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Hydrogénation du dioxyde de carbone en méthane pour réduire les émissions de CO2

La diffraction cohérente permet d’étudier les nano-catalyseurs de l’hydrogénation, en action

Pour la première fois, des chercheurs de l’Université d’Aix-Marseille (laboratoire IM2NP), de SOLEIL, de l’ESRF (Grenoble, France), de l’Université TU/Eindhoven (Pays-Bas), et du Technion (Israël), ont effectué sur la ligne de lumière SIXS de SOLEIL des mesures de diffraction cohérente des rayons X en condition de Bragg (BCDI) sur des nanoparticules de platine (Pt) et de nickel (Ni) pendant leur réaction catalytique : soit au cours de l’oxydation du CO pour le Pt, soit au cours de l’hydrogénation du CO2 pour le Ni.

L'hydrogénation du CO2 en méthane est considérée comme un processus plausible pour stocker de l'énergie renouvelable sous forme de méthane, réduire les émissions anthropiques de CO2 et ainsi limiter le réchauffement climatique. Le Ni est l’un des catalyseurs les plus utilisés dans l’hydrogénation du CO2 en raison de sa sélectivité élevée et de son faible coût. Mais les changements structuraux des nanoparticules de Ni au cours de la réaction catalytique, notamment sur les sites à faible coordination tels que les arêtes, restent mal compris, ainsi que leur implication sur les propriétés catalytiques de la réaction. Comprendre le rôle de la déformation élastique est crucial pour la conception de catalyseurs. Cela devrait permettre de mieux comprendre et localiser leurs sites actifs et leurs processus de désactivation.

Pour déterminer la structure de nanoparticules, la diffraction cohérente des rayons X en condition de Bragg (BCDI) est une technique de choix encore peu appliquée. Elle permet de sonder la structure (champ de déplacement atomique, champ de déformation, défauts, morphologie, taille, composition, …) en trois dimensions (3D) de nanoparticules (taille entre 100 nm et 1 µm) avec une résolution spatiale d’une dizaine de nanomètres et une sensibilité aux fluctuations du champ de déplacement de l’ordre du picomètre. 

Cette technique, développée au début des années 2000, nécessite une source de rayons X intense qui est obtenue par exemple en focalisant le rayonnement X issu de l’onduleur d’un synchrotron de 3ème génération, comme celui de la ligne SIXS de SOLEIL. Grâce au système de focalisation (lentille de Fresnel) de la ligne CRISTAL installé sur SIXS, les chercheurs ont réussi à focaliser le faisceau à une taille d’environ 1 µm (verticalement) et 2 µm (horizontalement) et mesurer des nanoparticules de Pt et Ni d’environ 500x500x300 nm3 au cours de leur réaction dans le réacteur de catalyse de SIXS. 

Le dispositif expérimental est présenté en Figure 1a. 

Figure 1 : (a) Photographie du réacteur avec son dôme en polyEtherEtherKetone (PEEK) sur la ligne SIXS de SOLEIL. (b) Diagrammes de diffraction cohérente mesurés pour le nanocristal de Ni lors du recuit sous H2 à 723 K et pendant la réaction à 673 K sous des flux de gaz de 40% d’H2 et 13,5% de CO2 et sous un flux de gaz de 13,5% CO2. (c) Isosurface de la densité électronique reconstruite de la particule de Ni après recuit à 673 K sous 40% de H2. Les flèches bleues indiquent la direction du vecteur de diffusion, Q1-11. Les différentes facettes de la particule sont indexées.

Pour cela, les chercheurs ont cartographié en 3D l’intensité diffractée par une nanoparticule autour d’un pic de diffraction (appelé aussi pic de Bragg) (Figure 1b) et utilisé un algorithme de reconstitution de phase pour obtenir finalement une image complexe 3D de l’objet mesuré. Le module de l’image (Figure 1c) est proportionnel à la densité électronique de l’objet et sa phase est proportionnelle à son champ de déplacement atomique. A noter que les chercheurs ont pu analyser durant l’expérience tous les clichés 3D de diffraction et reconstruire les nanoparticules aux différents stades de la réaction (i.e., à différentes températures et pour différents mélanges gazeux) grâce à la mise à disposition d’une unité centrale avec carte graphique au cours de l’expérience.

Les chercheurs ont montré qu’il est possible d’accéder au champ de déplacement (proportionnel à la phase – voir Figure 2) de particules catalytiques durant leur réaction.  Ils ont pu démontrer la reproductibilité de l’évolution du champ de déplacement au cours de différents cycles gazeux. Pour avoir une idée plus précise de l’évolution de la déformation au cours de la réaction, il est possible de dériver le champ de déformation à partir du champ de déplacement (Figure 3). Cette étude devrait permettre de mieux comprendre la corrélation entre propriétés structurales et catalytiques en cours de réaction.

Figure 2 : Phase reconstruite (en rad.) suivant la direction [1-11] du cristal de Ni à 673 K en fonction du mélange gazeux. Les images du haut  montrent la vue de dessus de la particule, celles du bas la vue de dessous. La direction du vecteur de diffusion (Q-111) est également indiquée sur la figure

L’équipe a réalisé une première sur la ligne SIXS en exploitant la cohérence du faisceau de rayons X de la ligne, en focalisant ce faisceau à quelques microns et en démontrant la possibilité d’effectuer des mesures de diffraction cohérente des rayons X in situ et operando (le réacteur est relié à un spectromètre de masse) sur des nanoparticules durant une réaction chimique. Cette technique ouvre la voie à l’analyse de la structure interne en 3D des nanoparticules et à leur optimisation lors de réactions catalytiques. Avec cette technique, l’évolution structurale des nanoparticules pourra être imagée non seulement durant des réactions chimiques, mais aussi sous diverses sollicitations, durant leur croissance, etc.

Cette technique bénéficiera de l’upgrade du synchrotron SOLEIL en termes de flux et de cohérence et devrait dans l’avenir devenir une technique remarquable pour la caractérisation structurale de nanoparticules. 

Figure 3 : Déformation reconstruite (en % de déformation) suivant la direction [1-11] du cristal de Ni à 673 K en fonction du mélange gazeux. Les images du haut (bas) montrent la vue de dessous (dessus) de la particule. La direction du vecteur de diffusion (Q-111) est également indiquée sur la figure