L’assemblage optimum d’objets identiques est une question de géométrie qui fascine les scientifiques depuis l’Antiquité. Elle peut de nos jours être revisitée en science des nanomatériaux, qui permet la synthèse de nanoparticules avec un très grand contrôle de leur forme.
Ainsi, des scientifiques du LPS (CNRS/Université Paris-Saclay), de l’ICS (CNRS/Université de Strasbourg), de SOLEIL (ligne SWING) et du CIC nanoGUNE (San Sebastian, Espagne), ont démontré que les bipyramides d’or de symétrie 5 forment un réseau triclinique, la plus faible symétrie possible pour un cristal.
Ce travail, publié dans la revue Advanced Materials, offre des perspectives pour la synthèse de nano matériaux aux symétries inédites.
Depuis les travaux fondateurs de Johannes Kepler, on sait que des objets de symétrie 5 tels que des pentagones réguliers occupent une place de choix dans les problèmes de géométrie. En effet ils ne peuvent, à eux seuls, paver entièrement un plan (cf figure 1A), pour y parvenir il faut les combiner avec d’autres formes géométriques. Ceci a conduit beaucoup plus tard à la découverte des quasi-cristaux de symétrie 5.
En permettant de synthétiser des nanoparticules avec un très grand contrôle de leur forme, la science récente des nanomatériaux offre un nouvel angle pour appréhender ces questions de géométrie.
Parmi les morphologies de nanoparticules dont les propriétés optiques sont les plus prometteuses, les bipyramides d’or de symétrie 5 sont des objets actuellement très étudiés car leurs pointes permettent de moduler fortement leur réponse optique. Grace à un contrôle poussé de leur morphologie (nanoparticules allongées, à bouts pointus et base pentagonale), les scientifiques du LPS, de l’ICS, de la ligne SWING et du CIC nanoGUNE, ont réussi à cristalliser ces nanoparticules et à élucider leur mode d’empilement : ils ont démontré que ces bipyramides d’or forment un réseau triclinique, la plus faible symétrie possible pour un cristal.
Cette perte de symétrie peut être comprise à travers une analogie avec l’empilement optimum des pentagones réguliers dans le plan (Figure 1A) : les objets individuels ont une symétrie de rotation d’ordre 5, mais ils s’associent par deux ce qui crée un centre d’inversion I. Ce faisant, ils réduisent leur symétrie de rotation à l’ordre 2.
Figure 1 :
A) Schéma montrant l’empilement optimum de pentagones réguliers dans le plan. En haut : représentation de l’axe de symétrie d’ordre 5 (C5, en rouge) pour un pentagone. En bas : représentation d’un centre d’inversion I et d’un axe de symétrie d’ordre 2 (C2) pour deux pentagones assemblés.
B) comparaison entre modélisation et expérience. En haut : schémas de l’assemblage de deux bipyramides (bleue/rouge), en vues latérale et de dessus, tel que prédit par modélisation. En bas : image obtenue par microscopie électronique à balayage de ce « supercristal », et le modèle (en couleur) ajouté par-dessus. Coin inférieur droit : image de SAXS (diffusion X aux petits angles) 2D de quelques supercristaux – obtenue sur SWING.
Dans les cristaux obtenus expérimentalement, les bipyramides de section pentagonale s’associent comme dans l’empilement modèle, avec deux particules par maille (bleu et rouge dans la Figure 1B) dans une structure triclinique, généralisant à trois dimensions le mode d’empilement des pentagones réguliers. Ce résultat a été obtenu par diffusion des rayons X sur la ligne SWING et par microscopie électronique au LPS. Des simulations numériques reproduisent la symétrie et la densité de l’empilement, confirmant qu’il s’agit de la solution la plus compacte possible.
Par ailleurs, du fait de cet ordre cristallin, les cristaux de bipyramides ont une réponse optique influencée par les faces du cristal. En effet, en utilisant la technique de diffusion Raman exaltée de surface (DRES*), les cristaux analysés donnent un signal plus ou moins intense selon si la face observée est pointue ou plane. Du fait de ce phénomène optique, ces cristaux de bipyramides pourraient trouver des applications pour la détection par DRES des composés très peu concentrés.
Ces résultats sont un exemple de rencontre entre nanochimie et géométrie, par des aller-retours fructueux entre synthèse, caractérisation et modélisation. Ils éclairent expérimentalement un problème ardu d’empilement optimum de polyèdres, ici des bipyramides pentagonales allongées, et conduisent à l’obtention de nano-matériaux de symétrie inédite, potentiellement utilisables en spectroscopie Raman pour leurs propriétés optiques.
* La spectroscopie Raman permet d’identifier la composition chimique et la structure de systèmes moléculaires, qu’ils soient sous forme de solide, liquide ou gaz ; mais c’est une technique peu sensible (signal très faible pour des échantillons peu concentrés). La technique de diffusion Raman exaltée de surface -DRES, ou SERS en anglais pour surface enhanced Raman scattering- permet de surmonter cette limitation : la présence d’une surface métallique nano-structurée amplifie (exalte) de plusieurs ordres de grandeur l’intensité de la réponse Raman des molécules présentes au voisinage de la surface métallique ; cela permet la détection des molécules présentes à de très faibles concentrations.