Moon Milk ou Lait de Lune (les grottes préhistoriques)
« Lait de lune » : cette substance étrange couvre les parois de certaines grottes, pouvant effacer des peintures préhistoriques. De quoi est-elle constituée ?
Ces recherches ont été menées sur la ligne de lumière infrarouge SMIS, en 2009.
Automne 2024 : retour sur ces recherches
En 2009, Dominique Genty, paléoclimatologue, arrive au synchrotron SOLEIL avec des boîtes de Petri dans lesquelles s'étale une étrange substance blanche rappelant la croûte de Camembert. Pourtant, cette matière molle et laiteuse a été prélevée sur les parois d'une grotte préhistorique. On l'appelle « lait de lune », ou encore « moon milk », ou de façon plus usitée « mondmilch ». À Lascaux, il y a quelques milliers d'années, elle a investi un couloir entier et probablement recouvert des peintures désormais inaccessibles. À Chauvet, il y a plus de 30.000 ans, les hommes préhistoriques ont dessiné des animaux avec leurs doigts dans le mondmilch des parois, et ces dessins parfaitement préservés ont encore un aspect très frais et saisissant.
D’après les images de microscopie électronique, le mondmilch semble être un assemblage de calcite et de matière organique. À SOLEIL, Dominique Genty choisit de caractériser ses échantillons en utilisant le rayonnement infrarouge de la ligne SMIS. Et les mesures dévoilent des signatures caractéristiques : celles de bactéries filamenteuses, et de champignons. Le mondmilch est donc un assemblage complexe d'eau, de matière minérale et d'organismes vivants – aujourd'hui fossilisés. « C'est étonnant de voir à quel point ce matériau qui a plusieurs dizaines de milliers d'années semble vivace », commente le paléoclimatologue.
Ces travaux viennent alors étayer la thèse que soutient Florian Berrouet en décembre 2009, sous la direction de Jean-Michel Geneste, conservateur de la grotte de Lascaux. Il y recense un nombre impressionnant de grottes couvertes de la matière blanchâtre, et voit dans le mondmilch une véritable empreinte du temps archéologique, ainsi qu'un medium à part entière pour l'art pariétal. Un peu comme comme si les artistes d'aujourd'hui disaient pratiquer couramment le fusain, l'aquarelle... et le mondmilch.
De son côté, Dominique Genty élargit la problématique à des formations de calcite qu'on appelle des « gours », des dépôts que l'on trouve dans des grottes et qui forment de petits barrages retenant l'eau. Il entreprend une vaste campagne de datation de ces gours à l'aide du carbone 14 et de la méthode uranium-thorium. Ces gours, qui en termes de structure sont parents du mondmilch, datent de 8.000 ans avant nos jours. « Avec cette étude, nous avons même fait la couverture de la revue Radiocarbon », se souvient avec grand plaisir Genty.
Aujourd'hui, il mène un important projet soutenu par l'ANR, nommé DECACLIM, qui vise à comprendre comment le changement climatique affecte les grottes ornées. Le projet ambitionne aussi de définir des méthodes de conservation adaptées. Dominique Genty dispose pour cela de mesures parmi les plus longues au monde, réparties sur quasiment trente ans. Car c'est dans les années 90 qu'il a eu une idée inspirée : équiper nombre de grottes de capteurs de température, d'humidité, et de CO2. Il constate dans ses données une évolution nette, d'environ +1°C pour la température par exemple. L'entreprise va durer quatre ans, et aboutira notamment à la modélisation, au sein d'une grotte ornée, de l'écoulement de l'air et de sa condensation sur les parois.
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Transcription audio de la vidéo
Dominique Genty
C’est friable, cela se casse… cela ressemble un peu à de la croûte de camembert et en fait quand c’est frais c’est mou.
C’est plein d’eau, enfin il y a 2/3 d’eau.
VOIX OFF
Cette étrange substance blanche, le chercheur Dominique Genty l’a prélevée sur les parois d’une grotte préhistorique.
Son aspect blanc laiteux lui vaut un surnom des plus poétiques.
