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Portrait de Corentin Chatelier, récompensé par deux fois pour ses travaux de thèse effectuée sur la ligne de lumière SIXS

Corentin Chatelier a soutenu sa thèse, intitulée « Sur les structures de surface et les propriétés catalytiques des intermétalliques à base d’aluminium » le 15 décembre 2020. Ses travaux, effectués sur la ligne de lumière SIXS et à l’institut Jean Lamour de Nancy, ont été récompensés par deux prix : Prix de thèse 2021 de l’université de Nancy et Prix de thèse 2022 de l’Association Française de Cristallographie.

Dans ce portrait, découvrez-en plus sur son parcours, son expérience de doctorant à SOLEIL et à l’Institut Jean Lamour (IJL) et ses travaux scientifiques.

Son parcours

Après deux années en classes préparatoires de physique chimie à Lyon, Corentin intègre l’École des Mines de Nancy dans le département matériaux (physique de la matière). Pour la première fois, le département propose un cours « projet recherche », qui permet à Corentin de passer un jour par semaine pendant un an dans l’équipe d’Emilie Gaudry à l’Institut Jean Lamour. Lors de ce projet, Corentin traite des données de diffraction de surface des rayons X obtenues à l’ESRF, un exercice qu’il reproduira lors de sa thèse quelques années plus tard. Il poursuit ce travail d’analyse dans le laboratoire de Roberto Felici au synchrotron Européen ESRF sur la ligne de lumière ID03 pendant un stage de 2 mois en tant qu’assistant ingénieur. Ces travaux donnent lieu à une publication scientifique, la première de Corentin. Il décide ensuite de partir à l’étranger pour 2 ans dans le cadre d’un double diplôme entre l’école des Mines et l’Université de l’Alberta. Il y continue les cours mais fait aussi de la recherche, cette fois dans le domaine de la métallurgie et alliages. Après l’obtention de son diplôme en science et ingénierie des Matériaux décerné par l’école des Mines de Nancy et l’Université d’Alberta, il décide de poursuivre en thèse.

 

Pourquoi une thèse ?

Ayant, à l’issue de son école d’ingénieur, toujours travaillé sur des résultats obtenus sur synchrotron, Corentin avait la volonté de faire une thèse dans un de ces très grands équipements de recherche, pour en explorer le coté expérimental.

« On va jusqu’au bout ! De A à Z » - Corentin Chatelier

La volonté c’est bien mais pour faire une thèse il faut aussi un sujet, (au moins) un laboratoire d’accueil, et un financement. Corentin contacte son ancien directeur de stage à l’ESRF, le Dr. Felici, pour savoir s’il serait possible de faire une thèse dans son laboratoire. Le Dr Felici le redirige alors vers Alessandro Coati, responsable de la ligne de lumière SIXS à SOLEIL. Et là, banco, Alessandro est partant pour se lancer dans ce projet ! Il nous raconte : « Roberto Felici m’avait dit qu’il s’agissait d’un étudiant brillant, mais qu’il ne pouvait pas lui offrir une thèse à ce moment. Il me l’a fortement recommandé. Notre première rencontre était un peu particulière : elle eut lieu via Skype, et Corentin se trouvait dans une pièce sombre à Edmonton, en Alberta. Le rapport a été très simple et constructif. Nous avons ensuite eu un deuxième entretien avec l’équipe, pour “tester” Corentin. Il a été brillant dans ses réponses aux questions. Puis j’ai contacté Emilie Gaudry - sa professeure et encadrante de son stage- qui a tout de suite voulu mettre en place une collaboration forte pour travailler avec Corentin. »

Corentin obtient un cofinancement pour sa thèse : SOLEIL d’une part et la région Grand-Est d’autre part, pour 3 ans de doctorat. Ainsi, à peine terminée sa dernière année d’école d’ingénieur le 25 octobre 2017 au Canada, que voilà Corentin le 1er novembre à SOLEIL !

