Des chercheurs du Laboratoire de Physique des Solides d’Orsay et de la ligne SWING de SOLEIL ont étudié l’auto-assemblage de particules de type cristal liquide contenues dans une gouttelette lorsque celle-ci s’évapore au sein d’un lévitateur acoustique. Les structures résultantes du séchage au sein du lévitateur diffèrent remarquablement de celles obtenues sur substrat, plaçant la lévitation acoustique comme une technique puissante pour la mise en forme de matériaux et la détermination rapide de diagramme de phases.
Les techniques d’auto-assemblage induites par évaporation ont fait l’objet de nombreuses études ces dernières années afin d’organiser des particules colloïdales en matériaux ordonnés. Habituellement, l’évaporation est réalisée sur une surface conduisant à un dépôt inhomogène, connu sous le nom d’effet « tache de café ». Pour contrer cet effet, la communauté scientifique s’est attelée à développer d’autres techniques, comme l’utilisation d’une surface hydrophobe, ou l’assemblage au sein d’une microémulsion ou d’un canal microfluidique. Cependant, ces approches sont confrontées à certaines limitations telles que l’impossibilité de contrôler la taille des gouttes, ou la présence de tensioactif pouvant changer la chimie de surface des particules. Dans ce contexte, la lévitation acoustique apparaît comme une technique prometteuse pour auto-assembler des particules dans un environnement sans substrat et sans tensioactif, en contrôlant la taille de la goutte et en produisant un assemblage 3D.
Des chercheurs du Laboratoire de Physique des Solides, en collaboration avec l’équipe de SWING, ont ainsi entrepris de comparer les auto-assemblages de particules de type cristal liquide obtenues par séchage sur des substrats hydrophile (verre) ou hydrophobe (Téflon/FC40) et par lévitation acoustique (sans substrat). Pour ce faire, ils ont utilisé des nanotubes d’argile de type imogolite en tant que système modèle, en raison de leur rapport d'aspect (longueur/diamètre) modulable et de leur riche comportement de phase cristal-liquide. Ils ont démontré qu'il était possible d'obtenir des transitions de phases multiples par séchage dans des gouttelettes en lévitation et sur des substrats hydrophobes, alors que l'auto-assemblage était limité sur des supports hydrophiles. La lévitation acoustique offre l'avantage par rapport à l’utilisation de substrat de permettre l'étude in situ de la cinétique de l'auto-assemblage, directement sur la goutte en lévitation.

Figure 1 : photo du lévitateur acoustique, installé sur la ligne SWING
Sur la ligne SWING, des expériences de diffusion des rayons X aux petits angles (SAXS) réalisées in situ au cours du séchage en lévitation ont révélé la nature des phases cristal-liquide (colonnaire, nématique*) et permis une exploration complète du diagramme de phases de ces nanotubes, avec un volume d'échantillon limité (un microlitre), en moins d'une heure, passant d'un état dilué à un état très concentré.

Figure 2 : à gauche : exemple d’image extraite du film de l'évaporation d'une gouttelette de 1 µL de nanotubes d’argile pendant les mesures de SAXS in situ. À droite : pattern SAXS obtenu pour la gouttelette de l’image de gauche.
Les chercheurs ont également démontré la possibilité de moduler la morphologie des matériaux, passant de films minces lors du séchage sur lame de verre à des matériaux 3D lors du séchage par lévitation acoustique ou sur substrat hydrophobe. De plus, le rapport d'aspect (rapport longueur/largeur) des nanotubes s'avère être un facteur essentiel, influençant les transitions de phases ainsi que la forme et la surface des matériaux résultants. En utilisant la lévitation, les superstructures obtenues après séchage sont de moins en moins sphériques et possèdent une surface de plus en plus rugueuse à mesure que le rapport d'aspect augmente.
Ce travail, qui démontre que la lévitation acoustique est une technique émergente pour façonner les matériaux cristaux liquides colloïdaux et déterminer rapidement leur diagramme de phases, a récemment été publié dans la revue Advanced Materials and Interfaces.

Figure 3. Comparaison des différentes techniques d’auto-assemblage induit par évaporation : sur une surface hydrophile (verre), sur une surface hydrophobe (Téflon/FC40) et par lévitation acoustique (sans substrat). Sur verre, les nanotubes ne présentent aucune transition de phase et reste en phase isotrope en commençant le séchage sur une suspension diluée (no ordering). Par lévitation acoustique, on observe de multiples transitions de phases au cours du séchage (ordering) mises en évidence par la diffusion de rayons X aux petits angles (courbes à droite).
* nématique : état de la matière intermédiaire entre celui des phases solide, cristalline et liquide, dans lequel les molécules, de forme allongée, peuvent se déplacer librement mais restent parallèles entre elles, formant ainsi un liquide biréfringent.