Dominique Genty
Moon milk en anglais, mond milch en allemand, lait de lune en français, enfin on l’appelle plutôt mond milch.
VOIX OFF
Mais bien que joliment nommé, la substance blanche peut causer des dégâts. Par exemple, il y a quelques milliers d’années du mond milch s’est installé sur les parois d’un couloir des grottes de Lascaux.
Dominique Genty – Directeur de recherche du Laboratoire des Sciences du Climat et de l’Environnement (CEA/CNRS/UVSQ)
Donc cela a été postérieur aux peintures d’accord, donc évidement cela a probablement effacé sans doute des œuvres pariétales.
Tout le couloir blanc de la grotte de Lascaux, peut être que derrière il y a des peintures, on ne sait pas ?
Par contre il y a aussi du mond milch qui est plus ancien.
C'est l’exemple de la grotte Chauvet où les hommes préhistoriques, il y a plus de 30 000 ans, juste avec leurs doigts ont dessiné des animaux comme des mammouths et c’est vrai quand on voit les dessins fait sur du mond milch dans les grottes, on a l’impression que cela a été fait il y a quelques jours, c’est très (très) frais.
Donc, c’est quelque chose qui est très stable et qui sans doute évolue très (très) lentement.
VOIX OFF
Mais de quoi est fait ce mond milch aux propriétés si singulières ?
Dépôt minéral, champignon ou bien bactérie ?
En réalité le mond milch est un mélange de tout ça.
Dominique Genty
Alors là, c’est une image prise au microscope électronique donc on voit que c’est composé d’aiguilles de calcite et sous ces aiguilles de calcites on voit des filaments très fins.
Des formes sphériques ici.
Alors cela peut être des bactéries filamenteuses. Cela peut être aussi en partie des champignons… Pour l’instant pour ce type de mond milch on ne sait pas.
VOIX OFF
La composition exacte de la substance blanche est encore bien mal connue.
Elle pourrait varier d’une grotte à l’autre, voire d’une paroi à l’autre à l’intérieur d’une même grotte.
Alors pour en savoir plus, les scientifiques se sont rendus avec leurs échantillons au Synchrotron SOLEIL.
Grâce au faisceau infrarouge de la ligne de lumière nommée SMIS, ils ont analysé avec une extrême précision la composition de prélèvements provenant de différentes grottes préhistoriques.
Dominique Genty
Ce qui nous intéresse c’est d’extraire la matière organique du mond milch, de l’analyser de cette façon là avec un faisceau le plus fin possible, avec un faisceau le plus stable possible.
Dans cette courbe ici, ces pics là en fait sont caractéristiques d’un matériel organique bien particulier.
2ème scientifique
Tu vois là c’est intéressant car tu peux voir que c’est du matériel qui est sorti d’un filament.
Dominique Genty
On a trouvé sur les échantillons que l’on a analysés à la fois de traces de bactéries et des traces de champignons.
VOIX OFF
Les résultats obtenus seront complétés par des analyses biologiques.
Avec ces travaux les scientifiques espèrent en apprendre davantage sur les processus de formation du mond milch.
Dominique Genty
On va essayer de comprendre comment se forme le mond milch.
Probablement grâce à des processus physico-chimiques, des changements de températures ou de pressions de gaz carboniques dans la grotte mais aussi peut être grâce à la participation de ces organismes qui sont soit des champignons, soit des bactéries.
VOIX OFF
En comprenant mieux les mécanismes et les conditions de développement du mond milch, les scientifiques pourront déduire quelles étaient les conditions environnementales il y a plusieurs milliers d’années lorsque le mond milch s’est développé.
Leurs travaux devraient également permettre d’améliorer la préservation des peintures préhistoriques.
Dominique Genty
Par exemple dans une grotte ornée, si on la fait visiter, les visiteurs vont apporter du gaz carbonique, de l’humidité, de la température donc cela va changer les conditions d’origine de la grotte.
Ces changements-là peuvent provoquer des conditions favorables au développement du mond milch et si cela commence à se développer cela peut abîmer les parois et donc abîmer les gravures, les peintures, tout ce qui se trouve sur les parois.