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Les secrets de la gomme arabique dévoilés

Des équipes de l’UMR IATE de Montpellier et de l’INRA de Nantes étudient depuis plusieurs années la gomme arabique, matériau biosourcé qui trouve de nombreuses applications dans des secteurs aussi variés que l’œnologie, la cosmétique, la pharmaceutique ou l’industrie papetière. Des travaux réalisés en collaboration avec les lignes SWING et DISCO ont permis de déterminer la structure 3D à basse résolution des composants de cette gomme, et de mieux comprendre leur fonction dans ses différentes applications.

La gomme arabique ou gomme acacia est un exsudat sec obtenu à partir des branches et tiges de l’Acacia senegal (L) Willdenow ou de l’Acacia seyal (Figure 1). Par comparaison, la spécification européenne (E414) est légèrement plus large puisqu’elle englobe toutes les espèces proches de l’Acacia (famille des Légumineuses).

La gomme arabique à laquelle s’intéressent des équipes de l’UMR IATE de Montpellier et de l’INRA de Nantes est très largement valorisée dans de nombreux secteurs d’application tels que l’industrie agro-alimentaire et en particulier l’oenologie, les industries cosmétique et pharmaceutique ou encore dans l’industrie papetière en raison de ses propriétés adhésives et émulsifiantes. Dans le cas particulier de l’oenologie, l’addition de gomme arabique avant embouteillage a pour principaux objectifs de stabiliser les matières colorantes des vins rouges et de réduire les risques de casses ferriques ou cuivreuses des vins blancs et rosés. La gomme arabique constitue donc un excellent stabilisateur colloïdal dépourvu de caractère allergène. Néanmoins, peu de travaux ont porté à la fois sur la structure des constituants de la gomme arabique et encore moins sur les interactions mises en jeu dans la stabilisation colloïdale des vins.

Ces équipes travaillent depuis quelques années sur le fractionnement de la gomme arabique, la détermination de la structure des constituants majoritaires issus de ce fractionnement et sur les interactions mises en jeu lors de la mise en présence de la gomme arabique avec des protéines.

Fractionnement de la gomme arabique

La gomme arabique est constituée de polysaccharides riches en galactose et arabinose et d’une petite fraction protéique associée à ces polysaccharides. Elle est hautement soluble dans l’eau jusqu’à des concentrations de l’ordre de 500 g/l. Néanmoins, pour comprendre les relations structure-fonction de la gomme arabique et en particulier ses propriétés fonctionnelles, il convient de s’affranchir de la complexité de la gomme arabique en séparant les différents polysaccharides qui la constituent. Les chercheurs ont ainsi, dans un premier temps et sur la base des connaissances acquises, fractionné la gomme arabique par une étape de chromatographie d’interaction hydrophobe afin de séparer les espèces présentes en fonction de leur différence d’hydrophobicité. Ils ont ainsi pu démontrer que la gomme arabique est un continuum d'espèces moléculaires différant entre elles par la masse, la charge et le rapport sucre/protéine (1). Les trois espèces majoritaires issues du fractionnement sont l'arabinogalactane (AG) (88%), l'arabinogalactane-protéine (AGP) (10%) et la glycoprotéine (GP) (2%). Il convient de noter que ces trois espèces peuvent être présentes en proportions variables suivant la date de la récolte ou l’âge des arbres par exemple et que l’espèce arabinogalactane-protéine (AGP) peut présenter des variations structurales importantes en terme de masse moléculaire. Cette espèce AGP est en particulier fortement impliquée dans la stabilisation des émulsions alimentaires du type boissons acidifiées (i.e. sodas). Il n’est cependant pas toujours facile de s’affranchir de la variabilité naturelle de la gomme arabique à moins d’homogénéiser les lots de gomme arabique à partir de différentes récoltes ou d’utiliser un procédé de traitement sous atmosphère et température contrôlés développé et breveté par une société japonaise (2) afin d’homogénéiser la structure de l’AGP et de conférer ainsi des propriétés émulsifiantes homogènes à la gomme arabique.

Les fractions majoritaires ainsi purifiées ont permis d’entreprendre des études structurales afin de mettre en évidence la conformation dans l’espace des trois macromolécules constituant la gomme arabique, l’arabinogalactane (AG), l’arabinogalactane-protéine (AGP) et la glycoprotéine (GP). La structure jusqu’à présent communément admise de l’arabinogalactane-protéine (AGP) est celle présentée sur la Figure 2, où les blocs polysaccharidiques (rond violet) sont liés de manière covalente à la chaîne protéique. Chaque bloc polysaccharidique est par ailleurs constitué essentiellement de motifs arabinose et galactose liés entre eux pour former une structure complexe et très ramifiée. Les blocs polysaccharidiques contiennent également des motifs chargés (acides uroniques) pouvant intervenir dans la stabilisation colloïdale.

Détermination de la structure des fractions de la gomme arabique

Ces macromolécules, du fait de leur grande taille, ne peuvent être cristallisées afin de déterminer leur structure à haute résolution. C’est pourquoi des méthodes alternatives à la cristallographie des rayons X ont été employées afin de déterminer une structure tridimensionnelle à basse résolution. Les chercheurs espèrent, à partir de la connaissance des structures 3D, pouvoir identifier les relations structure-fonction de chacune de ces macromolécules et à terme adapter les formulations pour les différentes applications de la gomme arabique en matière de stabilisation notamment.

