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L'éponge d'étain

Les structures du diagramme de phase Sn – Sb ont connu un regain d'intérêt récent en raison de leur présence dans la soudure sans plomb. Pour prédire la stabilité d'une brasure, les propriétés physiques de tous les composés intermétalliques susceptibles d'apparaître dans cette brasure doivent être considérées. Or, contrairement à toutes les autres structures du diagramme de phase qui sont connues, la structure à haute température prédite pour le Sn3Sb2 n’avait jusqu’alors pas pu être déterminée.

C’est à présent chose faite, grâce à des expériences de diffraction des rayons X réalisées par une équipe du Département de Chimie de l’Université de Lund, sur la ligne CRISTAL.

La structure à haute température du Sn3Sb2 était attendue entre 250 °C et 324 °C, alors qu'en deçà de 250 °C elle se transforme inévitablement en une forme maclée de la structure à basse température (Sn3Sb4). Cela signifie qu'aucune inspection de la structure à haute température n'est réalisable à température ambiante. Même si l'échantillon est ramené à une température supérieure à 250 °C, les mesures montrent que seule la structure « basse température » est observée, ce qui peut être attribuée, après une inspection plus approfondie, à la perte d'étain dans l'échantillon. De l'étain a donc été ajouté, suite à quoi l'échantillon chauffé a absorbé l'étain supplémentaire comme une éponge et s'est transformé en la structure prédite à haute température.

L'étude structurale a été compliquée par le fait que Sn et Sb sont voisins dans le tableau périodique et ont donc des facteurs de diffusion des rayons X très similaires, ce qui les rend très difficiles à distinguer par des mesures de diffraction conventionnelles.

Pour améliorer le contraste entre ces deux éléments, la longueur d'onde du faisceau X de la ligne CRISTAL a été finement réglée sur 0,42484 Å, au voisinage du seuil d'absorption de l'élément Sn. Au voisinage de leur seuil d'absorption, les éléments commencent à émettre des photons par fluorescence. Dans ce cas, les atomes de Sn fluorescents se comportent comme s'ils avaient moins d'électrons contribuant à la diffraction du faisceau de rayons X. Le contraste entre Sn et Sb est donc augmenté. De plus, les deux composés impliqués sont modulés de manière incommensurable.

Une propriété fondamentale des cristaux classiques est leur propriété de symétrie translationnelle : pour un cristal (parfait), la description de la structure atomique est réduite à la description des positions des atomes dans un très petit volume, appelé maille. Les répétitions périodiques de cette maille le long de trois directions de l'espace (c'est-à-dire les propriétés de symétrie de translation) génèrent le réseau de la structure et par conséquent l'ensemble du cristal macroscopique. Ces propriétés de translation se manifestent par de fortes taches de réflexion dans les diagrammes de diffraction des rayons X. Dans le cas de cette « éponge d'étain », des taches de diffraction supplémentaires (faibles) apparaissent entre les taches les plus fortes (cf. flèches rouges sur la Fig. 1), dont l'origine est ce que l'on appelle généralement une sur-structure à l'intérieur du cristal. Ces taches supplémentaires représentent une modulation de la sur-structure qui provoque la perte (rupture) des propriétés de symétrie de translation inhérentes au réseau de la sur-structure.

Figure 1 : Reconstruction d’un plan du réseau réciproque de la diffraction des rayons X du cristal de Sn4Sb3 à 300 ° C. Les réflexions incommensurables sont marquées par les flèches rouges (satellites du premier ordre).

Si les taches supplémentaires sont situées à des fractions simples des distances entre les taches les plus fortes (par exemple 3/5), la symétrie rompue résultante est dite commensurablement modulée. Si la fraction n'est pas simple (par exemple 0,62531), on dit que la symétrie brisée est modulée de manière incommensurable. Il a été démontré depuis longtemps que les propriétés de symétrie translationnelle pourraient être retrouvées si le cristal est décrit dans un espace à plus de 3 dimensions (cristallographie à 3 + N dimensions).

Sn3Sb4 ayant un degré d'incommensurabilité assez faible, il peut être traité en (3+1) dimensions, tandis que Sn3Sb2 a un degré d'incommensurabilité anormalement élevé et doit donc être traité en (3+4) dimensions. Les structures aussi fortement incommensurables sont extrêmement rares et particulièrement fascinantes. 

La structure cristalline résultante présente des cubes de 7x7x7 atomes alternant Sn et Sb. Ces cubes sont reliés par une couche d'étain pur dans toutes les directions (Fig2).

Figure 2 :

Gauche : vue rapprochée de l'un des agrégats présentant presque parfaitement la structure 7x7x7 de type NaCl.

Droite : agencement d'agrégats avec du Sn pur intercalé. Les sphères bleues représentent l'antimoine et les sphères rouges représentent l'étain.

Le diagramme de phase Sn - Sb avait été étudié dans une publication antérieure, mais seule la structure décrite plus haut n’avait pas encore été élucidée. Parmi les autres composés rencontrés dans ce diagramme de phase, on peut citer les stœchiométries  Sb2Sn, SbSn et Sb3Sn4, ainsi que le Sb pur. Ces composés sont construits avec des blocs contenant sept couches alternant Sn et Sb, où s'intercalent diverses quantités de Sb pur (Fig 3). Toutes les structures sont incommensurables.

Figure 3 : La structure de Sb2Sn illustrant les blocs de 7x7 couches où s'intercale du Sb pur.

Conclusion 

La phase à haute température de Sn3Sb2 constitue un exemple extraordinaire d'une structure avec une modulation à (3+4) dimensions, des éléments voisins et une transition de phase inévitable qui met en jeu une perte d'étain. Ces obstacles ont tous pu être surmontés pour révéler un composé de type agrégat qui prend parfaitement sa place parmi les autres structures du diagramme de phase Sn – Sb.