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Environnement : Séparation du CO2 par des films ultraminces de molécules poreuses métallo-organiques

L'impact de l'augmentation des émissions de gaz à effet de serre sur le réchauffement de la planète pousse à améliorer les moyens de séparation, de captage et/ou de stockage du CO2. Les matériaux métallo-organiques poreux, qui sont constitués de nœuds métalliques reliés par des molécules organiques, sont largement étudiés et développés à ces fins. En particulier, les MOP (pour polyhèdres métallo-organiques) possèdent une cavité interne qui leur confère une porosité intrinsèque, tandis que leur nature moléculaire les rend facilement modifiables. Cela fait des MOP d'excellents candidats pour le développement de membranes permettant la séparation des gaz.

Dans la grande famille des cages métallo-organiques, les MOPs cuboctaédriques à base de rhodium (Rh-MOPs) offrent des possibilités très intéressantes pour les procédés de séparation. En effet, les Rh-MOPs peuvent être utilisés pour le piégeage sélectif de gaz/molécules dans leur cavité, et leur robustesse chimique permet une performance soutenue même lorsqu'ils sont exposés à des conditions difficiles, telles que l'exposition à l'eau ou aux acides. En outre, il est possible de modifier la surface des Rh-MOP pour les rendre solubles dans l'eau ou dans des solvants organiques, ce qui augmente leur capacité à être « processables » et permet de les utiliser dans des conditions homogènes ou de les façonner en objets macroscopiques fonctionnels.

Une collaboration espagnole entre le groupe de nanochimie et de matériaux supramoléculaires de l'Institut Català de Nanociència i Nanotecnologia (ICN2) à Barcelone et le groupe PLATON de l'Instituto de Nanociencia y Materiales de Aragón (INMA) à Saragosse a récemment démontré que les MOPs possédant des chaînes alkyles liées de manière covalente au squelette du ligand peuvent former des monocouches stables à l'interface liquide-air, où elles peuvent être densifiées puis transférées sur des substrats solides ; il est ainsi possible d’obtenir des films denses et ultraminces intéressants pour le développement de membranes. 

Dans leur dernière étude, ces mêmes équipes ont étendu la fabrication de films Rh-MOP à différents composés en ajoutant des chaînes aliphatiques à différents endroits de ces composés (Figure 1). Les chaînes peuvent être incorporées ex-situ avant d'étaler le Rh-MOP sur la surface du liquide, ou in situ à l'interface liquide-air. De plus, un traitement acide appliqué après la formation du film permet un de couper partiellement le ligand ; ceci modifie l'hydrophobie de la surface du film, et ouvre la voie à des modifications des propriétés des films ultraminces à base de MOP après leur fabrication.

Figure 1 : Les deux types de Rh-MOPs fonctionnalisés et leur taille estimée : avec 12 chaînes alkyle liées par coordination d'un ligand imidazole à chaque paire de Rh (à gauche, HRhMOP(diz)12) ou 24 chaînes alkyle ancrées de manière covalente sur le ligand organique (à droite, C12RhMOP).

Les données de diffraction des rayons X en incidence rasante (ou GIXD, grand angle) et de diffusion des rayons X aux petits angles en incidence rasante (GISAXS) obtenues in situ sur la ligne de lumière SIRIUS ont permis de déterminer la structure des films sur l'eau (figure 2). Les molécules Rh-MOP portant un groupe alkyle forment une sorte de film vitreux à l'interface air-eau, les Rh-MOP conservant des degrés de liberté de mouvement et présentant donc des orientations et des séparations variables entre les différentes molécules. Le film se forme à une pression plutôt faible, probablement dès que les interactions inter-MOP sont favorisées par l’entrecroisement des chaînes alkyle. Bien que les chaînes montrent un certain ordre dans le plan, cela n'entraîne pas une organisation régulière des Rh-MOPs dans le film.

Figure 2 : Données GIXD et GISAXS in situ pour les Rh-MOPs à l'interface gaz-eau. La ligne rouge représente le facteur de forme de diffusion des sphères à noyau et double enveloppe avec les caractéristiques MOP. Les flèches verticales mettent en évidence un pic caractéristique de la chaîne alkyle.

Des membranes mixtes ont ensuite été fabriquées en transférant plusieurs couches de ces films vitreux de Rh-MOPs sur un polymère perméable et leurs performances de séparation CO2/N2 dans des conditions de post-combustion1 ont été déterminées. Tous les films multicouches ont montré une séparation efficace du CO2, comparable voire supérieure à celle des polymères à microporosité intrinsèque (PIMs), (figure 3) – les PIMS sont des composés hautement perméables, faisant l'objet d’intenses études, qui sont très prometteurs pour les procédés de séparation des gaz.

Figure 3 : Mesures de perméance au CO2 et de sélectivité CO2/N2 à une température de 35ºC pour des membranes HRhMOP(diz)12 / polymère perméable (PTMSP) avec un nombre croissant de couches de Rh-MOP.

Cette étude a permis d’élargir la gamme de compositions des films à base de MOP, y compris pour des MOPs qui formaient difficilement des films/couches minces tels que les MOF insolubles, tout en démontrant la possibilité de modifications post-synthèse, et en donnant accès à la fabrication de membranes à base de MOPs avec des performances adaptables et compétitives dans la séparation CO2/N2.

 

1- Dans les centrales électriques, le combustible est mélangé à l'air pour être brûlé. La chaleur ainsi dégagée produit de la vapeur, utilisée pour entrainer la turbine qui génère l'électricité. Les gaz de post-combustion se composent principalement d'azote (provenant de l'air) et de concentrations plus faibles de vapeur d'eau et de CO2. C’est pourquoi la capacité des MOPs à capter le CO2 est étudiée dans des conditions de post-combustion : comparables aux conditions existant après combustion de gaz, charbon ou biomasse ; ici la séparation du CO2 a été réalisée avec un mélange de 10 % de CO2 et 90 % de N2, à 35 °C et à 2 pressions en gaz différentes (1 et 3 bars).