 

Son sujet de thèse

La thèse porte principalement sur les matériaux optimisés pour la catalyse. La catalyse est l’action de modifier la vitesse ou le rendement d’une réaction chimique, soit pour qu’elle ait lieu plus rapidement qu’elle ne se ferait naturellement, soit pour produire une substance plutôt qu’une autre. Un exemple de catalyse dans la vie de tous les jours est celui du pot catalytique des voitures. Le platine déposé à l’intérieur du pot va permettre la réaction entre l’oxygène de l’air (O2) et les gaz toxiques produits par le moteur : monoxyde de carbone (CO), oxydes d’azote (Nox), pour produire de l’azote (N2) et du dioxyde de carbone (CO2) inoffensifs (mis à part la contribution du CO2 à l’effet de serre…).

Lors de sa thèse, Corentin étudie des composés qui permettraient de remplacer les catalyseurs chers et toxiques tels que le platine ou le palladium, qui sont aujourd’hui largement utilisés. Les composés étudiés sont des catalyseurs intermétalliques à base d’aluminium, c’est-à-dire des alliages d’aluminium et de fer ou de cobalt. Ces métaux sont peu chers, abondants, leur extraction est moins polluante que celle des catalyseurs plus classiques, pouvant être (théoriquement) des catalyseurs aussi efficaces que le platine.

Corentin nous explique que « L’aluminium seul ou le cobalt seul, ça ne marche pas. Il faut des alliages très particuliers avec une structure électronique* en surface très particulière »

 

En effet, dans un alliage, l’association de l’aluminium et du fer (Al13Fe4) forme des motifs en surface en forme de fleur avec deux pentagones d’aluminium entourant chacun un atome de fer isolé (voir Figure 1). Les atomes d’aluminium et de fer mettent en commun leurs électrons et le fer agit comme un site d’adsorption intéressant pour des molécules de butadiène (C4H6)

« Quand on mélange de l’aluminium et du fer dans des proportions particulières, cette structure, ces motifs se forment. Et on s’est dit, pourquoi ne pas utiliser ça pour la catalyse d’hydrogénation du butadiène. Et ça a marché ! C’est ça la recherche, on teste des choses et on découvre de nouveaux mécanismes ou structures ».

Le but de sa thèse est de comprendre comment cette catalyse se fait : où sont les atomes, quels sont les mécanismes de réaction, les mouvements des atomes. Pour cela, Corentin a utilisé la diffraction de surfaces des rayons X sur SIXS pour connaitre la position des atomes, puis a effectué des calculs de chimie quantique en modélisant mathématiquement l’interaction des électrons entre tous les atomes pour connaitre la structure électronique de l’échantillon.

Ses travaux

Corentin, accompagné par les scientifiques de la ligne SIXS et par l’équipe de l’IJL, teste ses catalyseurs dans le cadre de réactions d’hydrogénation. C’est-à-dire la réaction chimique entre des molécules d’hydrogène H2 et, ici, des molécules de butadiène (C4H6). Lors de ces réactions, les molécules initiales vont interagir, échanger des électrons, pour former de nouvelles molécules. La surface du catalyseur va permettre de favoriser cette interaction et ces échanges entre les molécules de réactifs, et dans ce cas la fabrication de molécules de butène - ou bien de butane si le catalyseur est moins sélectif.

« C’est que du partage, la chimie ! » - Corentin Chatelier

Comme la réaction de catalyse se déroule à la surface du catalyseur, c’est là qu’il faut regarder. C’est pour cela que Corentin utilise SIXS. La ligne de lumière est équipée d’un diffractomètre à incidence rasante, c’est-à-dire que la lumière, les rayons X, vont effleurer la matière. Ainsi, le signal de diffraction obtenu, qui correspond à « la réponse » de l’échantillon étudié aux rayons X qu’il reçoit, est quasiment uniquement dû à sa surface, et pas à ses couches d’atomes plus profondes – donc bien là où la réaction catalytique a lieu. De plus, le faisceau de rayons X de SOLEIL est très brillant, c’est-à-dire que la quantité de photons du rayonnement synchrotron est très élevée, ce qui permet une très bonne résolution. En effet, le ratio signal (donné par l’échantillon étudié) sur bruit est bien meilleur qu'avec une source de rayons X de laboratoire. Les travaux de recherches effectués au cours de cette thèse ont permis d’apporter de nouvelles connaissances sur les structures de surface et les propriétés d’adsorption et de catalyse de certains intermétalliques à base d’aluminium.

