Lumière sur les cellules tumorales
Comment un neurochirurgien peut-il être sûr qu'il a bien enlevé toute la tumeur cérébrale de son patient, tout en préservant les tissus sains, lorsqu'il opère ? Pour l'y aider, des chercheurs et médecins collaborent pour mettre au point une caméra capable de distinguer avec fiabilité, pendant l'opération, les cellules saines des cellules malades. Pour cela, elle va analyser la fluorescence naturellement émise par les tissus, riche en informations, et comparer le résultat à une banque de données, avant de donner son verdict final : tissu sain ou tissu tumoral. En 2017, pour constituer cette base de données, les chercheurs sont notamment venus au synchrotron SOLEIL, sur la ligne de lumière DISCO, pour établir les caractéristiques des différents types de cellules dans les ultraviolets.
Remerciements :
- Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale, l'AAP (2012-2014-2016/ MEVO & IMOP) - PLAN CANCER
- Agence Nationale pour la Recherche au titre du programme « Investissements d’avenir » - FLI
- Mission pour l’interdisciplinarité « l’instrumentation aux limites » - CNRS
- Plateforme « PIMPA », Paris Sud
- Université Paris Diderot, Sorbonne Paris Cité
- Laboratoire IMNC-UMR 8165-CNRS/IN2P3, Université Paris-Saclay
Un grand MERCI au Professeur Bertrand Devaux qui est co-porteur de ce projet depuis le début, et à Pascale Varlet, neuropathologiste.
Cette vidéo a été en partie tournée au Centre hospitalier Sainte-Anne, à Paris.
Automne 2024 : retour sur ces recherches
La physicienne Darine Abi Haidar consacre depuis 2012 ses recherches à l'amélioration du geste chirurgical visant à éliminer les tumeurs cérébrales. L'entreprise est extrêmement complexe, car ces tumeurs sont dites « infiltrantes », et se développent insidieusement dans les tissus entourant le site initial. C'est seulement une analyse anatomopathologique, réalisée après l'opération, qui permet de dire si tout le tissu malade a bien été prélevé.
Darine a donc entrepris de créer un outil de diagnostic per-opératoire, utilisable pendant l'intervention même. Il s'agit d'une sorte de stylet que le chirurgien pourrait tenir en main et passer sur le cerveau, et qui indiquerait avec des signaux clairs si le tissu ciblé est sain ou non. Pour cela, la spécialiste de l'optique met à profit la fluorescence naturelle des tissus. Lorsqu'on les éclaire avec certaines lumières, ils sont alors « excités » et renvoient une autre lumière, révélant un peu de leur nature. Darine a tout d'abord choisi d'observer et de comprendre cette fluorescence à partir de nombreux échantillons, dans l'infrarouge, sur la plate-forme PIMPA, et dans l'ultraviolet, au synchrotron SOLEIL, sur la ligne DISCO.
« Ma collaboration avec SOLEIL a rendu possibles plusieurs publications, explique Darine. L'analyse sur DISCO s'est avérée particulièrement utile pour déterminer le grade (la gravité) que l'on attribue au méningiome, mais aussi pour enquêter sur les tumeurs métastatiques et trouver leur provenance dans l'organisme ».
L'outil que développe Darine comporte trois aspects : la base de données, l'instrumentation, et l'intelligence artificielle. Concernant la base de données, ce sont pas moins de 300 échantillons de cerveau prélevés à l'hôpital qui sont passés au crible de la fluorescence.
L'instrumentation consiste à concevoir le stylet, équipé d'une fibre optique. Le signal capté est alors analysé par un programme entraîné à partir de la base de données, constituant la couche « intelligence artificielle ». Cette dimension logicielle met en œuvre des techniques à la pointe du domaine (machine learning, deep learning).
Il faut aussi penser à l'interface homme-machine, le système qui permet de visualiser tout cela de façon éloquente et simple pour le chirurgien. Il est d'ailleurs prévu que la même information soit disponible en temps réel pour un anatomopathologiste, de façon à croiser les expertises – encore une fois, pendant l'opération. On peut imaginer que, sur un écran, se surimprime à l'image du cerveau un certain nombre d'informations, des couleurs par exemple, qui qualifient le type de tissu.
L'ambitieux projet (MITA-OPALIS) ne cesse de se développer. Il collabore non seulement avec l'hôpital Sainte-Anne, mais aussi La Riboisière à Paris, et Henri Mondor à Créteil. Il s'intéresse aussi depuis peu à d'autres types de tumeurs : en urologie (vessie), ORL, et gynécologie (sein). « Le domaine urologique a ceci d'intéressant que les débouchés sont nombreux, et que les tumeurs sont plus faciles à cerner que dans le cerveau », commente Darine.
Des brevets, à ce jour bien sûr confidentiels, sont en pleine maturation, et seront prochainement déposés – comme Darine l'espère avec enthousiasme. Et leur aboutissement logique serait alors la possible création d'une start-up.
Publications associées
Mehidine, H., Refregiers, M., Jamme, F., Varlet, P., Juchaux, M., Devaux, B., Haidar, D.A. "Molecular changes tracking through multiscale fluorescence microscopy differentiate Meningioma grades and non-tumoral brain tissues" Scientific Reports., 11: art.n° 3816. (2021).
Mehidine, H., Chalumeau, A., Poulon, F., Jamme, F., Varlet, P., Devaux, B., Refregiers, M., Abi Haidar, D. "Optical Signatures Derived From Deep UV to NIR Excitation Discriminates Healthy Samples From Low and High Grades Glioma" Scientific Reports., 9: art.n° 8786. (2019).
