Voix off
Quel est le point commun entre des bandelettes de momie et la coque de ce bateau ?
Les deux sont en fibres de lin. Cette matière végétale très appréciée des Égyptiens n'est en effet jamais passée de mode et suscite même un regain d'intérêt chez les industriels qui souhaitent concevoir des matériaux plus écologiques. Il faut dire que les fibres de lin ont de nombreuses qualités.
Johnny Beaugrand, Directeur de Recherche. Spécialiste des matériaux biosourcés - INRAE
Elles sont très longues et assez fines.
Alain Bourmaud, Ingénieur de Recherche. Spécialiste des matériaux biosourcés - Université de Bretagne Sud
Il faut pas d'irrigation.
Alessia Melelli, Post-doctorante en matériaux biosourcés - Synchrotron SOLEIL
Elle pousse très vite cette plante.
Johnny Beaugrand
Par rapport à des fibres synthétiques, elles sont plus légères, moins denses. Elles ont des performances mécaniques qui sont vraiment remarquables.
Alain Bourmaud
À peu près les mêmes que celles des fibres de verre.
Voix off
Performantes oui, mais jusqu'à quel point ? Pour évaluer la résistance des fibres de lin, il est possible de réaliser des expériences de vieillissement artificiel en laboratoire, mais rien ne remplace les conditions réelles beaucoup plus riches d'enseignement. Une équipe de scientifiques a donc décidé d'étudier l'état de dégradation de textiles de lin très anciens issus de différents environnements :
- momie dans son sarcophage,
- tunique dans un sanctuaire souterrain
- ou encore : filet de pêche exposé à l'eau de mer.
Alessia Melelli
On s'attend en fait à avoir par exemple des fibres dans un tombeau et au contact avec un corps de momie et elles ont vieilli différemment des textiles qui ont été trouvés dans un sanctuaire au contact du sol.
Voix off
C'est sur la branche imagerie de la ligne DISCO du Synchrotron SOLEIL que débute l'observation des altérations biochimiques du lin. Aujourd'hui c'est une petite pincée de fibres prélevée sur les bandelettes de rembourrage d'une momie égyptienne du musée du Louvre qui est placée sous un microscope ultraviolet. Les autres échantillons suivront.
Alessia Melelli
C'est le lin qui a été retrouvé sur la momie de Pebos et on a des différences entre ces fibres-là qui sont à l'extérieur et ces fibres-là qui sont plutôt à l'intérieur du fil.
Voix off
Sur les images, les sections transversales de chaque fibre d'une dizaine de microns seulement apparaissent clairement et semblent en très bon état. On aperçoit en bleu et vert les constituants naturels du lin comme la lignine, et en rouge sur la périphérie du fil, des protéines issues d'une possible contamination de la momie.
Frédéric Jamme, Responsable de la ligne DISCO - Synchrotron SOLEIL
L'avantage de venir ici, c'est qu'on peut leur garantir qu'ils vont pas détruire leurs échantillons, puisque grâce à ce faisceau ultraviolet profond, ils vont faire naturellement fluorescer leurs échantillons. Je peux comme allumer ou éteindre certaines molécules.
Alessia Melelli
Autre chose qui pour nous est très importante, ce sont les traitements que les fibres ont dû subir. Les Égyptiens utilisaient des résines ou de la cire et pour nous c'est important de voir comment les fibres ont une évolution, une dégradation au contact avec ce type de matériaux.
Alain Bourmaud & Johnny Beaugrand
- C'est beau !
- Elles sont très belles. C'est une belle zone d'observation.
Voix off
Pour aller plus loin voir si la structure des fibres est bien préservée, les analyses se poursuivent sur un autre instrument du Synchrotron SOLEIL, le microscope multiphotons. Les chaînes de cellulose, composant majoritaire des fibres, se révèlent alors à l'écran.
Johnny Beaugrand
C'est un polymère qui peut être très résistant dans la nature. Ça s'organise d'une façon cristalline, c'est intéressant. L'ensemble de ces chaînes résistantes de cellulose baigne dans une espèce de matrice qui apporte une certaine souplesse à la fibre.
Alessia Melelli
Là, par exemple, il est très fin, mais on peut le voir. Ça veut dire que la cellulose est bien organisée. Donc cet objet-là, il est bien préservé.
Voix off
Autre sujet d'attention, les défauts de la fibre que l'on appelle des genoux et que les industriels cherchent à minimiser.
Alain Bourmaud
On s'intéresse beaucoup aux défauts des fibres parce que ce sont des portes d'entrée pour les micro-organismes, pour l'humidité, parfois des zones de fracture au niveau de la fibre. Plus la fibre va avoir de défauts, plus ses propriétés mécaniques vont être faibles.
Voix off
Les informations glanées pour chaque échantillon vont permettre de modéliser le vieillissement du lin dans différents types d'environnement (humide, chaud, acide) et d'offrir aux industriels de précieux points de repère pour anticiper les dégradations des fibres. Ils vont aussi les aider à identifier les résines à privilégier ou au contraire à éviter lors de la fabrication de nouveaux matériaux composites à base de lin. Et les secteurs susceptibles d'être intéressés par ces indicateurs sont nombreux.
Johnny Beaugrand
L'automobile est un bel exemple si j'exclus l'habillement, par exemple il y a beaucoup de fibres de lin qui se retrouvent dans des pièces cachées.
Alain Bourmaud
On a des sièges d'avion de certains constructeurs qui contiennent un peu de lin.
Johnny Beaugrand
Mélangé à des plastiques pour faire de l'allègement et apporter un peu de support.
Alain Bourmaud
Le dernier vainqueur du tournoi de tennis de Paris avait une raquette en fibres de lin. On a moins de vibration qu'avec une raquette en carbone ou en fibres de verre et c'est la même chose pour les bateaux.
Voix off
Et si les matériaux à base de lin ne représentent aujourd'hui qu'une faible part du marché des composites, ils semblent en Europe voguer vers un bel horizon.