Nous avons interrogé Corentin sur les potentielles applications du futur de ses travaux de thèse. Il nous répond : « Eh bien l’application, si on veut être très optimiste, serait d’utiliser à grande échelle les catalyseurs que j’ai caractérisés, mais en réalité ce n’est pas vraiment possible car mes catalyseurs sont des systèmes modèles. Donc, mes travaux ont surtout permis de mettre en place une méthodologie de caractérisation qui pourra être utilisée par d’autres scientifiques (pour identifier de nouveaux catalyseurs, NDLR). ». Et, pour conclure : « Dans la recherche fondamentale, ce qui est intéressant c’est de comprendre les choses et pas forcément pourquoi ou comment les utiliser ».

Corentin rédige sa thèse en pleine pandémie, malheureusement lui-même atteint de la COVID-19... C’est donc une période difficile qu’il surmonte avec brio néanmoins puisqu’il soutient sa thèse le 15 décembre 2020 et se voit décerner le titre de docteur en sciences des matériaux de l’Université de Lorraine. Ces travaux de thèse donnent également lieu à 4 publications scientifiques en 3 ans !

« 12 manips synchrotron en 3 ans, l’utilisation de clusters informatiques nationaux pour l’équivalent de 3 millions d’heures de calcul … On a beaucoup bossé ! »

Sur la recommandation de son directeur d’école doctorale (C2MP - Chimie Mécanique Matériaux Physique, Université de Lorraine) impressionné par ses travaux, Corentin postule et obtient le prix de thèse 2021 de l’université de Lorraine. Puis l’Association Française de Cristallographie lui décerne le prix de la thèse 2022.

« C’est un peu une fierté de se dire « même si tu ne vas pas bien, tu peux arriver à faire des trucs chouettes !» »

 

Et maintenant ?

Corentin a enchainé sa thèse et son post doctorat, commencé un mois après sa soutenance de thèse !

Depuis Corentin est ingénieur et chercheur post-doctorant au sein de l'Institut de Recherche Interdisciplinaire de Grenoble, Service Modélisation et Exploration des Matériaux, Laboratoire Nanostructures et Rayonnement Synchrotron, en collaboration avec la ligne de lumière ID01 de l'ESRF, et il continue sa collaboration avec Alessandro Coati et l’équipe de la ligne SIXS en poursuivant l’étude de catalyseurs, cette fois en utilisant une technique d’imagerie qui exploite la cohérence des rayons X, mais ça, c’est une autre histoire...

« C’est toujours un plaisir de collaborer avec Corentin. Il a acquis pas mal de nouvelles compétences, notamment dans la diffraction cohérente, et cela nous permet de découvrir ensemble cette nouvelle technique qu’on a commencé à mettre en place sur SIXS grâce à Andrea Resta (scientifique de ligne sur SIXS NDLR) et au reste de l’équipe. » nous explique Alessandro.

Plus tard, Corentin souhaiterait continuer dans la recherche et pourquoi pas devenir scientifique de ligne dans un synchrotron comme SOLEIL. Mais, pour l’instant, il continue sur sa superbe lancée ! Fin août 2022, lors de la conférence ECM33, il a obtenu le prix Poster « Applied Crystallography » de l’International Union of Crystallography pour ses travaux de post-doctorat !

* structure électronique : répartition des électrons d’un atome autour de son noyau