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Potentiel d’ionisation du radical cyano et implications pour la chimie du cation CN+ dans l’espace

Le radical cyano (CN) est une espèce omniprésente dans de nombreuses réactions et dans des environnements variés (plasmas, combustion, etc…). C’est par exemple l’une des premières espèces détectées dans les milieux astrophysiques comme les comètes (en 1881) ou encore les nuages diffus. Pourtant, son potentiel d’ionisation (IP) était jusqu’alors très mal connu.

Des chercheurs de l’ISMO (Orsay), de SOLEIL, de l’Institut de Chimie Physique et Théorique (Würzburg) et de l’Institut des Sciences Moléculaires (Bordeaux) ont pour la première fois pu mesurer le potentiel d’ionisation du radical cyano sur la ligne de lumière DESIRS de SOLEIL, grâce notamment au spectromètre double imageur (photoélectrons/photoions en coïncidence) DELICIOUS III de la ligne.

Dans les régions de l’Espace dominées par la photodissociation, la réaction de transfert de charge CN+ + CO -> CN + CO+ joue un rôle important dans la chimie de l’azote. L’enthalpie de cette réaction peut être déduite des potentiels d’ionisation (IP) des espèces CN et CO. Jusqu’à présent, bien que l’IP de CO ait été mesuré très précisément, l’IP de CN était encore très mal connu ce qui laissait penser que cette réaction était très favorable même à très basse température.

Grâce à une expérience couplant une source radicalaire en phase gazeuse originale, l’excitation par le rayonnement synchrotron et une technique de détection par double imagerie (ion/électrons), l’IP de CN a été mesuré pour la première fois précisément. Les résultats montrent que la réaction de transfert de charge CN+ + CO -> CN + CO+ devrait être très lente à basse température.

Le radical cyano a été produit en phase gazeuse dans un tube à écoulement incorporant une source de fluor atomique. Le principe de cette source est basé sur la grande réactivité du fluor atomique avec les espèces hydrogénées. Celui-ci arrache les atomes d’hydrogène d’un précurseur pour former HF permettant ainsi de produire efficacement des espèces radicalaires. Dans le cas de cette étude, nous avons utilisé le cyanoacétylène (HC3N) pour produire le radical C3N qui, au sein du tube à écoulement, réagit avec le précurseur restant pour former le cyanure d’hydrogène (HCN), qui réagit à son tour avec le fluor atomique pour produire le radical CN. Un schéma de la source radicalaire est présenté dans la Figure 1.

Figure 1: Schéma de la source radicalaire utilisée pour produire le radical cyano

Les espèces ainsi produites sont par la suite ionisées par le rayonnement VUV monochromatique de la ligne DESIRS. Les ions et les électrons formés sont alors analysés avec le spectromètre double imageur (photoélectrons/photoions en coïncidence) DELICIOUS III. Grâce à cet appareil, il est possible d'étudier sélectivement les électrons éjectés d’une espèce neutre de masse précise et, par mesure de leur énergie cinétique, déduire des informations concernant les transitions de photoionisation de l’espèce en question et donc la spectroscopie du cation correspondant. Le spectre de photoélectrons ainsi obtenu pour le radical CN est présenté dans la Figure 2.

Afin de pouvoir attribuer les transitions vibroniques visibles dans le spectre de photoélectrons de seuil, les chercheurs ont fait des calculs ab initio sur le radical CN neutre et son cation. Les surfaces de potentiels ainsi obtenues leur ont permis de prédire avec un très bon accord le spectre expérimental et ainsi de tirer des informations fiables de leur mesure. La comparaison des calculs avec le spectre expérimental ainsi que les attributions des bandes observées sont présentées dans la Figure 2.

Figure 2 : Spectre de photoélectrons expérimental (en haut) et calculé (en bas et au milieu) du radical cyano.

Cette expérience a permis d’observer pour la première fois des transitions de photoionisation du radical CN et, combinée à des calculs théoriques, de tirer des informations importantes sur ce radical et son cation. En particulier, il a été possible de montrer que le potentiel d’ionisation de CN est légèrement inférieur à celui de la molécule CO, ce qui implique une endothermicité de la réaction CN+ + CO -> CN + CO+ à basse température.

Ce résultat remet donc en question les hypothèses antérieures concernant cette réaction dans les modèles photochimiques des milieux astrophysiques à basse température.