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Fabrication universelle de gaz bidimensionnels d'électrons dans les oxydes fonctionnels, pour de futures applications

Les gaz bidimensionnels d'électrons (« 2DEG », en anglais) dans les oxydes de métaux de transition présentent des propriétés remarquables qui font d'eux des candidats prometteurs pour de futures applications en électronique. Leur fabrication et leur utilisation sont cependant entravées par la nécessité de faire croître des couches cristallines d'oxydes complexes d'une épaisseur supérieure à 2 nm en utilisant des techniques sophistiquées et onéreuses. Des chercheurs du CSNSM (CNRS/Univ. Paris-Sud) en collaboration avec l'IEF (CNRS/Univ. Paris-Sud), le LPS (CNRS/Univ. Paris-Sud) le CRISMAT (CNRS/ENSICAEN) et la ligne de lumière CASSIOPÉE ont désormais montré que le dépôt d'une monocouche amorphe d'un agent réducteur élémentaire suffit à créer un 2DEG dans de nombreux oxydes. Ce nouveau procédé de fabrication, plus simple et moins cher, peut être redimensionné jusqu'à la production industrielle et convient parfaitement aux applications basées sur l'injection de charge ou de spin ainsi qu'à la réalisation de dispositifs mésoscopiques.

La fabrication de gaz bidimensionnels d'électrons (2DEGs) sur des surfaces ou interfaces d'oxydes de métaux de transition est au cœur du domaine émergeant des dispositifs électroniques à base d’oxydes. En effet, de tels états métalliques confinés peuvent présenter des propriétés intéressantes et complémentaires de celles trouvées dans les 2DEGs semiconducteurs, telles que les transitions métal-isolant, la supraconductivité, et même le magnétisme et les états polarisés en spin qui possèdent une importance encore plus grande pour les applications.

L'un des objectifs actuels est de rendre ces 2DEGs convenables pour les applications en définissant des procédés économiques et efficaces, ce qui permettrait de produire en masse des systèmes à grande surface. Cependant, la création de 2DEGs dans les hétérostructures d'oxydes a suivi jusqu'à présent une approche nécessitant la croissance d'une couche d’au moins 20 Å d'oxydes binaires (par exemple Al2O3) ou ternaires (par exemple  LaAlO3) sur du SrTiO3, en utilisant des techniques de dépôt hautement sophistiquées telles que le dépôt par pulvérisation laser. Ainsi, non seulement la reproductibilité des propriétés des 2DEGs dépend fortement des paramètres de croissance, mais leur fabrication est aussi très complexe, chère et irréaliste à des échelles industrielles. En outre, l'existence d'une épaisseur critique de 20 Å pour la couche supérieure d'oxyde, nécessaire pour atteindre la conductivité du 2DEG, limite fortement les propriétés des 2DEGs et leur adéquation aux applications basées sur l'effet tunnel ou l'injection de charge/spin. De même, les 2DEGs à la surface du SrTiO3 ou d'autres oxydes, découverts précédemment par l'équipe CSNSM travaillant sur la ligne de lumière CASSIOPÉE, sont créés par des lacunes d'oxygène après exposition à des rayons UV/X intenses et ne peuvent donc exister que sous un vide poussé (UHV) afin de préserver les lacunes de la réoxydation. Ils ne conviennent donc pas aux applications en conditions ambiantes.

Figure 1 : Méthode universelle de fabrication de GE2D dans des oxydes de métaux de transition (OMT). Grâce à une réaction redox efficace, l'évaporation d'un métal réducteur tel que l'aluminium pur conduit à la formation d'une couche lacunaire en oxygène abritant un GE2D à la surface de l'OMT et protégée par une couche d'alumine (AlOx) isolante.

Dans cette étude, les chercheurs ont développé une nouvelle méthode entièrement générale et extrêmement simple pour créer des 2DEGs aux surfaces d'oxydes de métaux de transition. Cette méthode consiste à déposer une couche d'épaisseur atomique (2 Å) d'aluminium pur à température ambiante en UHV. En raison d'une réaction d’oxydoréduction très efficace, l'Al pompe de l'oxygène depuis l'oxyde sous-jacent, se transformant en Al2O3 (alumine), puis forme un 2DEG homogène dans les premières couches atomiques du matériau, comme l'illustre le schéma de la Figure 1. Ceci permet de surmonter la complexité associée à la croissance d'une couche mince d'oxyde, car l'élément Al n'a pas besoin d'être oxydé avant ou pendant le dépôt, et élimine le besoin d'obtenir une « épaisseur critique » de couche de recouvrement ainsi que de recourir à des rayonnements synchrotron intenses.  En outre, la couche d'alumine produite étant isolante, le 2DEG à l'interface est protégé et peut facilement être utilisé pour d'autres types de mesures ou des dispositifs électroniques. La méthode a été appliquée avec succès à plusieurs oxydes, et notamment dans le but novateur de créer un 2DEG dans le ferroélectrique à température ambiante BaTiO3 (voir Figure 2). Une telle coexistence de ferroélectricité et de conductivité 2D au sein du même matériau, non observée auparavant, est prometteuse pour obtenir des dispositifs fonctionnels basés sur la commutation résistive ferroélectrique.

Figure 2 : Formation d'un GE2D à la surface de l'isolant ferroélectrique à température ambiante BaTiO3.
(a) Des domaines de polarisation électrique opposée, possédant un aspect de carrés concentriques, peuvent être tracés à la surface de BaTiO3 (BTO) au moyen d'un microscope à force atomique à pointe conductrice (ou d'un microscope à force piezoélectrique, MFP).
(b) L'évaporation d'une couche atomique d'aluminium conduit à la formation d'un GE2D à la surface de BTO. La dispersion des bandes électroniques a été mesurée avec ARPES sur la ligne de lumière CASSIOPÉE.
(c) Courbe capacité-tension sur la même interface AlOx(2 Å)/BaTiO3 présentant la forme en papillon caractéristique d'une hystérésis ferroélectrique. Un bloc circulaire en Pd et le substrat de Nb:STO ont respectivement été utilisés comme électrodes supérieure et inférieure.

Ces résultats représentent une percée vers la réalisation de 2DEGs dans des oxydes fonctionnels en utilisant une procédure universelle et économique qui combine les avantages de convenir à la fabrication de dispositifs électroniques, même aux niveaux nanoscopique et mésoscopique, et d'être accessible à la production industrielle.