La sécheresse c'est le stress
Les arbres souffrent du réchauffement climatique à travers le monde. Face à des épisodes de sécheresse trop intenses et trop fréquents, des massifs forestiers entiers dépérissent. De nombreuses espèces de conifères seraient sur la sellette. Pour identifier les espèces les plus vulnérables à la sécheresse, des chercheurs de l’INRA ont décidé de se fier à l’apparition de petites bulles d’air dans les vaisseaux qui transportent l’eau au sein de la plante. Des recherches menées sur la ligne PSICHE en 2016.
Automne 2024 : retour sur ces recherches
« Le chêne est-il si vulnérable que ça face à la sécheresse ? » C’est pour répondre à cette question que Sylvain Delzon, écophysiologiste à l’INRAE de Bordeaux, se rend au synchrotron SOLEIL en 2016. Grâce à la micro-tomographie aux rayons X de la ligne de lumière PSICHE, le chercheur peut observer la survenue de petites bulles d’air dans les vaisseaux de l’arbre et évaluer son seuil de résistance à la sécheresse. En effet, plus la plante a soif, plus elle pompe l’eau du sol avec avidité et plus les bulles d’air dans la sève sont nombreuses, finissant par menacer la survie de l’individu. « Le grand avantage de la ligne PSICHE, c’est qu’il est possible de scanner une plante vivante entière, sans être obligé de la couper, rappelle Sylvain Delzon. Il n’y a donc aucun artefact de mesure, aucune bulle d’air qui s’introduit artificiellement dans les vaisseaux au moment de la préparation de l’échantillon et qui vient fausser les mesures. »
« Et, à ma connaissance, il n’y a qu’au synchrotron SOLEIL que les tomographes disposent de platines de marbre creuses, dans lesquelles on peut installer de grandes plantes allant jusqu’à 2 mètres », rajoute le chercheur qui, depuis, revient régulièrement au synchrotron SOLEIL. Après une semaine de mesures, et l’étude d’une dizaine de jeunes plants plus ou moins stressés par la manque d’eau, les scientifiques ont la preuve que le chêne tempéré est bien plus résistant que le laissaient présager de précédents travaux (1). Des travaux similaires sur la ligne PSICHE sont réalisés par la suite sur le frêne et la vigne, et se soldent par les mêmes conclusions : ces espèces sont plus tenaces que prévues face à la sécheresse (2).
Régulièrement donc, Sylvain Delzon et ses collègues viennent collecter de nouvelles données au synchrotron SOLEIL pour mieux comprendre et anticiper les effets du changement climatique sur le monde végétal. En 2018, ils mettent par exemple en évidence que l’accumulation de bulles d’air dans le système vasculaire – qui correspond au phénomène d’embolie – est irréversible. Autrement dit que l’air s’accumule dans les vaisseaux à chaque épisode de sécheresse jusqu’à ce que le système vasculaire en soit rempli à 90 %, entraînant la mort de la plante. « On aurait pu penser que les végétaux réinitialisaient leur système après chaque hiver, qu’ils évacuaient les bulles d’air accumulées, mais pas du tout », conclut Sylvain Delzon (3)
Puis, en 2020, les chercheurs s’attaquent à une théorie couramment admise en biologie selon laquelle les arbres seraient capables d’atteindre de grandes tailles grâce à leur système vasculaire. Pour tester cette hypothèse, les chercheurs décident d’analyser la plus grande mousse au monde qui mesure 25 cm. « Nous avons découvert sur les images obtenues grâce à PSICHE que cette mousse dispose de canaux appelés des hydroïdes qui fonctionnent exactement de la même façon que les vaisseaux d’arbres, comme le chêne, et sont susceptibles d’acheminer la sève en hauteur ». Ce n’est donc pas l’absence de système vasculaire qui empêche certains végétaux d’atteindre de grandes tailles, le facteur limitant de la croissance est à chercher ailleurs. Les résultats de cette étude, qui viennent bousculer un véritable dogme de la biologie végétale, ont été publiés dans la revue Nature Plants (4).
Depuis peu, ce sont les racines des arbres qui ont tout l’intérêt des chercheurs. Grâce à un ingénieux système de culture, permettant de faire pousser chaque ramification racinaire dans de petits cylindres pouvant être scannés en 3D sur la ligne PSICHE, les scientifiques ont mis en évidence un effet notable de la sécheresse sur la taille des racines (5). Des mesures qui viennent compléter celles faites en routine au laboratoire Biogeco de l’INRAE de Bordeaux grâce notamment à des centrifugeuses baptisées des « cavitrons », capables de simuler des épisodes de sécheresse et de suivre leurs effets dans le temps. « La limite avec le synchrotron, c’est qu’on ne peut pas réaliser de suivi de mesures sur plusieurs mois. L’idéal serait d’avoir un mini-synchrotron en permanence ! », conclut Sylvain Delzon qui, en attendant cette invention, revient chaque année faire des mesures au synchrotron SOLEIL.
Publications associées
(1) Choat, B., Badel, E., Burlett, R., Delzon, S., Cochar, H., Jensen, S. "Non-invasive measurement of vulnerability to drought induced embolism by X-ray microtomography" Plant Physiology., 170(1): 273-282. (2016).
(2) Charrier, G., Torres-Ruiz, J.M., Badel, E., Burlett, R., Choat, B., Cochard, H., Delmas, C.E.L., Domec, J.C., Jansen, S., King, A., Lenoir, N., Martin-StPaul, N., Gambetta, G.A., Delzon, S. "Evidence for hydraulic vulnerability segmentation and lack of xylem refilling under tension." Plant Physiology., 172(3): 1657-1668. (2016).
