3,5 cm de long, 1,5 cm de diamètre… Ce petit talisman, qui pourrait bientôt rejoindre les collections du musée des écritures d'Ampus dans le Haut-Var, est très mystérieux, et surtout très fragile. Constitué d’un métal enroulé sur lui-même, il porte des gravures sur sa partie extérieure. Pour percer ses secrets sans l’abimer, les scientifiques de la ligne PSICHÉ à SOLEIL ont fait appel à la tomographie, identique à un scanner médical. Un déroulement virtuel du talisman sera-t-il possible ?... Découvrez, en même temps que les scientifiques, les étonnants résultats obtenus pendant la toute première journée d’étude de cet objet unique.
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Voix off
Ce petit talisman pourrait bientôt rejoindre les collections du musée des écritures d'Ampus dans le Haut-Var, mais il est encore à ce moment précis très mystérieux. On connaît peu de choses à son sujet : sans doute est-il en cuivre, sans doute vient-il de Judée, sans doute a-t-il plus de 1700 ans, sans doute est-il gravé sur toute sa longueur.
Jean-Paul Itié, chercheur émérite au Synchrotron SOLEIL
Il fait 3,5 cm de long, 1,5 cm de diamètre. C'est des morceaux de cuivre roulé. On aperçoit sur une partie extérieure des gravures sur la partie visible. Ça serait une amulette avec un texte qu'on suppose porte-bonheur et que les gens transportaient avec eux.
Voix off
Formule magique pour protéger son porteur ? Verset de la Bible pour l'homme qui ne sait pas prier ? Nul ne le sait encore. Une chose est sûre toutefois : l'objet est extrêmement fragile et ne peut être déroulé. Les scientifiques de la ligne PSICHÉ du Synchrotron SOLEIL ont donc décidé de faire appel à la tomographie, identique à un scanner médical, pour percer ses secrets.
Andrew King, scientifique de la ligne PSICHÉ de SOLEIL
Si tu te casses le bras tu vas faire un cliché avec des rayons X qui va montrer l'intérieur, mais ça va être une simple projection de l'objet. Pour la tomographie, on prend ça et on rajoute une rotation, donc on prend des clichés de différents angles, et à partir de cette série de clichés 2D, on peut reconstruire la forme 3D de l'objet en question.
J.P. Itié
- Je pense qu'il faut commencer par faire une coupe au milieu pour voir ce que ça donne, ensuite des coupes...
Jean-Paul Itié, chercheur émérite au Synchrotron SOLEIL
Pour nous, c'est assez excitant parce que ça nous permet de voir ce qui est à l'intérieur d'un objet sans l'ouvrir.
Voix off
Le cylindre est donc installé face au détecteur de la ligne. Un premier scan au cours duquel le talisman va tourner à 360° est lancé. Seulement voilà, les rayons X ont beaucoup de mal à traverser l'objet. Celui-ci semble trop dense, trop absorbant. Est-il réellement en cuivre ?
Jean-Paul Itié, chercheur émérite au Synchrotron SOLEIL
Si on regarde l'épaisseur de cuivre qui est roulée, c'est relativement épais, et si vous prenez un morceau de cuivre de cette épaisseur, c'est pas très simple à rouler. Donc on a tendance à penser qu'il y a certainement un alliage qui permet de le rendre plus mou.
Andrew King, scientifique de la ligne PSICHÉ
On est face au problème que l'échantillon est assez large et assez dense. Il faut que le faisceau passe à travers pour faire une ombre sur le détecteur. Et actuellement on n’a pas vraiment assez de signal qui passe, donc je suis en train progressivement d'ajuster le réglage de la ligne pour avoir une énergie de photons qui est de plus en plus haute.
Voix off
Après plusieurs heures d'hypothèses, de réglages et d'essais, le rayonnement arrive à traverser le talisman. La structure de l'objet, alternance de couches de métal et de couches d'air, commence à se dessiner sur l'écran. Puis les spires du rouleau deviennent clairement visibles.
J.P. Itié, L. Henry, A. King
- Si c'est la partie cassée qu'on voit là, en haut à droite...
- Ouais.
- C'est plutôt là...
- Là on avait...
- C'est plus prometteur que je le pensais il y a une heure ou deux.
Donc c’est la plus haute énergie qu'on n’ait jamais fait. Donc là, on est vraiment sur les limites de nos équipements.
