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Matériaux multicouches quantiques - des hétérostructures WSe2/BiFeO3 pour de futures mémoires non-volatiles ?

L’objet de ce travail était d’étudier comment la structure électronique du composé WSe2, dont dépendent toutes les propriétés de ce matériau, change en fonction du sens de la polarisation électrique d’un composé ferroélectrique sur lequel il est déposé.

Le composé WSe2 appartient à la famille des dichalcogénures de métaux de transition (MX2, M = Mo, W, Pt… et X = S, Se, Te). Ces matériaux présentent une structure essentiellement bidimensionnelle avec des plans MX2 dans lesquels chaque atome de métal de transition forme des liaisons covalentes avec deux atomes de chalcogène. La structure tridimensionnelle de ces matériaux est constituée de l’empilement de ces plans élémentaires qui sont faiblement liés les uns aux autres par des liaisons de type van der Waals. En raison de leur structure électronique, ces matériaux présentent un très gros potentiel pour des applications dans le domaine de l’électronique, de la photonique et de la spintronique. D’autre part, en raison de leur caractère bidimensionnel, les propriétés électroniques de ces matériaux peuvent être facilement modifiées par la proximité d’un autre matériau ou par une stimulation extérieure.

Dans cette étude, fruit d’une collaboration entre l’équipe de la ligne CASSIOPEE, le C2N (Palaiseau), l’UMPhy CNRS-Thalès (Palaiseau) et l’IRIG-SPINTEC (Grenoble), du WSe2 a été déposé sur un substrat de BiFeO3, qui a la particularité d’être ferroélectrique : il présente spontanément une polarisation électrique macroscopique résultant du décalage spatial de certains atomes dans la structure. C’est l’influence de la direction de cette polarisation électrique de BiFeO3 sur la structure électronique de WSe2 qui a été étudiée.

Fabrication des hétérostructures

Jusqu’à présent ce type d’étude avait été mené sur des petits flocons de dichalcogénures de métaux de transition obtenus par exfoliation et mal caractérisés. Ici, des films de WSe2 de grande qualité, obtenus par épitaxie*, ont été utilisés.

Sur des substrats de DyScO3 sont déposés des films de SrRuO3 (SRO) ou des films de La0.7Sr0.3MnO3 (LSMO) puis des films de BiFeO3 (BFO). La polarisation électrique de BFO est alors perpendiculaire à la surface et, selon la nature de la couche intermédiaire (SRO ou LSMO), elle pointe soit vers l’intérieur (down), soit vers l’extérieur (up) de l’empilement. En parallèle, les films de WSe2 de 2 ou 3 plans atomiques d’épaisseur sont préparés par épitaxie sur des substrats de mica, puis transférés par voie humide (Fig. 1) sur les couches de BFO. On obtient ainsi des empilements dans lesquels le WSe2 subit une polarisation électrique down ou up.

Figure 1 : Après avoir été déposés sur les substrats de mica, les films de WSe2 sont recouverts d’un vernis qui les rigidifie, et sont plongés dans de l’eau déionisée. Petit à petit, l’eau s’infiltre entre le mica et la couche de WSe2 recouverte de vernis et décolle celle-ci, qui se retrouve à flotter dans l’eau. Il suffit ensuite de plonger dans l’eau les empilements SRO/BFO ou LSMO/BFO avec lesquels sont « pêchés » les films de WSe2 qui flottent. Enfin, le vernis est dissous avec de l’acétone.

Mesures de photoémission

La structure électronique des empilements SRO/BFO/WSe2 et LSMO/BFO/WSe2 a ensuite été étudiée par photoémission sur la ligne CASSIOPEE pour des épaisseurs de WSe2 de 2 et 3 plans atomiques. La technique de photoémission, basée sur l’effet photoélectrique, permet de mesurer expérimentalement la structure de bande, qui détermine dans un solide les énergies permises (figure 2, ordonnées « binding energy ») pour les électrons de valence en fonction de leur direction de propagation (donnée par le vecteur d’onde k, en abscisses, figure 2).

Les résultats obtenus sur les deux types d’empilements (Fig. 2) montrent que la structure de bande est décalée de 640 et 750 meV entre les deux directions de polarisation électrique pour, respectivement, des épaisseurs de WSe2 de 2 et 3 plans atomiques.

Figure 2 : Dérivées secondes (pour faire ressortir les contrastes) des mesures expérimentales de photoémission pour des films de 2 monocouches (en haut) et 3 monocouches (en bas) de WSe2 sur BFO down et up (gauche et droite respectivement).

On voit donc que, en fonction du sens de la polarisation électrique de BFO, on obtient des structures électroniques de WSe2 très différentes, qui peuvent être facilement différenciées par la conductivité électrique de l’empilement.

 

Des perspectives d’applications : supports non volatiles d’information

Ce type d’hétérostructure se comporte donc comme un transistor à effet de champ ferroélectrique et pourrait être utilisé pour fabriquer des mémoires non-volatiles avec un fort contraste ON/OFF.

L’écriture de l’information pourrait se faire en appliquant une tension qui va retourner la polarisation ferroélectrique tandis que la lecture se ferait par une mesure de transport électrique sensible aux différences de structure électronique.
 

Cette étude constitue une grande part de la thèse de Raphaël Salazar.

 

* Épitaxie : technique utilisée pour faire croître des couches minces monocristallines, de quelques nanomètres d'épaisseur. Pour cela, des atomes sont déposés sur la surface parfaitement polie d'un monocristal, le substrat, qui agit comme une sorte de moule pour la croissance ordonnée des couches minces.