Manque de peau pour les bronzes
Une équipe internationale de chercheurs français, italiens et slovènes a décidé de mettre au point un nouveau type de revêtement, plus résistant, pour protéger les statues en bronze de notre mobilier urbain.
Ils sont venus l'étudier sur la ligne de lumière ANTARES du synchrotron SOLEIL, en 2016.
Automne 2024 : retour sur ces recherches
Les statues de bronze qu'il nous arrive d'admirer dans l'espace public s'abîment inexorablement. On peut le voir à leur surface zébrée : la pluie fait ruisseler petit à petit le cuivre issu du bronze, et donne une teinte verdâtre au chef-d’œuvre. Comme si ce n'était pas suffisant, un dépôt de pollution urbaine vient recouvrir certains endroits d'une croûte noire. Si rien n'est fait pour contrecarrer ces processus, la statue risque tout simplement, à terme, de disparaître.
Il existe des cires et des résines que l'on peut appliquer sur le métal afin de le protéger. Mais leur efficacité ne dure qu'une dizaine d'années, et n'est pas optimale. Pour défendre notre patrimoine, et mettre au point un meilleur revêtement, il faudrait savoir ce qu'il se passe à l'échelle moléculaire, au plus près de la surface de l’œuvre. Voilà une mission pour... un « archéométallurgiste ». Luc Robbiola est spécialiste de la physico-chimie des métaux anciens, et en 2016, il vient au synchrotron SOLEIL pour mener l'enquête sur les pellicules protectrices.
Il soumet un fragment de bronze enduit, aux puissants rayons X de la ligne de lumière ANTARES. Il comprend ainsi un peu mieux quelles liaisons se forment entre les atomes du polymère et le cuivre, l'étain, le zinc ou le plomb présents dans le bronze. C'est un projet conduit en réalité par une équipe internationale : la France est chargée de la caractérisation, la Slovénie porte son attention sur les composés fluorés, et l'Italie sur les organosilanes. « Le produit élaboré par les italiens donnait de bons résultats – il avait cependant un défaut, il sentait l'ail », se souvient Luc Robbiola avec un sourire.
Ce ne sont pas moins de huit publications qui viennent couronner l'avancée de ces recherches, de 2017 à 2020. Et la doctorante Julia Masi se voit décerner un prix par la revue Coatings.
Pourtant, l'édifice international complexe que constitue un tel projet vient à manquer de financements pour passer à l'étape pré-industrielle. « Nous avons changé de stratégie. Notre méthode était au point, nous avions les outils, la compréhension des phénomènes. Nous sommes passés à un autre métal, l'aluminium ancien » résume Luc Robbiola. Car il existe des objets de patrimoine faits de ce métal : les avions, à partir des années 20. Certains sont des épaves historiques récupérées en mer et amplement dégradées.
Luc se plonge dans « l'archéologie industrielle », afin de connaître les procédés employés par exemple pendant la Seconde Guerre mondiale, pour protéger les aéroplanes. C'est sur la ligne LUCIA du synchrotron SOLEIL qu'il vient analyser les altérations qui interviennent dans le processus de corrosion. Et cette fois, avec un projet rassemblant des équipes française, italienne et tchèque.
Une avalanche de publications résulte à nouveau de l'avancée de ces travaux. « Un produit écologique est même à l'étude, conçu avec des cuticules de tomates, entre autres ingrédients. Il est prometteur, mais il possède une légère teinte orangée non souhaitable ».
Nombreuses sont les questions à résoudre avant d'obtenir le polymère protecteur idéal, et de pouvoir l'évaluer de manière industrielle. Mais Luc Robbiola et son équipe internationale, tel un alliage qui traverse le temps, tiennent bon.
Publications associées
Masi, G., Chiavari, C., Avila, J., Esvan, J., Raffo, S., Bignozzi, M.C., Asensio, M.C., Robbiola, L., Martini, C. "Corrosion investigation of fire-gilded bronze involving high surface resolution spectroscopic imaging" Applied Surface Science., 366: 317-327. (2016).
Masi, G., Balbo, A., Esvan, J., Monticelli, C., Avila, J., Robbiola, L., Bernardi, E., Bignozzi, M.C., Asensio, M.C., Martini, C., Chiavari, C. "X-ray Photoelectron Spectroscopy as a tool to investigate silane-based coatings for the protection of outdoor bronze: the role of alloying elements" Applied Surface Science., 433: 468-479. (2018).
Brunet, M., Robbiola, L., Brouca-Cabarrecq, C., Sciau, P. "Analysis of Chromate-based Primers for Protection of Aluminium Alloys on Historical Aircraft" Studies in Conservation., 69(1): (2024).