Voix off
L'exploration du parchemin peut commencer. La reconstitution 3D de l'objet couplée à un logiciel spécifique permet de voyager dans le talisman, de passer d'une spire à l'autre à la recherche d'éventuelles inscriptions.
J.P. Itié, L. Henry, A. King
- Cette ligne là ?
- Tu vois des trucs, là, qui sont plus clairs.
- Ouais, peut-être.
- Tu vois ce que je veux dire ?
- Tu la vois cette lettre, là ? Cette espèce de "h" ?
- Je sais pas si c'est des artefacts, mais je vois un truc qui fait ça...
- Mais ça pourrait être un "t" aussi.
- Ça peut être une écriture.
- (en anglais) je ne miserais pas ma réputation là-dessus ! Il faut travailler encore ?
- Ouais
- Peut-être.
Andrew King, scientifique de la ligne PSICHÉ
Bien sûr on a envie de trouver quelque chose, donc on a tendance à trouver les choses qu'on cherche.
Jean-Paul Itié, chercheur émérite au Synchrotron SOLEIL
C'est important d'avoir une certaine incertitude, c'est le plaisir de la recherche et son grand désespoir.
Andrew King, scientifique de la ligne PSICHE
Si on retrouve le même caractère dans un deuxième scan, c'est une bonne indication que c'était pas un artefact, c'était vrai.
Voix off
Et s'il faut parfois se méfier des apparences, il faut aussi parfois se rendre à l'évidence.
J.P. Itié, L. Henry, A. King
- Il y a quelque chose, là.
- C'est un caractère, ça. Tu peux déplacer la fenêtre principale ? Je pense que c'est un "pi".
- Ça ressemble à un "pi", oui.
- Il y a un truc, là. Il y a peut-être un peu d'oxyde, on voit que c’est un peu abimé.
- Oui, là c'est net. C'est un "o".
- On peut commencer à transcrire.
- Là, je suis sûr...
- Oui, là... Là, tu admets ?
- Oui, là j'ai du mal à dire que c'est un artefact !
Voix off
Sans conteste, des lettres sont visibles sur différentes parties du rouleau. Un scan complet de l'amulette va pouvoir être lancé durant la nuit 10h durant, une étape indispensable pour ensuite tenter de dérouler virtuellement le talisman.
Jean-Paul Itié, chercheur émérite au Synchrotron SOLEIL
Déjà un enroulement, c'est pas facile à dérouler. En plus, le rouleau est écrasé, il n'a pas une forme cylindrique parfaite et donc on n'a pas une vraie spirale qu'on va pouvoir dérouler. Il va y avoir des défauts un peu partout d'écrasement, peut-être d'épaisseurs différentes de cuivre et ainsi de suite.
Andrew King, scientifique de la ligne PSICHÉ
Pour l'instant on utilise quelque chose d'existant dans « ImageJ » (logiciel utilisé pour traiter les images obtenues) dans lequel on peut on peut extraire une section courbée, mais c'est à nous de mettre la courbe où on veut pour voir la surface. Donc ça, c'est pas encore suffisamment automatique pour défaire tout le rouleau dans le cas idéal d'avoir toute la pièce déroulée devant nous pour pouvoir la passer à quelqu'un de compétent qui va pouvoir le lire.
Jean-Paul Itié, chercheur émérite au Synchrotron SOLEIL
Même si on arrive à mettre à plat, on n'est pas sûrs qu'on arrive à lire le rouleau, et en plus c’est même pas sûr qu'on puisse arriver à le traduire. Pour le moment on a encore un peu de doute sur la langue qui est dessus, on pense que c'est de l'hébreu, mais c'est pas sûr.
Voix off
L'enquête doit donc se poursuivre. Et au-delà de reconstituer l'histoire de la petite amulette, ces résultats pourraient aider les archéologues et les archéomètres à décrypter les milliers de textes anciens, papyrus ou parchemins restés jusqu'à ce jour inaccessibles.
Post-scriptum :
Un mois plus tard, des mesures de fluorescence X effectuées sur la ligne PUMA du synchrotron SOLEIL (responsable Sebastian Schoeder) ont montré une forte présence de plomb en plus du laiton (alliage de cuivre et de zinc). Le dépliement virtuel du rouleau est en progrès et déjà il apparait que les caractères observés ne sont pas de l’hébreu mais plutôt de type araméen.