIL en « remote-access » et en « mail-in service ».
Interview de Tatiana Isabet, Ingénieure applications industrielles pour la bio-cristallographie
Tatiana, peux-tu nous expliquer comment se passe une séance en « remote-access » avec nos clients ?
« Comme dans le cas d’une expérience en « mail-in service » (totalement sous traitée à SOLEIL), après réception des dewars (récipients contenant les cristaux) envoyés par nos clients au Magasin de SOLEIL, ces dewars sont acheminés à 14h sur la ligne (PROXIMA-1 ou PROXIMA-2A). Une fois que je les ai réceptionnés, je remplis ces dewars d’azote liquide.
Pour réaliser les expériences, je positionne les « pucks » (contenant de 16 cristaux chacun) dans le dewar du robot rempli d’azote liquide, dans lequel le bras robotisé de la ligne viendra chercher les échantillons. La collecte est contrôlée depuis la cabane de vie de la ligne, via le logiciel « MXCuBE ».
Dans le cas du « Mail-in service », je réalise moi-même cette collecte selon les consignes qui m’ont été transmises au préalable par nos clients. Les entreprises peuvent suivre à distance, si elles le souhaitent, le déroulé de la collecte que je réalise pour elles, via l’application « ISPyB ». Mais toutes ne le font pas et préfèrent profiter de cette sous-traitance totale pour se concentrer sur d’autres activités parallèles. Les données expérimentales leur sont ensuite transférées.
Dans le cas du « remote-access», ce sont les entreprises elles-mêmes qui, connectées via le logiciel « NoMachine » à SOLEIL, prennent la main sur MXCuBE à distance et pilotent la collecte des données depuis leurs locaux. Elles gardent ainsi la maîtrise de la collecte, mais je suis disponible à tout moment, en tant que local contact(1) dédiée, pour intervenir pour toutes questions ou problèmes techniques, via un chat dédié sur MXCuBE, ou d’autres moyens si nécessaire (WhatsApp, SMS, appel téléphonique…) et souvent au démarrage pour aider à la prise en main des outils lorsque cela fait longtemps qu’elles n’ont pas fait de séance en « remote-access ». Les entreprises récupèrent directement leurs données sur la Ruche(2) en se connectant à la machine mukade accessible depuis l’extérieur de SOLEIL ou bien attendent le retour de leur dewar contenant le disque dur avec leurs données. A la fin de l’expérience, je replace les pucks dans les dewars correspondants. Ils sont ensuite réacheminés au Magasin de SOLEIL pour un retour que j’ai organisé (avec les informations transmises par chaque entreprise). »
Réactivité, flexibilité, fiabilité
« Le remote-access est un service très apprécié des entreprises qui peuvent alors réaliser facilement, elles-mêmes, sans se déplacer, une collecte pour des besoins urgents sur des petites quantités de cristaux par exemple, lorsque nous avons une disponibilité entre deux expériences ou sur un créneau qui se libère à la dernière minute. Cela leur évite l’organisation d’un déplacement notamment pour celles qui viendraient de loin pour une courte session. Ce service peut être utilisé ponctuellement ou plus régulièrement si les entreprises le souhaitent. Le fait que je sois sur place, disponible à tout moment, permet de s’assurer que la session en « remote-access » se déroule efficacement et que le temps soit bien optimisé. C’est la facilité de collecter ses données depuis chez soi avec un service support en cas de besoin. »
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(1) Scientifique d’une ligne de lumière qui est l'interlocuteur/trice de référence pour une expérience d’utilisateurs donnée, présent.e pour accueillir et guider, voire dépanner, les utilisateurs en cas de problème, sur place ou à distance.
