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L’effet du confinement sur les couples… d’atomes

Les molécules diatomiques sont omniprésentes dans notre environnement, comme dans l’air que nous respirons, mais si nous augmentons la pression en les rapprochant progressivement, jusqu’à quand peut-on toujours parler de molécules différenciées ?

Une équipe internationale allemande, chinoise et japonaise, associée à des scientifiques de l’Université Lyon 1 et Sorbonne Université, a réalisé sur la ligne de lumière SAMBA des expériences qui montrent que, pour les halogènes, le confinement progressif imposé par la pression a un vrai effet sur les couples d’atomes : leur liaison évolue, et de manière pas tout à fait conventionnelle.

La mise sous pression conduit les phases gazeuses des molécules diatomiques d’abord à condenser dans des phases liquides, puis solides. Dans ces systèmes condensés s’établit un certain degré d’interaction entre les molécules mais qui reste essentiellement faible, de type van der Waals, préservant la nature moléculaire du système. Une fois le cristal formé, la compression du solide donne lieu à une succession de phases cristallines qui réduisent progressivement l’espace intermoléculaire. Mais quelle est la réponse de ces couples d’atomes à un environnement changeant et de plus en plus restreint ? De façon générale, les études par diffraction de rayons X sous pression montrent une stabilité inébranlable du couple diatomique : les couples d’atomes ne semblent pas affectés malgré un confinement de plus en plus important… jusqu’à l’inévitable séparation : la dissociation qui donne naissance à la phase atomique. Dans les cas des halogènes, la découverte d’une phase incommensurable modulée précédant la dissociation était déjà venue ébranler cet édifice. En effet, dans cette phase, une distribution des distances intramoléculaire de l’ordre de 10% s’oppose à la valeur unique de la phase moléculaire à base pression de structure Cmca.

Figure 1 : Variation de la distance intramoléculaire de l’iode dans la phase Cmca sous l’effet de la pression.

Mais il y a déjà 15 ans, les études par spectroscopie d’absorption X de cette équipe avaient montré que, même dans la phase basse pression Cmca, les atomes de brome ne restaient pas insensibles à une présence de plus en plus proche des autres molécules voisines. Ces travaux avaient montré que, sous l’effet de la pression, les atomes du couple se séparaient progressivement, mais seulement jusqu’à une certaine pression critique, après quoi l’effet du confinement venait consolider le couple qui se rapprochait à nouveau. La similarité des diagrammes de phase du brome et de l’iode avait conduit les scientifiques à tenter de réaliser ce même type d’étude sur l’iode. Mais ça n’a pas été aussi facile qu’initialement imaginé...

Quatre campagnes de mesures à l’ESRF, au SLS et finalement à SOLEIL se sont succédées pendant 15 ans, au gré des développements techniques nécessaires, car l’iode, plus lourde, suivait le même schéma d’évolution que le brome, mais avec un changement de la distance moléculaire 10 fois plus faible (voir la Figure 1).  Il a fallu un tour de force dans la précision qui a été rendu possible en combinant la stabilité de la ligne de lumière SAMBA avec l’utilisation d’enclumes de diamant polycristallines et une analyse des données soignée.

La modélisation atomistique par DFT (Density Functional Theory) a permis de comprendre que, lors de la compression, un réseau de liaisons intermoléculaires augmentait la densité électronique entre les molécules dans le plan et conduisait à son affaiblissement initial, comme montré sur la figure 2.

Figure 2 : Evolution de la densité électronique entre les molécules sous l’effet de la pression (valeurs relatives en GPa indiqué en gras) dans la phase Cmca obtenue par DFT.

En transparence, on observe les molécules d’iode dans le plan inférieur. On observe une augmentation de la densité électronique (en rouge les zones plus denses, en bleu les moins denses) entre les molécules qui augmente précisément au-dessus (et au-dessous) des molécules des plans voisins.

Le changement de comportement des molécules de brome et iode dans la phase Cmca se produit à 25 et 7 GPa respectivement. Avec l’utilisation de lois d’échelle basées sur la définition d’un volume réduit de la molécule, nous prédisons une transition de comportement également pour le chlore à une pression de 42 ±8 GPa.

Il reste à déterminer si ce comportement mis en évidence pour les halogènes peut se généraliser aux autres couples de molécules diatomiques dont certaines, comme l’hydrogène, ont une présence dominante dans l’univers dans des conditions extrêmes de pression.