Aller au menu principal Aller au contenu principal

Agrégats chiraux : une poignée de main moléculaire sondée par des photoélectrons

Dans le cadre d'une collaboration entre l'Université de Nottingham et l'équipe de la ligne DESIRS, des chercheurs ont utilisé la technique de Dichroïsme Circulaire de Photoélectrons (PECD) pour étudier sur une molécule « modèle », le glycidol, la reconnaissance entre molécules chirales.

L'arrimage moléculaire sur un site récepteur convenable, rendu possible par le principe de la « reconnaissance clé / serrure », a eu un rôle crucial pour la compréhension de l'activité biomoléculaire. Au niveau le plus simple, une correspondance entre les formes moléculaires sur le site récepteur est nécessaire pour assurer une liaison chimique du ligand en interaction avec le récepteur. Ce concept revêt une importance particulière lorsque le réactif est chiral. Dans un tel cas, l'arrimage devient énantiosélectif, à la manière d'un gant droit qui n'autoriserait pas l'insertion d'une main gauche. De nombreuses interactions biomoléculaires sont en fait énantiosélectives en raison de l’homochiralité de la vie  (seuls les acides aminés lévogyres (type L) sont présents dans la biosphère terrestre). Par conséquent, un grand nombre de molécules pharmaceutiques ont une action énantiosélective, de nombreuses paires chirales de produits naturels ont des odeurs différentes et les phéromones des insectes sont énantiosélectifs. Toutefois, l'idée d'une correspondance entre formes doit être affinée pour prendre en compte les interactions moléculaires. Les recherches sur la reconnaissance chirale visent à comprendre la correspondance entre formes en se référant aux interactions faibles, telles que la formation de liaisons hydrogène, qui interviennent dans un processus d'arrimage réussi.

Fig 1 Deux conformations possibles d'un dimère de Glycidol sous-tendus par des liaisons hydrogène, superposées à une image de photoélectrons présentant l'asymétrie dans la distribution angulaire des photoélectrons  (code couleur : bleu(+) pour les régions d'excès d'électrons, et rouge(-) pour les régions de déficit d'électrons).

L'auto-reconnaissance chirale dans la formation de petits agrégats sous-tendus par des liaisons hydrogène de la molécule glycidol (C3H6O2, voir les figures) constitue un prototype précieux pour les études de reconnaissance chirale. La spectrométrie de masse semble offrir une méthode directe pour identifier la taille des agrégats gazeux, mais ces derniers sont susceptibles de se fragmenter après l'ionisation à cause des liaisons relativement faibles. Ceci peut conduire à des indications incorrectes sur la taille des agrégats natifs, bien que les tailles identifiées fournissent tout de même des informations utiles sur la force de liaison des agrégats.

Il existe donc un besoin de disposer d'une sonde chiroptique directe pour les agrégats chiraux. Une telle opportunité est offerte par la technique énantiosélective de Dichroïsme Circulaire de Photoélectrons (PECD), qui détecte l'asymétrie énantiospécifique avant-arrière dans la distribution spatiale des électrons émis suite à l'ionisation par un rayonnement polarisé circulairement. Cette asymétrie est détectée en tant que régions positives/négatives dans une image de photoélectrons formée par la différence entre les distributions électroniques 3D observées par photoionisation dans la lumière en polarisation circulaire gauche et droite (Fig 1). Le PECD est une sonde à longue portée sensible aux structures moléculaires, qui devrait donc être en mesure de dévoiler des informations structurales sur le processus de formation des agrégats.

Dans le cadre d'une collaboration de longue date entre l'Université de Nottingham et l'équipe DESIRS, des chercheurs ont utilisé le spectromètre électron/ion DELICIOUS 2 pour enregistrer des images électroniques en coïncidence avec des agrégats ioniques spécifiques sélectionnés par leur masse et pour des tailles n=1,4. L'expérience PECD quantifie l'asymétrie chirale dans le spectre via un unique paramètre dépendant de l'énergie, b1. Les spectres PECD de l'ion monomère et de l'ion dimère présentent des différences marquées (Fig. 2), qui révèlent les différentes espèces neutres servant de précurseur à ces ions ; les n­-mères d'ordre supérieur ont des spectres assez semblables, ce qui indique que certains dimères observés sont clairement produits par une fragmentation en cascade des n-mères d'ordre supérieur. Les données permettant d'aboutir à cette conclusion ont été obtenues avec une mesure effectuée sous l'énergie d'ionisation adiabatique du monomère. À des énergies de photon si faibles, l'ion monomère observé ne peut être produit directement mais apparaît sous forme de fragment d'agrégats plus gros (qui ont des seuils d'ionisation inférieurs). De manière cruciale, le PECD du « monomère » ne peut être distingué de celui du dimère et du trimère, ce qui indique une parenté neutre commune pour ces agrégats ioniques.

Au-delà de cette remarquable dépendance phénoménologique en m/z du signal PECD, l'étape suivante consistera à utiliser le double spectromètre d'imagerie DELICIOUS3 nouvellement mis en service, qui permettra de filtrer des images électroniques non seulement pour un m/z donné mais aussi pour une libération d'énergie cinétique donnée. Ceci devrait permettre de distinguer les processus de dissociation en cascade et d'obtenir ainsi une véritable sélection par la taille des différents agrégats naissants. Dans le cas particulier du dimère de Glycidol, la valeur du PECD filtrée obtenue devrait donner accès aux informations structurales en termes de configuration du dimère homochiral (la poignée de main moléculaire), par comparaison avec les calculs théoriques de PECD.