(2) Plateforme de stockage des données expérimentales, interne à SOLEIL
Réception des dewars sur PX1 par Tatiana Isabet
Laure Delarbre (Sanofi) connectée en « remote-access » via « NoMachine » pour piloter la collecte à distance via MXCuBE
Tatiana Isabet, local contact des expériences industrielles, ici en « Remote-access »
Fabrice Ciesielski (Novalix, voir témoignage ci-dessous), connecté en « remote access »
Témoignage de Fabrice Ciesielski de l’entreprise Novalix
Novalix, PME Alsacienne créée en 2010, issue de la fusion de Alix et Novalist (fondées en 2003), est une société de recherche sous contrats (SRC) qui propose des services et prestations complètes de biologie structurale et chimie à ses propres clients. Elle utilise SOLEIL depuis ses débuts (première expérience en 2011 sur PROXIMA-1) et est depuis un client historique fidèle.
Fabrice, pouvez-vous nous parler de vos liens avec SOLEIL ?
« Nous étions initialement client de l’ESRF (de 2003 à 2010 via Alix) et avons commencé à utiliser SOLEIL, en 2011, à l’occasion d’un arrêt (upgrade) du synchrotron Grenoblois. SOLEIL commençait à proposer ses services auprès des entreprises. Nous étions un peu inquiets au début sur les aspects de débit car SOLEIL n’était pas encore automatisé, mais nous avons rapidement été convaincus par la qualité des données obtenues et l’expertise des équipes sur place très disponibles pour nous assister et débuguer les problèmes durant nos collectes. Le rapport qualité de service /prix a tout de suite été intéressant pour une petite structure comme nous, si bien que nous avons poursuivi nos accès à SOLEIL. Depuis 2011, les lignes de biocristallographie se sont ensuite automatisées avec des robots passeurs d’échantillons. Les excellents rapports humains que nous avons avec les experts de SOLEIL nous permettent d’y gagner scientifiquement. C’est un échange gagnant-gagnant que nous souhaitons pérenniser. »
Le confinement : quels ont été ou sont les impacts pour vos activités ?
« Avant l’annonce du confinement, nous avons réagi et mis en place très rapidement les mesures de distanciations physiques car nous avions décidé de maintenir nos activités. Nous avons encouragé le recours au télétravail quand cela était possible, et aménagé le temps de travail pour le personnel ne pouvant exercer leur activité à distance. C’est le cas par exemple de nos collègues sur la partie expérimentale, amenés à travailler en shift (équipe du matin/équipe de l’après-midi) pour limiter le nombre de personnes dans nos laboratoires. Nous avons donc pu poursuivre nos activités même si le volume de travail a tout de même diminué.
Au début du confinement, suite à l’arrêt général des synchrotrons et notamment, celui de SOLEIL, nous avions mêmes eu des craintes de ne pouvoir satisfaire les demandes de nos clients. Mais finalement nos clients ont été eux-mêmes impactés par le confinement et n’étaient plus en mesure de nous fournir leurs composés à co-cristalliser. Certains projets « cristallo » ont donc été mis en standby.
En revanche d’autres projets en développement ont pu continuer notamment sur les aspects biochimiques.»
Quel est votre retour d’expérience sur le « remote-access » ?
« Nous parlions souvent avec Tatiana lors de nos venues à SOLEIL, des possibilités en « remote-access » que nous devions tester mais nous n’avions jamais trouvé le temps de le faire. Les contraintes du confinement nous ont poussés à franchir le pas, et le test du 2 juin, avant notre session de 8h en remote du 4 juin a été concluant. Nous avons retrouvé les mêmes conditions que sur place, sans noter de délais d’attente lors de l’acquisition des données.
Nous envisageons de pouvoir utiliser ce service, nouveau pour nous, dans le futur, comme une alternative, par exemple pour de courtes sessions où lorsque l’organisation d’une mission d’Illkirch (67) à Saclay devient contraignante.
Cependant, nous souhaitons continuer de venir sur place d’Alsace, car nous apprécions les discussions que nous avons avec Tatiana et les équipes des lignes PROXIMA-1 et PROXIMA-2A. Ces échanges informels pendant les expériences sont très enrichissants et importants pour nous et nos activités. »
Quels sont vos domaines d’activités et d’interventions pour vos clients ?