(3) Charrier, G., Delzon, S., Domec, J.C., Zhang, L., Delmas, C.E.L., Merlin, I., Corso, D., King, A., Ojeda, H., Ollat, N., Prieto, J.A., Scholach, T., Skinner, P., Van Leeuwen, C., Gambetta, G.A. "Drought will not leave your glass empty: Low risk of hydraulic failure revealed by long-term drought observations in world’s top wine regions" Science Advances., 4(1): art.n° eaao6969. (2018).
(4) Brodribb, T.J., Carriquí, M., Delzon, S., McAdam, S.A.M., Holbrook, N.M. "Advanced vascular function discovered in a widespread moss" Nature Plants., 6(3): 273–279. (2020).
(5) Duddek, P., Carminati, A., Koebernick, N., Ohmann, L., Lovric, G., Delzon, S., Rodriguez‐Dominguez, C.M., King, A., Ahmed, M.A. "The impact of drought-induced root and root hair shrinkage on root-soil contact" Plant Physiology., 189(3): 1232–1236. (2022).
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Transcription audio de la vidéo
[Extérieur]
VOIX OFF
Les arbres souffrent du réchauffement climatique à travers le monde. Face à des épisodes de sécheresse trop intenses et trop fréquents, des massifs forestiers entiers dépérissent. De nombreuses espèces de conifères seraient sur la sellette !
Sylvain Delzon - écophysiologiste à l’INRA
Depuis une vingtaine d’années, nous avons constaté – notamment dans l’hémisphère nord, aux Etats-Unis et en Europe – plusieurs dépérissements majeurs sur des centaines d’hectares. C’est une mortalité sèche, des arbres adultes qui meurent sur pied. Ici, vous avez un arbre bien hydraté. Et à côté, vous avez le même individu qui est en stress hydrique, c’est-à-dire que l’on a totalement arrêté l’irrigation il y a 3 semaines dans une serre où il fait très chaud. On voit que les effets se produisent immédiatement, les feuilles sont complètement asséchées.
VOIX OFF
Si tous les arbres sont affectés par les périodes de sécheresse, certains supportent mieux que d’autres le manque d’eau – le record de résistance étant actuellement détenu par un cyprès australien. Mais comment savoir à l’avance qui va tenir le coup et qui va dépérir ?
Pour identifier les espèces les plus vulnérables à la sécheresse, des chercheurs de l’Inra ont décidé de se fier à l’apparition de petites bulles d’air dans les vaisseaux qui transportent l’eau au sein de la plante. Ces petites bulles d’air se multiplient quand l’eau se raréfie et que la plante, assoiffée, est obligée de pomper plus intensément dans le sol pour en extraire l’eau.
Steven Jansen - anatomiste à l’Université d’Ulm (Allemagne)
La colonne d’eau monte à travers les différentes cellules et les différents tissus, et s’évapore au niveau des feuilles par transpiration. Le danger c’est que cette colonne d’eau sous tension peut se rompre ; c’est ce qui se passe quand de l’air apparaît à l’intérieur des vaisseaux.
Sylvain Delzon
Et lorsque 90% des vaisseaux de la plante sont remplis d’air, elle ne peut plus transporter d’eau et ça conduit à la mort de l’individu.
VOIX OFF
Afin d’évaluer à quel moment le chêne atteint ce point de non-retour, et que ses longs vaisseaux se retrouvent complètement obstrués par les bulles d’air, les chercheurs ont décidé de se rendre au synchrotron SOLEIL. Là, sur la ligne PSICHÉ, ils vont pouvoir scanner de jeunes arbres plus ou moins stressés et observer, en direct, ce qui se passe à l’intérieur du tronc.
Steven Jansen
En 2-3 minutes, on a un scan complet en volume.
Sylvain Delzon
Grâce aux rayons X, on peut observer des coupes de l’arbre sans le détériorer. Donc ici, c’est un arbre intact. On voit à l’intérieur comme on lit dans un livre.
Dans cette section, on peut compter les vaisseaux fonctionnels et les vaisseaux non fonctionnels.
Steven Jansen
Les vaisseaux sombres, ici, sont remplis d’air et nous en avons quelques-uns ici plus gris ou plus clairs qui sont remplis d’eau. Là, je suis en train de naviguer à travers le réseau de cellules qui transporte l’eau. On le voit vraiment très bien…
Sylvain Delzon
Dans cette section, ici, on voit qu’il y a 1, 2, 3, 4, 5 vaisseaux non fonctionnels, c’est-à-dire qui sont remplis d’air. Si on augmente le stress hydrique, on s’aperçoit que le nombre de vaisseaux remplis d’air augmente de façon très importante. Ici, c’est quasiment 100 % des vaisseaux.
VOIX OFF
Après chaque scan 3D, le niveau de stress hydrique de la plante est immédiatement mesuré [échange SD-GC : Là tu es à 2 bars. Donc 2 bars, on n’est pas stressé, c’est une plante qui est bien hydratée…]. Ensemble, ces données permettent de savoir, avec fiabilité, le niveau de sécheresse que la plante est capable de supporter.
Sylvain Delzon
Le chêne tempéré est une espèce assez résistante. Le synchrotron, en travaillant sur des plants intacts, nous a permis de conclure que cette espèce était finalement beaucoup plus résistante que ce que l’on pensait.
Nous travaillons sur les espèces forestières mais également sur des espèces cultivées comme la vigne – on va essayer de trouver les cépages les plus résistants à la sécheresse –, sur différentes variétés de blé et de tournesol. Et, de la même manière, avec l’aide du synchrotron, on va étudier le fonctionnement des vaisseaux de ces plantes pour pouvoir prédire quelles sont les espèces qui vont perdurer avec le changement climatique.