Poulon, F., Chalumeau, A., Jamme, F., Pallud, J., Varlet, P., Mehidine, H., Juchaux, M., Devaux, B., Refregiers, M., Abi Haidar, D. "Multimodal Analysis of Central Nervous System Tumor Tissue Endogenous Fluorescence With Multiscale Excitation" Frontiers in Physics., 6: art.n° 109. (2018).
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Transcription Audio de la vidéo
VOIX OFF
Cette chercheuse est venue ce matin au bloc opératoire pour récupérer un échantillon de cerveau provenant d’un patient. Ici, à l’hôpital Sainte-Anne, rien d’anormal. Car depuis maintenant 6 ans, un projet de recherche est en cours pour faciliter l’extraction de tumeurs cérébrales.
Johan Pallud - neurochirurgien au Centre Hospitalier de Sainte-Anne à Paris
La tumeur que l’on a opérée aujourd’hui fait partie d’un gliome infiltrant : c’est-à-dire une tumeur cérébrale qui envahit le cerveau et n’a pas de limites propres. Et la difficulté est de retirer le cerveau malade en préservant les zones importantes, que l’on dit « éloquentes », pour ne pas aggraver l’état du patient. Clairement à l’œil nu ou au microscope opératoire, qui est une loupe grossissante, on n’a aucun moyen de voir l’infiltration tumorale à l’échelon cellulaire.
VOIX OFF
Malgré son expertise et son savoir-faire, le chirurgien ne peut distinguer, au cours de l’opération, les limites exactes de la tumeur. Pour s’assurer que toutes les cellules tumorales ont bien été retirées du cerveau, des tissus sont alors prélevés puis soumis à l’œil expert d’une neuropathologiste pour un examen microscopique. Mais cette vérification intervient APRES l’opération…
C’est pourquoi, la chercheuse Darine Abi Haidar, en collaboration avec les médecins de l’hôpital Sainte-Anne, a décidé de mettre au point nouvel outil capable de guider les chirurgiens lors de leurs interventions et de leur dire, en temps réel, s’ils se trouvent face à un tissu sain ou tumoral.
Darine Abi Haidar - enseignante-chercheuse en physique (Paris 7 – IMNC)
Nous avons pensé à aider le médecin pendant l’opération à l’aide d’une fibre que l’on introduit dans un outil qu’utilise d’ordinaire le médecin, qui est le trocart. En fait, c’est une caméra.
VOIX OFF
Cette caméra miniature de haute résolution doit être simple d’utilisation mais doit également être capable de distinguer avec fiabilité les cellules saines des cellules malades. Pour cela, elle va analyser la fluorescence naturellement émise par les tissus, riche en informations, et comparer le résultat à une banque de données, avant de donner son verdict final : tissu sain ou tissu tumoral.
Tous les échantillons de cerveau prélevés au bloc vont justement servir à constituer cette banque de données. Et pour exploiter au mieux les informations contenues dans ces tissus – notamment celles apportées par la fluorescence – les échantillons vont subir 3 séries d’analyses : à l’hôpital, à Orsay sur la plateforme d’imagerie PIMPA, puis au synchrotron SOLEIL. Là, sur la ligne DISCO, cellules saines et cellules cancéreuses vont livrer leurs caractéristiques dans l’ultraviolet.
Darine Abi Haidar
Par exemple, c’est une coupe de la tumeur. Là [PIMPA] c’est le résultat de ce que l’on obtient quand on excite dans l’infrarouge, où l’on peut avoir des informations spatiales très intéressantes sur la nature de chaque tissu. Ces informations sont complétées par les images acquises au synchrotron SOLEIL, dans l’ultraviolet, qui permettent d’avoir des informations plus précises sur chaque composant de cet échantillon.
À SOLEIL, aussi, en plus de la réponse spectrale, on peut avoir une image en plein champ donc une image globale de notre échantillon.
Live (D A.-H.) : Ce qui serait pas mal c’est que cette nuit tu passes 4 tumeurs rares. On essaye de ne faire que la fluorescence vraiment très bien – la suite de ce que dit D.A-H est couvert par la voix off : avec les 4 filtres on regarde les différentes molécules, et après tu peux passer sur le spectral (…)
VOIX OFF
Grâce à la ligne DISCO, une carte d’identité moléculaire sera clairement établie pour chaque type de tumeur et viendra compléter les informations glanées par les autres instruments. A ce jour, plus de 250 échantillons de tumeurs ont ainsi été analysés et caractérisés avec finesse, chacun venant compléter la bibliothèque de données et enrichir la mémoire de la caméra.
Johan Pallud
Le « produit fini » entre guillemets, ce serait un outil utilisable soit tenu en main, comme un stylo ou un stylet, soit tenu par un porte-instrument. Après, l’idée est d’appliquer cette sonde contre le tissu pour lequel on se pose la question : « reste-t-il, à cet endroit-là, de l’infiltration tumorale ? » et d’avoir en temps réel un retour d’information nous disant « signal normal » ou « signal anormal », c’est-à-dire : infiltration tumorale.
VOIX OFF
Au final, l’outil pourrait ressembler à ça : une fibre optique introduite dans un trocart, qui s’allumerait en vert pour indiquer la présence de tissu sain et en rouge pour signaler au chirurgien des cellules cancéreuses à extraire.
Darine Abi Haidar
Le prototype qui existe depuis 2 ans, on va l’amener au bloc pour faire les premiers tests sur la taille du stylo, pas mal d’aspects techniques…
On espère d’ici maximum deux ans avoir des choses plus concrètes, que ce soit ou bloc opératoire (sur l’outil) ou sur la banque de données. Mais jusqu’à maintenant le projet a pris un élan très important et a bien avancé.