Aller au menu principal Aller au contenu principal

L’énigmatique état magnétique du fer sous pression dévoilé

Une équipe de chercheurs de l’IMPMC et de l’Institut Néel, en collaboration avec la ligne GALAXIES du synchrotron SOLEIL et la ligne D20 de la source de neutrons ILL, apporte un nouvel éclairage sur l'état magnétique controversé du fer à haute pression. Les physiciens apportent la preuve expérimentale de l’existence de moments magnétiques non ordonnés à longue portée et prédisent théoriquement l’existence d’une nouvelle phase magnétique appelée « smectique de spin ».

Ces résultats pourraient aider à comprendre l’existence de la supraconductivité du fer sous pression, et la physique de l’intérieur des petites planètes rocheuses. Ils sont publiés dans PNAS, la revue de l'Académie des Sciences américaine.

Le fer a beaucoup été étudié dans des conditions de pression et de température extrêmes en raison de son importance géophysique, car il constitue, avec ses alliages, la majeure partie du cœur de la Terre. Prototype du matériau ferromagnétique, le fer cristallise dans une structure cubique dans des conditions ambiantes, puis subit une transformation vers une structure hexagonale à une pression voisine de 15 GPa. Cette phase haute pression, appelée ε-fer, a été découverte en 1956 et depuis, elle a été étudiée à des pressions et températures toujours plus élevées. Pourtant, le magnétisme de l'ε-fer est l'objet d’intenses débats depuis plusieurs décennies : la théorie, qui prédit le magnétisme, est en désaccord avec l'expérience, qui ne l'a pas encore détectée. Les chercheurs ont décidé de résoudre ce vieux paradoxe en menant des investigations sur les deux fronts, grâce à des techniques expérimentales et théoriques avancées.

Les chercheurs ont d'abord utilisé la spectroscopie d'émission de rayons X pour étudier les propriétés magnétiques locales du fer sous haute pression. Les améliorations techniques apportées dans ce travail par rapport aux études précédentes ont permis de montrer clairement que le ε -fer possède toujours un moment magnétique non nul. Celui-ci diminue progressivement avec la pression, puis disparaît vers 30 GPa. La gamme de pression située entre 15 et 30 GPa coïncide avec la région où le fer présente des propriétés supraconductrices, ce qui suggère un rôle privilégié des fluctuations magnétiques dans l’établissement de la supraconductivité.

Les chercheurs ont également réalisé sur le ε -fer, en conditions extrêmes (jusqu’à des pressions de 20 GPa), des mesures de diffraction de neutrons, qui est une sonde directe de la structure magnétique. Ils n’ont détecté aucun ordre magnétique mais ils ont pu fixer, pour la valeur du moment magnétique, des valeurs limites supérieures.

Grâce à des méthodes théoriques avancées, basées sur la théorie de la fonctionnelle de la densité et une approche de type Monte-Carlo, les chercheurs ont été en mesure de prédire une nouvelle structure magnétique, où les moments magnétiques atomiques fluctueraient non seulement dans leur orientation relative, mais aussi en valeur absolue. Cette nouvelle phase, manifestation extrême du magnétisme itinérant postulé il y a longtemps par Moriya, a été qualifiée de «smectique de spin», car elle ne présente pas d'ordre à longue portée, conformément aux résultats expérimentaux.

La phase smectique de spin pourrait jouer un rôle important dans les propriétés supraconductrices encore inexpliquées dans la phase ε-fer. Cette phase est également pertinente pour la physique des intérieurs planétaires car elle existe dans la plage de pression correspondant à l’intérieur des petites planètes rocheuses. Ces résultats sont publiés dans PNAS, la revue de l'Académie des sciences américaine.

Fig 1: Diagramme de phase du fer. La structure cubique ferromagnétique correspond au domaine violet. La phase haute pression ε-fer, qui cristallise dans une structure hexagonale, correspond au domaine bleu / vert pour les phases magnétiques, et au domaine blanc pour les phases non magnétiques. Les calculs des chercheurs prédisent que les moments magnétiques désordonnés (domaine bleu) s’arrangent en une phase “smectite de spin” (domaine vert) en dessous d’une température critique Tm, qui pourrait être connectée aux propriétés supraconductrices de la phase ε-Fe (le dôme de supraconductivité est représenté et indiqué par Tc).