
A partir des années 1950, la Seine, comme toutes les rivières de France, subit les conséquences de l’accroissement des villes et de l’intensification de l’agriculture. Des quantités massives d’engrais chimiques et d’eaux usées, contenant de l’azote et du phosphore, sont alors déversées dans le réseau fluvial. Aujourd’hui, et depuis les années 2000, les stations d’épuration éliminent le phosphore des eaux usées avant qu’elles ne rejoignent les rivières. Les quantités de phosphore rejetées dans l’environnement ont ainsi drastiquement diminué. Mais le problème n’est pas totalement réglé.
Dans le cadre du programme PIREN SEINE, Guillaume Morin et son équipe de l’IMPMC (CNRS/UPMC/IRD) s’intéressent au phosphore qui est stocké dans le fond des rivières, et tentent de savoir s’il va y rester piégé, ou s’il va causer de nouvelles perturbations.
Dans cette vidéo, nous suivons l’une des expériences de spectroscopie de fluorescence X menées par Guillaume Morin au synchrotron SOLEIL, sur la ligne de lumière LUCIA, dans le cadre de cette thématique.
Le phosphore en héritage
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A partir des années 1950, la Seine, comme toutes les rivières de France, subit les conséquences de l’accroissement des villes et de l’intensification de l’agriculture. Des quantités massives d’engrais chimiques et d’eaux usées, contenant de l’azote et du phosphore, sont alors déversées dans le réseau fluvial.
Gilles Billen - biogéochimiste et directeur de recherche au CNRS
La source principale de phosphore pour les rivières, ce ne sera pas tellement l’agriculture mais ce sont les eaux usées, d’égout que –au lieu d’épandre dans les potagers ou les champs– l’on concentre dans un réseau d’égouts pour les rejeter à la rivière.
Et ça, c’est une contamination massive qui provoque, dans les milieux aquatiques, des dérèglements qui se manifestent par des proliférations d’algues : ce qu’on appelle l’eutrophisation.
VOIX OFF
Aujourd’hui, et depuis les années 2000, les stations d’épuration éliminent le phosphore des eaux usées avant qu’elles ne rejoignent les rivières. Résultat : les quantités de phosphore rejetées dans l’environnement ont drastiquement diminué. Pour autant, le problème n’est pas totalement réglé.
Live (G.B) : Le phosphore, c’est marrant, car on devrait en être débarrassé ! Pourtant il est toujours là, autant dans les sols agricoles que dans les sédiments. C’est notre problème. Il y a des stocks accumulés. Et, le problème, c’est la manière dont cet héritage est maintenant lentement remis en circulation. C’est là que l’on a besoin de toi !
VOIX OFF
Guillaume Morin et son équipe s’intéressent en effet au phosphore qui est stocké dans le fond des rivières, et tentent de savoir s’il va rester piégé là, à tout jamais, ou bien causer de nouvelles perturbations. Pour le savoir, les chercheurs ont donc focalisé leur attention sur les sédiments.
Guillaume Morin - minéralogiste au laboratoire IMPMC (CNRS/UPMC/IRD)
Pour prélever les sédiments de notre étude, on s’est placé à l’aval de Paris, juste en amont de la grande station d’épuration d’Achères qui collecte et assainit toutes les eaux usées de Paris. On prélève avec un carottier manuel les sédiments de fonds. C’est un carottier en acier dans lequel on va avoir une carotte d’une cinquantaine de cm de hauteur que l’on va immédiatement, dès qu’elle va être sortie de l’eau, placer dans des conditions anoxiques (i.e. sans oxygène), pour préserver les formes chimiques du phosphore.
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Pour retrouver la trace du phosphore dans les sédiments, les chercheurs se rendent ensuite au synchrotron SOLEIL. Là, ils vont pouvoir explorer et cartographier ce milieu complexe, composé de minéraux et de matières organiques fabriquées par les êtres vivants. Mais attention, pas question d’exposer les échantillons à l’air, sous peine d’oxyder certains constituants et de perdre l’information recherchée.
Guillaume Morin
Là-dedans, il faut chercher quels sont les minéraux et éventuellement les principales molécules qui portent le phosphore organique. Et ensuite, comment ça se transforme après le dépôt, sachant que lors du dépôt il y a des réactions biologiques majeures. L’une des questions qui est derrière est de savoir si, au cours de ces réactions, le phosphore va principalement rester piégé dans le sédiment ou si, au contraire, une partie va retourner à la colonne d’eau.
VOIX OFF
Les sédiments abritent en effet une multitude de bactéries qui, en respirant, vont littéralement transformer le milieu. Le phosphore, qui était jusque-là fixé par la matière organique ou emprisonné par les minéraux, peut dès lors être libéré et rejoindre la rivière Pour glaner toutes ces informations, qui sont dispersées dans les sédiments, la « fluorescence X » est d’une aide précieuse pour les chercheurs.
Guillaume Morin
Ce qui nous intéresse, par exemple, c’est le phosphore, qui est collé à sur la surface de très petits minéraux -qui sont des oxydes de fer- qui lorsqu’ils se déposent vont subir des phénomènes de réduction chimiques, liés à l’activité bactérienne : la respiration du fer par les bactéries, qui va libérer le Fer2 en solution et éventuellement ensuite libérer le phosphore.
Live (G.M) : Là on voit le fer et là, on ne voit pas trop le fer… Il y a du calcium avec ?
Guillaume Morin
L’intérêt sur la ligne LUCIA c’est que l’on a un faisceau qui fait quelques microns, et donc on va pouvoir balayer l’échantillon avec ce faisceau et en chaque point, chaque pixel, on va avoir une information sur la composition chimique de l’échantillon et pouvoir revenir sur certains points d’intérêt où il y a du phosphore.
VOIX OFF
Les résultats de ces expériences permettront de mieux appréhender le cycle du phosphore et d’anticiper son impact sur la vie des rivières et de leurs habitants. Un outil indispensable pour mieux gérer les risques de prolifération d’algues.
Gilles Billen
On peut parfaitement avoir encore des proliférations d’algues gênantes, moins qu’avant, mais on peut toujours en avoir. Et donc on ne pourra être véritablement débarrassé des problèmes d’eutrophisation que lorsque l’on aura maîtrisé le relargage de ces formes héritées à la fois sur les sols agricoles et dans les sédiments des cours d’eau et des lacs.