« Lait de lune » : cette substance étrange couvre les parois de certaines grottes, pouvant effacer des peintures préhistoriques. De quoi est-elle constituée ?
Des recherches ont été réalisées sur la ligne infrarouge SMIS en 2009. Dans le cadre de notre série "Chapitre suivant", nous avons retrouvé les scientifiques filmés en 2009 et leur avons demandé comment leurs travaux de recherche ont avancé depuis.
Le paléoclimatologue Dominique Genty (EPOC, Bordeaux) filmé ici en 2009, sur la ligne de lumière SMIS.
En 2009, Dominique Genty, paléoclimatologue, arrive au synchrotron SOLEIL avec des boîtes de Petri dans lesquelles s'étale une étrange substance blanche rappelant la croûte de Camembert. Pourtant, cette matière molle et laiteuse a été prélevée sur les parois d'une grotte préhistorique. On l'appelle « lait de lune », ou encore « moon milk », ou de façon plus usitée « mondmilch ». À Lascaux, il y a quelques milliers d'années, elle a investi un couloir entier et probablement recouvert des peintures désormais inaccessibles. À Chauvet, il y a plus de 30.000 ans, les hommes préhistoriques ont dessiné des animaux avec leurs doigts dans le mondmilch des parois, et ces dessins parfaitement préservés ont encore un aspect très frais et saisissant.
D’après les images de microscopie électronique, le mondmilch semble être un assemblage de calcite et de matière organique. À SOLEIL, Dominique Genty choisit de caractériser ses échantillons en utilisant le rayonnement infrarouge de la ligne SMIS. Et les mesures dévoilent des signatures caractéristiques : celles de bactéries filamenteuses, et de champignons. Le mondmilch est donc un assemblage complexe d'eau, de matière minérale et d'organismes vivants – aujourd'hui fossilisés. « C'est étonnant de voir à quel point ce matériau qui a plusieurs dizaines de milliers d'années semble vivace », commente le paléoclimatologue.
Ces travaux viennent alors étayer la thèse que soutient Florian Berrouet en décembre 2009, sous la direction de Jean-Michel Geneste, conservateur de la grotte de Lascaux. Il y recense un nombre impressionnant de grottes couvertes de la matière blanchâtre, et voit dans le mondmilch une véritable empreinte du temps archéologique, ainsi qu'un medium à part entière pour l'art pariétal. Un peu comme comme si les artistes d'aujourd'hui disaient pratiquer couramment le fusain, l'aquarelle... et le mondmilch.
De son côté, Dominique Genty élargit la problématique à des formations de calcite qu'on appelle des « gours », des dépôts que l'on trouve dans des grottes et qui forment de petits barrages retenant l'eau. Il entreprend une vaste campagne de datation de ces gours à l'aide du carbone 14 et de la méthode uranium-thorium. Ces gours, qui en termes de structure sont parents du mondmilch, datent de 8.000 ans avant nos jours. « Avec cette étude, nous avons même fait la couverture de la revue Radiocarbon », se souvient avec grand plaisir Genty.
Aujourd'hui, il mène un important projet soutenu par l'ANR, nommé DECACLIM, qui vise à comprendre comment le changement climatique affecte les grottes ornées. Le projet ambitionne aussi de définir des méthodes de conservation adaptées. Dominique Genty dispose pour cela de mesures parmi les plus longues au monde, réparties sur quasiment trente ans. Car c'est dans les années 90 qu'il a eu une idée inspirée : équiper nombre de grottes de capteurs de température, d'humidité, et de CO2. Il constate dans ses données une évolution nette, d'environ +1°C pour la température par exemple. L'entreprise va durer quatre ans, et aboutira notamment à la modélisation, au sein d'une grotte ornée, de l'écoulement de l'air et de sa condensation sur les parois.