De l’eau, de l’air, des carburants propres
Plus de 40 milliards de tonnes de CO2 sont émises, chaque année, par les activités humaines. Que faire de ces déchets ?
Dans la nature, les plantes captent le CO2 et le transforment en matière végétale –la biomasse- grâce à l’énergie solaire. C’est la photosynthèse.
A l’Institut de Chimie Moléculaire et des Matériaux d'Orsay, l’équipe de scientifiques « photosynthèse artificielle » s’inspire de ce phénomène naturel pour transformer le CO2, non pas en biomasse mais en carburants propres, comme le méthanol ou le méthane. En 2018 ils sont venus à SOLEIL, sur la ligne de lumière ROCK, pour étudier quels sont les meilleurs catalyseurs de la réaction chimique de transformation du CO2 afin que celle-ci soit la plus rapide et efficace possible.
Automne 2024 : retour sur ces recherches
Se débarrasser du CO2 qui sature notre atmosphère... Un Graal écologique que de nombreux scientifiques tentent d'atteindre avec opiniâtreté. C'est le cas de Zakaria Halime, un chimiste qui cherche tous les moyens possibles pour transformer l'indésirable dioxyde de carbone. Pour en faire notamment du CO, le monoxyde de carbone. Car ce gaz que l'on redoute lorsqu'il s'échappe de notre chaudière est en réalité un composant clé pour tout un pan de l'industrie. On en produit plusieurs centaines de milliers de tonnes par an pour fabriquer ensuite du méthane, du méthanol, des hydrocarbures, ou encore de l'acide acétique.
Zakaria Halime dispose d'alliés de choix pour casser la molécule de CO2 : les catalyseurs – comme les porphyrines de fer – qui améliorent et accélèrent la réaction chimique.
En 2018, il met au point avec Benedikt Lassalle, scientifique au synchrotron SOLEIL, une nouvelle méthode de spectroscopie pour observer en temps réel, sous rayons X, la réaction de réduction du CO2 en CO. Cette méthode s'appuie sur une cellule électrochimique placée sur la ligne de lumière ROCK, de SOLEIL. La méthode est probante et donne lieu à une première publication (1).
Par la suite, Zakaria donne encore plus de souplesse au système catalytique qui casse la molécule de CO2. Le chimiste est désormais en mesure de moduler la structure même du catalyseur, pour lui donner les qualités qui sont requises dans une application donnée. Par exemple, pour obtenir une réaction plus économe en énergie. Ou bien une réaction plus rapide. Ou encore, une réaction efficace même si le CO2 est présent en faible quantité. Bref, une sorte de catalyseur « couteau suisse », qui s'adapte aux objectifs (2).
De nouveau avec Benedikt Lassalle, Zakaria utilise cette fois la ligne LUCIA pour tester une autre approche. Au lieu de laisser la réaction se produire dans un solvant organique, comme c'est habituellement le cas, il dépose le catalyseur sur une électrode modifiée. Le CO2 est alors réduit dans l'eau, tout simplement. Ce procédé présente des avantages très intéressants pour l'industrie : le produit final peut être recueilli dans l'eau au lieu de nécessiter une extraction d'un mélange organique, et la réaction peut être reproduite à plus grande échelle (3).
Mais la quête incessante de méthodes efficaces pour détruire le CO2 et en faire du CO peut intéresser d'autres secteurs que ceux liés à l'énergie. Notamment le domaine pharmaceutique.
Lors du processus de validation d'un nouveau médicament, il est courant de le « radio-marquer ». C'est-à-dire de lui intégrer un marqueur très légèrement radioactif, qui permet de suivre la distribution de la molécule active dans l'organisme. Quatre-vingts pour cent des médicaments passent par cette phase méconnue, avant d'être mis sur le marché.
Zakaria Halime propose en 2023 un concept novateur pour assurer ce radio-marquage. Tout d'abord, en employant du CO2 dont le carbone est légèrement radioactif (du « carbone 13 » ou du « carbone 14 » à la place du « carbone 12 », le plus abondant). Ensuite, en le réduisant en CO, tout en conservant cette radioactivité. Enfin, en insérant ce CO dans la molécule active : et voilà le médicament « marqué ». Cette idée originale occasionne une publication dans la célèbre revue Nature (4).
Dans cette riche et complexe nébuleuse de réactions chimiques, Zakaria envisage d'avoir un jour à nouveau recours au synchrotron : « La spectroscopie des rayons X en temps réel est un outil important. Je suis en dialogue quasi-permanent avec Benedikt Lassalle, et ça n'est pas près de s'arrêter ! »
Publications associées
(1) Cheaib, K., Maurice, B., Mateo, T., Halime, Z., Lassalle-Kaiser, B. "Time‐resolved X‐ray absorption spectroelectrochemistry of redox active species in solution" Journal of Synchrotron Radiation., 26(6): 1980-1985. (2019).
(2) P. Gotico, L. Roupnel, R. Guillot, M. Sircoglou, W. Leibl, Z. Halime, A. Aukauloo "Atropisomeric Hydrogen Bonding Control for CO2 Binding and Enhancement of Electrocatalytic Reduction at Iron Porphyrins" Angew. Chem. Int. Ed. , 59, 22451–22455 (2020).
(3) Zhang, C., Dragoe, D., Brisset, F., Boitrel, B., Lassalle-Kaiser, B., Leibl, W., Halime, Z., Aukauloo, A. "Second-Sphere Hydrogen-Bonding Enhances Heterogeneous Electrocatalytic CO2 to CO Reduction by Iron Porphyrin in water" Green Chemistry., 23(22): 8979-8987. (2021).