« Pour le secteur pharmaceutique (qui représente 80 à 90% des activités de Novalix), nous intervenons très en amont dans la recherche de nouveaux médicaments, en identifiant les premières molécules potentiellement candidates. Pour cela, dans un premier temps, nous proposons de screener par RMN, un grand nombre de molécules sur des protéines cibles thérapeutiques, avant de venir cross-valider(3) les hits(4) dans un second temps, par d’autres techniques biophysiques (native-MS(5), SPR(6), ITC(7), biocristallographie…). C’est dans ce cadre que nous venons au synchrotron pour faire de la biocristallographie sur des cristaux de protéines-ligands que nous produisons au sein de Novalix (plateforme de production, purification et cristallisation de protéines cibles), afin d’étudier l’interaction des molécules chimiques avec leur protéine cible. La structure 3D des complexes nous permet de comprendre le mode de binding au niveau atomique, et ainsi de guider la synthèse de nouvelles molécules par cycles itératifs entre les équipes de chimie et de biochimie et nous, la cristallographie, et ainsi optimiser les molécules d’intérêt. Nous passons ensuite la main à nos clients qui vont gérer la suite du processus (essais ADME-TOX(8), pré-cliniques, développement clinique, autorisation de mise sur le marché etc.).
Pour d’autres projets, nous sommes uniquement « utilisés » pour notre expertise en biocristallographie, dans ce cas, nous déterminons les structures 3D de protéines en complexe avec des molécules propriétaires de nos clients. »
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(3) Confirmer par recoupement avec une autre technique
(4) Réponses positives du criblage
(5) Spectrométrie de masse de molécules biologiques natives, c’est-à-dire non modifiées, aussi appelée spectrométrie "supramoléculaire". Cette technique permet d'analyser des macromolécules entières et des complexes de plusieurs molécules.
(6) Résonance plasmonique de surface
(7) Titration calorimétrique isotherme
(8) L’activité d’un médicament dépend de 5 critères : absorption, distribution, métabolisme, excrétion (correspondant aux étapes successives suivies par un médicament dans un organisme) et toxicité. Ce type d’essais vise à évaluer ces critères pour sélectionner les molécules qui seront de bons candidats-médicaments.
Comment êtes-vous organisés au sein de Novalix et quels sont vos autres secteurs applicatifs ?
« Parmi les 120 personnes de Novalix, 1/3 interviennent dans la partie biochimie/biologie et les 2/3 dans la partie chimie.
50% de nos collègues sont sur notre site d’Illkirch (67) et 50 % sont « in-sourcés » (sur site) chez nos clients ou partenaires, comme par exemple à SOLEIL pour notre client SERVIER où 7 personnes de Novalix sont au LBS3 (Laboratoire de Biologie Structurale Servier à SOLEIL).
Comme dit précédemment, la majorité de nos activités concernent le secteur pharmaceutique mais nous avons également des applications dans les secteurs de la cosmétique, de l’agrochimie, ou encore de la chimie fine, où les mêmes méthodes sont utilisées pour optimiser le fonctionnement de certains systèmes moléculaires. C’est le cas par exemple, en biocatalyse, de protéines mutantes qui vont favoriser la transformation de molécules précurseurs pour la synthèse de biocarburants et pour lesquelles nous regardons l’impact des modifications apportées sur ces protéines et leur dynamique pour améliorer leur activité enzymatique. »
Fabrice, pouvez-vous nous parler des bibliothèques de fragments utilisées pour le drug-design(9) ?
« Novalix propose depuis ses débuts, une bibliothèque de fragments pour identifier les molécules candidates soit par RMN (rapide et puissante) soit par d’autres techniques de caractérisation biophysique plus informative (Spectrométrie de masse native, Cristallographie, Résonance Plasmonique de Surface (SPR)). Depuis 2018, nous avons d’ailleurs un partenariat avec le Laboratoire Pierre Fabre pour utiliser leur bibliothèque de fragments naturels (Natural Fragment Library) extraits à partir de plantes qui vient compléter efficacement notre palette d’outils au sein de notre plateforme de biophysique. La diversité et complémentarité des techniques biophysiques que nous proposons est primordiale pour, à partir de petites molécules chimiques (de faibles poids moléculaires et faible affinité) guider la chimie et synthétiser des molécules plus complexes de meilleure affinité et spécificité pour la protéine cible. »
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(9) Conception de médicaments
Et côté matériaux :
Hubert Chevreau, Ingénieur applications industrielles pour les matériaux (photo prise avant le confinement)
Emiliano Fonda, Responsable de la ligne de lumière SAMBA
La première expérience industrielle côté matériaux a eu lieu dès le 28 mai sur SAMBA via le service « Mail-in ».