La structure de l'arabinogalactane (AG) a ainsi pu être établie par le biais de la diffusion du rayonnement et de la reconstruction par calcul de la structure tridimensionnelle la plus probable. En parallèle, des observations en microscopie ont permis de confronter les images au modèle calculé (Figure 3) (3). Les dimensions caractéristiques de la structure de l’AG, assimilable à un disque fin, sont de 20 nm pour sa longueur et 2 nm pour son épaisseur.

La structure tridimensionnelle de l'arabinogalactane-protéine (AGP) n’a pas pu être établie en raison de la présence de deux espèces dans cette fraction purifiée. Néanmoins, la confrontation de deux méthodes structurales, diffusion du rayonnement et microscopie, nous ont permis de mettre en évidence une conformation assimilable à un ellipsoïde triaxial de dimension maximale égale à 64 nm et de faible épaisseur et dont la structure interne serait proche du «wattle blossom model» décrit dans la littérature (Figure 4) (4, 5).

De même, la structure de la glycoprotéine (GP), travail le plus récent effectué en collaboration avec les lignes SWING et DISCO, a permis de mettre en évidence des oligomères (assemblage de monomères) de conformation ellipsoïdale et de faible épaisseur. Ces oligomères résulteraient de l’assemblage de sous-unités en forme d’anneau (Figure 5). Ces sous-unités sont caractéristiques des glycoprotéines riches en hydroxyproline (acide aminé sur lequel se greffent les blocs polysaccharidiques), comme c’est le cas dans la gomme arabique.

La connaissance des structures des trois fractions peut-elle aider à mieux comprendre leur fonction dans les applications aujourd’hui si nombreuses de la gomme arabique ?

Conséquences sur les propriétés fonctionnelles de la gomme arabique

Tout d'abord, la viscosité anormalement faible de la gomme arabique serait à mettre en relation avec la petite taille (D = 20 nm) et la très faible densité de la fraction majoritaire (AG) (d = 1.007) et de la fraction AGP (d = 1.005). Les dimensions des fractions de la gomme arabique font état d’une épaisseur très faible (e < 2 nm) pour des macromolécules de masses moléculaires élevées. Ces épaisseurs très faibles sont certainement à l’origine des capacités adhésives très fortes de la gomme arabique aussi bien sur surfaces solides (comme dans le cas du papier) que liquides (comme dans le cas des boissons émulsionnées par exemple). En revanche, les capacités adhésives de la gomme ne seraient pas liées à la fraction majoritaire en raison de sa nature chimique polysaccharidique fortement hydrophile. Les propriétés d'adhésion de la gomme arabique seraient vraisemblablement contenues dans les deux autres fractions minoritaires, l’AGP et la GP. En particulier, la partie protéique contenue dans l’AGP et la GP, de nature hydrophobe et amphiphile, pourraient rendre ces fractions plus efficaces au niveau de l’adsorption aux interfaces solide et liquide. La partie polysaccharidique formant une «couche» externe très hydrophile, sa fonction interviendrait plutôt dans la stabilisation colloïdale par répulsion stérique.

Figure 1 : Exsudat de gomme d’Acacia

Figure 2 : Structure hypothétique de l’arabinogalactane-protéine (AGP) issue de la gomme arabique.

Figure 3 : Structure 3D basse résolution de l'arabinogalactane (AG) issue de la gomme arabique et clichés de microscopie électronique à transmission (a, a1, a2), de cryo-microscopie électronique à transmission (b, b1, b2, b3) et de microscopie à force atomique (c) associées.

Figure 4 : Ajustement théorique de la fonction de diffusion de l’arabinogalactane-protéine de gomme arabique par un ellipsoïde triaxial (gauche) et cliché de microscopie électronique à transmission à haute résolution (échelle 5 nm) montrant une structure interne de type « wattle blossom model » avec une chaîne linéaire sur laquelle se branchent des blocs sucres.

 

Figure 5 : Détails structuraux à haute résolution obtenus par microscopie électronique à transmission des sous-unités en forme d’anneau formant la glycoprotéine de la gomme arabique.

Références :

(1)   D. Renard, L. Lavenant, M-C. Ralet, C. Sanchez (2006) Biomacromolecules 7, 2637-2649.

(2)   H. Hayashi (2002) Enhancement method of gum arabic under the atmosphere of 30-100% of relative humidity at over 40 °C. Patent Japan 2002 130212; PCT-JP02/08144; WO 03/093324A1; US 2005/0158440.

(3)   C. Sanchez, A. Lapp, C. Schmitt, C. Gaillard, E. Kolodziejczyk, D. Renard (2008). Biophysical Journal 94, 629-639.

(4)   D. Renard, C. Garnier, A. Lapp, C. Schmitt, C. Sanchez (2012). Carbohydrate Polymers 90, 322-332.

(5)    D. Renard, C. Garnier, A. Lapp, C. Schmitt, C. Sanchez (2013). Carbohydrate Polymers 97, 864-867.