(4) S. Monticelli, A. Talbot, P. Gotico, F. Caillé, O. Loreau, et al.. "Unlocking full and fast conversion in photocatalytic carbon dioxide reduction for applications in radio-carbonylation". Nature Communications 14 (1), pp.4451 (2023).
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Transcription Audio
[Extérieur]
VOIX OFF
Les usines et les véhicules rejettent dans l’atmosphère des quantités de gaz carbonique toujours plus importantes. Plus de 40 milliards de tonnes de CO2 sont émises, chaque année, par les activités humaines. Alors que faire face à cette situation ? Que faire de ces déchets ?
Zakaria Halime - chimiste à l’Institut de Chimie Moléculaire et des Matériaux d'Orsay
Aujourd’hui, plusieurs laboratoires cherchent des solutions pour, à la fois capturer le CO2 qui atteint des concentrations assez élevées dans notre atmosphère, et transformer ce CO2 en molécules à valeur ajoutée.
VOIX OFF
La nature, elle, a la solution. Elle réalise cet exploit grâce à la photosynthèse. Les plantes arrivent en effet à capter le CO2 et à le transformer, grâce à l’énergie solaire, en matière végétale ou « biomasse ». De quoi donner des idées à certains chercheurs.
Zakaria Halime
Il y a une petite équipe, qui s’appelle « photosynthèse artificielle », qui s’inspire de toutes les étapes de la photosynthèse pour arriver à notre fin, à savoir utiliser l’énergie lumineuse pour transformer le CO2, pas en biomasse mais plutôt en carburants propres comme le méthanol ou le méthane.
VOIX OFF
Un bémol toutefois, la molécule de dioxyde de carbone est particulièrement réfractaire à toute transformation. Et pour cause, les liaisons qui relient le carbone aux atomes d’oxygène sont très… très solides. Pour parvenir à les casser, les chercheurs doivent donc se faire aider par un catalyseur.
C’est justement pour trouver LE catalyseur idéal – la substance qui permettra de réaliser cette photosynthèse artificielle rapidement et efficacement – que Zakaria Halime a décidé de travailler avec Benedikt Lassalle sur la ligne de lumière ROCK du synchrotron SOLEIL.
Benedikt Lassalle - chimiste et scientifique de ligne au Synchrotron SOLEIL
On va s’intéresser à des porphyrines de fer.
Zakaria Halime
… des catalyseurs qui sont bio-inspirés, parce que ce type de complexe –ou de molécule- est déjà utilisé par la nature.
Benedikt Lassalle
Ces catalyseurs sont assez prometteurs mais les gens cherchent à les optimiser. Donc pour ça, il faut déjà que l’on arrive à comprendre le mécanisme réactionnel : comment le cycle catalytique se passe, et quelle est la structure de ces catalyseurs.
VOIX OFF
Au cours de la réaction, le catalyseur va tenter de « capturer » le CO2 et de lui « arracher » ses atomes d’oxygène. Or, la spectroscopie des rayons X permet justement de suivre, en direct, ces échanges entre le catalyseur et le CO2.
Benedikt Lassalle
Bien souvent, les catalyseurs sont observés avant et éventuellement après la réaction, mais nous, on essaye de les regarder durant la réaction de réduction du CO2 pour avoir une idée de leur structure quand ils sont actifs.
Zakaria Halime
On a une réaction qui se produit très rapidement, on a des dizaines de milliers de réactions par seconde. Et nous, on va chercher à avoir des clichés pendant un cycle. Mais il faut en avoir assez, de ces clichés, pour reconstituer toute l’histoire.
Benedikt Lassalle
Donc ce sont toutes ces étapes, au cours de la catalyse, que l’on va essayer d’observer grâce à la résolution temporelle qui est accessible sur la ligne ROCK.
VOIX OFF
Une solution contenant le CO2 et le catalyseur va circuler dans une « cellule électrochimique » spécialement conçue sur imprimante 3D pour l’expérience. C’est là que les intenses rayons X viendront sonder les états de la matière et apporteront aux chercheurs de précieuses informations sur le mode d’action du catalyseur.
L’analyse extrêmement détaillée de cette transformation chimique est essentielle pour tenter d’améliorer l’efficacité du catalyseur. Le rendre plus sélectif, plus rapide et plus économe en énergie. Car l’objectif, in fine, est de pouvoir obtenir du carburant grâce à la seule énergie solaire.
Benedikt Lassalle
Aujourd’hui, on arrive raisonnablement bien à réduire le CO2 en CO. Mais ce n’est pas une cible industriellement ou économiquement extrêmement intéressante. Le méthane, c’est déjà plus intéressant. Si on pouvait faire du méthanol, de l’éthanol et d’autres composés chimiques ou des carburants à plus forte valeur ajoutée, ça, ce serait vraiment très intéressant.
VOIX OFF
Le chemin est encore long pour réussir à égaler l’ingéniosité des plantes, réussir à capter le CO2, et à le faire efficacement. Car l’industrie, elle, a besoin de temps. Plusieurs dizaines d’années de recherches sont sans doute encore nécessaires pour obtenir des carburants propres ou « zéro émission ».
Zakaria Halime
Les recherches que l’on fait aujourd’hui ne vont pas complétement régler le problème. On cherche des solutions pour capturer et transformer le CO2. Mais cela ne doit pas nous dispenser de réduire notre consommation en carburant fossile.