Nos collègues, Emiliano et Hubert, ont commencé à régler la ligne le jeudi matin (ici pour des mesures au seuil du Cobalt) pour un nouveau client Belge de SOLEIL. Et malgré un petit retard de livraison, les échantillons ont fini par arriver à temps, le jeudi midi.
Hubert a pu rapidement conditionner les échantillons au Laboratoire de Chimie (poudres issues de 3 lots, compactées sous forme de pastilles) pendant qu’Emiliano finalisait les réglages de SAMBA.
Par chance, la concentration en cobalt dans ces trois lots était suffisante et les mesures ont pu être réalisées par nos collègues assez rapidement sur les 3 échantillons pastillés, l’après-midi du jeudi.
Les spectres obtenus vont pouvoir être traités et comparés (fitting(10), combinaisons linéaires…) aux spectres mesurés sur des échantillons de références (formes chimiques du Cobalt suspectées dans le mélange de notre client) qu’Emiliano a pu mesurer la veille dans des conditions expérimentales similaires à celles des 3 lots mesurés ce jeudi 28 mai.
L’expérience terminée, Hubert a pu repartir avec les données collectées afin de les traiter, de les analyser et de les interpréter selon la demande de l’entreprise et conformément aux engagements de SOLEIL mentionnés dans le contrat. L’analyse permettra d’identifier les formes chimiques du Cobalt présentes dans chaque mélange. Le rapport d’analyse a pu être remis en début de semaine suivante à notre client.
Merci à nos collègues pour leur réactivité, leur synergie et investissement pour la mission de SOLEIL auprès des entreprises.
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(10) Chercher à faire correspondre des spectres expérimentaux avec des spectres de référence
« Fastosh » comme facile et rapide
Gautier Landrot, scientifique sur la ligne de lumière SAMBA
Pour répondre aux besoins d’analyses des Entreprises, Hubert s’est appuyé sur un programme bien utile, développé par Gautier pour les besoins de SAMBA mais pas que.
Ce programme autonome, en libre accès nommée Fastosh, permet de traiter (normalisation des spectres, soustraction du bruit de fond, suppression d’artéfacts entre autres…) rapidement les données brutes de spectroscopie d’absorption X générées sous le format ASCII, qu’ils s’agissent de mesures pas à pas ou in situ à haut débit (en mode scan continu par exemple).
Ce qui a motivé la réalisation de Fastosh était de fournir des outils notamment pour :
- exploiter l’intégralité des données relatives aux détecteurs fluorescence multi-pixels de SAMBA ;
- visualiser automatiquement les résultats en temps réel, afin d’aider les utilisateurs à déterminer quand suffisamment de données ont été collectées et quand l’acquisition peut être stoppée ;
- mieux identifier la nature de formes chimiques présentes dans des mélanges complexes, grâce à des outils de chimiométrie inclus dans Fastosh ;
- créer facilement des figures pour optimiser la valorisation des résultats dans les articles, des rapports expérimentaux de SOLEIL, ou des rapports d’analyse pour des demandes industrielles entre autres.
La version test de ce programme est disponible depuis le début de l’année 2020 et accessible sur la ligne via une interface conviviale inspirée d’un environnement bien connu de la communauté XAS (Athena). Elle permet ainsi aux utilisateurs de traiter on-line les données et de suivre la progression des acquisitions en plus de proposer d’autres fonctionnalités particulièrement intéressantes pour des applications géochimiques et environnementales.
En savoir plus : https://goldschmidtabstracts.info/2018/1402.pdf