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Quels sont les mécanismes à l’origine de la préservation de textiles archéologiques sur des milliers d’années ?

Une équipe interdisciplinaire a révélé le mécanisme à l'origine de la conservation exceptionnelle de vestiges textiles de l'Orient ancien datant de 4000 ans. L'imagerie de ces échantillons archéologiques dans différents domaines d’énergie du spectre lumineux a permis de reconstruire un scénario physico-chimique expliquant leur préservation morphologique à l'échelle nanométrique. En particulier, les résultats de microtomographie aux rayons X (µ-CT) collectés sur la ligne ANATOMIX ont permis d'appréhender son étape clé de silicification (le remplacement de constituants organiques par des minéraux silicatés) à travers la spéciation spatiale des phases organiques et minérales présentes dans ces spécimens hétérogènes.

En archéologie, les fragments de textiles anciens peuvent se révéler particulièrement précieux : dans certains cas ils apportent les seules connaissances accessibles sur des productions textiles ancestrales pour des usages vestimentaires ou rituels, mais aussi pour de nombreuses fonctions techniques comme le transport de matériaux, l'emballage ou la production d'objets. Malheureusement, les textiles organiques, composés principalement de cellulose, sont généralement dégradés très rapidement par les conditions environnementales et peu de ces artefacts réussissent à traverser les âges. Cependant, dès le 19e siècle, les archéologues fouillant les grands sites du Moyen-Orient ont été surpris par la présence de nombreuses empreintes textiles identifiables, retrouvées pétrifiées à la surface d'objets, souvent métalliques (FIG. 1).

Figure 1 : Fragment d’un textile minéralisé sur une plaque de cuivre corrodée datant du 3e millénaire avant J.-C. (site de Nausharo, Pakistan). Barre d'échelle : 10 mm.

Ce phénomène, appelé « minéralisation » avait déjà pu être observé même dans des contextes très défavorables à la préservation de la matière organique. Ainsi en 1751, apparaissait déjà une définition de la « pétrification » dans l'Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, éditée par Denis Diderot et Jean Le Rond d'Alembert. À l'aide de la microtomographie aux rayons X (µ-CT), cette « opération de la nature, par laquelle un corps du règne végétal, ou du règne animal, est converti en pierre en conservant toujours la forme qu’il avait auparavant » a aujourd’hui pu, grâce à des expériences conduites à SOLEIL, être décrite à l'échelle submicrométrique

Des fibres cellulosiques prélevées sur des textiles, exceptionnellement conservées et exhumées à proximité d’objets en cuivre, ont été imagées par µ-CT sur la ligne de lumière ANATOMIX. Les sections et volumes virtuels 2D ou 3D (FIG. 2), avec une résolution spatiale inférieure à 1 µm, permettent d’apprécier l’histologie des fibres ainsi que certaines altérations comme des microfissures.

Figure 2 : Volume virtuel µ-CT synchrotron après reconstruction (A) et section virtuelle 2D (B) d’un faisceau de fibres minéralisées prélevé sur un textile issu du site archéologique de Tello (Iraq). La reconstruction 3D permet d’estimer le coefficient d'atténuation local (représenté en niveaux de gris). Barre d’échelle : 100 µm.

En mettant en place un protocole semi-quantitatif d’acquisition de données et d’analyse en microtomographie, il a été possible de corréler les niveaux de gris des images à différentes phases organique et minérales (FIG. 3). En particulier, une « minéralisation positive » a pu être mise en évidence pour les fibres les plus minéralisées via l’observation de phases siliceuses dans toutes leurs parois cellulaires (FIG. 3D).

Figure 3 :
(A et B) Sections virtuelles associées à une fibre faiblement minéralisée du site de Gonur-Depe au Turkménistan
(A) et à un faisceau de fibres fortement minéralisées du site de Tello en Irak (B).
(C et D) Images obtenues par segmentation des sections virtuelles montrant la distribution des principales phases en présence (bleu, phase organique ; rouge, phase constituée de composés solubles de calcium, de silicium et de cuivre ; jaune, vert et violet, silicates de cuivre). Barre d'échelle : 20 µm.

Associés à la microscopie à force atomique dans l'infrarouge (AFM-IR) et à la microscopie par génération de seconde harmonique (SHG), les résultats de µ-CT permettent de mieux comprendre les processus qui ont conduit à la préservation exceptionnelle des matériaux cellulosiques à l'échelle submicrométrique. Pendant une courte période de temps après l'enfouissement des textiles, les fibres sont protégées d’une dégradation rapide par les micro-organismes grâce à l'action biocide des cations métalliques libérés lors de la corrosion des objets métalliques enterrés à proximité. Année après année, les chaînes cellulosiques se dégradent chimiquement et les macrofibrilles cellulosiques perdent leur cristallinité. Cette désorganisation favorise en retour la diffusion des solutés du sol, d'abord à la surface des fibres, puis plus lentement à travers leurs parois cellulaires. À terme, cela conduit à leur silicification par condensation des composés silicatés à la manière des synthèses sol-gel mises en œuvre en chimie, ce qui leur confère un aspect minéral ou « pétrifié ».

Ce travail se poursuit aujourd’hui au laboratoire de Photophysique et photochimie supramoléculaires et macromoléculaires (PPSM, ENS Paris-Saclay, CNRS) à partir de l’observation à des échelles microscopiques d’un large corpus de textiles celtes de l’âge du Fer, dans le cadre du travail de thèse de Clémence Iacconi, qui conduit des expériences sur les lignes PSICHÉ et PUMA de SOLEIL avec un large consortium de recherche associant équipes françaises et des Pays-Bas.