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Transcription audio de la vidéo
[Jardin Rodin]
VOIX OFF
Solidement ancrées sur leur piédestal, au milieu des jardins, des parcs ou des avenues, les statues en bronze semblent prêtes à braver toutes les intempéries. Mais en y regardant de plus près, on s’aperçoit que ces colosses de cuivre et d’étain ne sont pas aussi robustes qu’il n’y paraît ; ils se délavent, s’encrassent, se dégradent…
Luc Robbiola - physico-chimiste spécialiste des métaux (CNRS-Université de Toulouse)Nous sommes devant un bronze typique, que tout le monde connaît, Le Penseur de Rodin. Là, on est du côté ouest, du côté exposé aux pluies, et on voit très bien que tout est vert clair : c’est le cuivre qui s’en va, qui s’use petit à petit à chaque pluie, ruissèle et va salir les bases en pierre. Alors que si on s’avance par-là, c’est un côté abrité, et on voit très bien, sous le rocher ou au niveau du ventre par exemple, des zones sombres : ce sont les suies et les poussières de l’atmosphère urbaine qui se collent et forment une croûte noire – qui d’ailleurs est très dure à enlever. C’est comme ça que ça dénature complètement le monument.
Ce sont Les Bourgeois de Calais. Toutes les statues, du fait du ruissellement des eaux, ont des zébrures qui sont liées à l’altération et à la corrosion. Il pleut souvent et, à chaque fois, ça enlève de la matière. On peut estimer que c’est une perte d’1 mm tous les 100 ans. Comme ce sont des épaisseurs de bronze de 7 à 10 mm maximum, cela veut dire qu’en 1 000 ans, il n’y aurait plus de statue.
VOIX OFF
Alors que faire pour protéger ces statues ? La plupart du temps, on les recouvre de résine ou de cire protectrice. Mais ce type de revêtement ne dure pas. Altéré par les pluies acides, le vent et le soleil, il doit être refait régulièrement, tous les dix ans environ. Le risque de dégradation est tel que certaines œuvres importantes sont mises « sous cloche » et conservées au musée.
[Synchrotron SOLEIL]
VOIX OFF
Une équipe internationale de chercheurs français, italiens et slovènes a donc décidé de mettre au point un nouveau type de revêtement, plus résistant.
Cecilia Monticelli - chimiste (Université de Ferrara)
(COMMENTAIRE EN ANGLAIS)
Nous devons développer une formule spécifique qui résiste à plusieurs types d’agression car d’un côté nous pouvons avoir de la pluie et de l’autre côté des ultraviolets. Et nous devons aussi prendre en compte les écarts de températures.
Luc Robbiola - physico-chimiste spécialiste des métaux (CNRS-Université de Toulouse)
Un bronze peut chauffer jusqu’à 60-70°C en surface et aller jusqu’à -20°C à Paris. Donc il faut aussi des films qui peuvent rester « accrochés » alors qu’il y a des dilatations énormes.
Carla Martini - chimiste spécialiste des métaux (Université de Bologne)
(COMMENTAIRE EN ANGLAIS)
Lorsque nous fabriquons le revêtement, nous choisissons les éléments qui composent ce revêtement et lui permettent de bien adhérer au bronze.
VOIX OFF
Et c’est justement ici, au synchrotron SOLEIL, que les chercheurs vont pouvoir étudier en détail leur nouveau revêtement, vérifier qu’ils ont choisi les bons ingrédients. L’objectif n’est pas de scanner une statue de la tête aux pieds mais plutôt de focaliser son attention sur un minuscule échantillon de bronze recouvert de son film protecteur.
Carla Martini - chimiste spécialiste des métaux (Université de Bologne)
(COMMENTAIRE EN ANGLAIS)
L’échantillon est ici : vous voyez le bronze, ici en bas, et le revêtement, au sommet. Vous pouvez voir que c’est très très fin, comme un cheveu.
VOIX OFF
Ce petit fragment de matière est alors positionné, avec précision, sous un faisceau de rayons X très fin et intense. Ce faisceau va venir sonder la matière, point par point, et offrir aux chercheurs des informations sur la façon dont les atomes du bronze s’agencent avec ceux du revêtement.
Carla Martini - chimiste spécialiste des métaux (Université de Bologne)
(COMMENTAIRE EN ANGLAIS)
Aujourd’hui, nous voudrions savoir comment notre revêtement se lie, comment il se connecte au bronze.
Luc Robbiola - physico-chimiste spécialiste des métaux (CNRS-Université de Toulouse)
Sur la ligne Antares, on veut voir comment s’accroche le polymère de protection. Comme c’est un polymère qui comporte plusieurs types d’atomes (carbone, silicium, oxygène et soufre) et que le bronze est un alliage de cuivre et d’étain, avec du plomb et parfois du zinc, on veut savoir si ce sont des liaisons cuivre-soufre qui se forment, par exemple, ou bien des liaisons zinc-soufre… Grâce à la qualité des appareillages d’ici, on peut suivre ça.
VOIX OFF
Il faudra ensuite plusieurs mois d’analyse et de tests pour optimiser la recette et s’assurer qu’elle offre une protection durable pour les bronzes. Après quoi, les restaurateurs pourront s’en emparer pour donner aux statues une seconde peau inaltérable.
[Jardin Rodin]
Luc Robbiola - physico-chimiste spécialiste des métaux (CNRS-Université de Toulouse)
L’idée est bien sûr que le mobilier urbain, tous ces monuments en bronze qui peuplent nos rues et nos jardins, puissent rester sans que l’on soit obligé de faire des fac-similés et de mettre ces objets au musée.