Aller au menu principal Aller au contenu principal

YbB12, un nouvel isolant topologique de Kondo

L’étude du composé YbB12 par photoémission résolue en angle réalisée sur la ligne CASSIOPEE a permis de mettre en évidence l’existence d’un état de surface métallique. Les résultats obtenus suggèrent fortement l’origine topologique de cet état de surface induit par l’effet Kondo* et suggèrent donc que YbB12 serait un isolant topologique de Kondo.

A la différence du volume (c’est-à-dire de l’intérieur) d’un cristal où les atomes sont alignés selon un motif régulier, certains phénomènes particuliers apparaissent à sa surface et, sans surprise, ces phénomènes peuvent également être affectés par le volume. Parmi ces phénomènes physiques, les états de surface topologiques dont les propriétés sont déterminées par la symétrie des états électroniques du volume, suscitent un intérêt particulier.

Un état de surface topologique permet l’écoulement d’un courant de charge sans que celui-ci soit affecté par la structure atomique fine ou par la contamination de la surface cristalline, et l’orientation des spins dépend de la direction de propagation des électrons même si le volume n’est pas magnétique. De gros efforts de recherche ont été faits dans le but de mettre en application les états de surface topologiques dans les semiconducteurs de future génération pour des dispositifs de spintronique et notamment, les effets de corrélations électroniques sur les états de surface topologiques ont été particulièrement étudiés ces dernières années.

Les fortes corrélations électroniques peuvent être à l’origine de nombreux phénomènes, tels que la supraconductivité à haute température ou la magnétorésistance géante en volume. Plusieurs nouveaux phénomènes physiques dus à la combinaison de ces propriétés et des états de surface topologiques sont prédits théoriquement. En particulier, il a été prédit que la combinaison de fortes corrélations électroniques avec une interaction spin-orbite pouvait conduire à de nouveaux états topologiques de nature quantique dans les isolants de Kondo* : les isolants topologiques de Kondo. Cependant, les chercheurs rencontrent des difficultés expérimentales à générer des états de surface topologiques, qui sont intimement liées aux effets de fortes corrélations électroniques. Un isolant particulier, l’hexaboride de samarium SmB6, qui présente une transition de phase métal – semiconducteur via l’effet Kondo à basse température, a pourtant été décrit comme un possible isolant topologique de Kondo. Néanmoins, certains travaux ont conduit à une interprétation différente de l’état électronique de surface et il n’est donc pas très clair si SmB6 est bien un isolant topologique de Kondo, ou si un état de surface topologique pourrait être engendré par les corrélations électroniques.

Une équipe de recherche, issue d’une collaboration entre l’Université d’Osaka, l’institut des sciences moléculaires d’Okazaki, l’institut des sciences de structure de la matière (IMSS-KEK), l’Université d’Ibaraki et de la ligne CASSIOPEE à SOLEIL, a développé une nouvelle méthode pour obtenir une surface propre et bien définie d’un monocristal de boride d’ytterbium YbB12, et étudié son état électronique de surface par des mesures de photoémission angulaire (ARPES) résolues en spin et en symétrie.

La figure 1 présente le diagramme de diffraction d’électrons lents (LEED) observé après le processus de nettoyage. Les taches fines et bien définies et le faible fond diffus montrent qu’une surface (001) propre et bien ordonnée de YbB12 a été obtenue. En plus des taches de diffraction correspondant au paramètre de maille de la surface (001), des taches d’ordre fractionnaire révélatrices d’une reconstruction de surface sont également observées. Le diagramme de diffraction présente une symétrie d’ordre 4, ce qui est attendu pour la structure de volume du cristal (voir la partie gauche de la figure 1).

Figure 1 : (gauche) Structure atomique du cristal YbB12 (Yb en vert et B en gris).(droite) Diagramme de diffraction d’électrons lents de la surface propre de YbB12. Les taches fines et brillantes indiquent que la surface est propre et bien ordonnée.

La figure 2 présente les résultats d’ARPES révélant la structure électronique de surface. On peut constater que l’état métallique (ligne jaune sur la figure 2(a)) disperse continûment sur tout le gap de volume. La structure électronique de volume de YbB12 ne pouvant comporter de tels états métalliques dispersant à travers tout le gap de Kondo, cet état métallique provient forcément de la structure électronique de surface. De plus, les mesures de dichroïsme circulaire en ARPES réalisées sur CASSIOPEE révèlent une polarisation orbitale hélicoïdale de l’état de surface métallique, ce qui est très lié à une polarisation en spin. Ces résultats suggèrent fortement l’origine topologique des états de surface de YbB12, engendrés par l’effet Kondo.

Figure 2 : (a) Diagramme d’énergie en fonction du vecteur d’onde des états électroniques de surface de YbB12. Les zones sombres correspondent aux intensités les plus élevées. La ligne guide jaune indique la dispersion de l’état de surface et la fenêtre inférieure présente la courbe de distribution des moments à 0 meV d’énergie de liaison. (b) Structure de la polarisation orbitale du moment angulaire obtenue par dichroïsme circulaire en ARPES. Les zones rouges et bleues représentent la polarisation selon deux directions opposées. La ligne pointillée indique la dispersion de l’état de surface présentée en (a).

* - Effet Kondo et isolant de Kondo
Dans certains systèmes intermétalliques à base de terres rares, la coexistence d’états 4f incomplets et d’électrons de conduction peut conduire à l’apparition d’un effet Kondo. En effets, les états 4f sont très localisés sur les sites des ions de terre rare et si ces états ne sont pas complètement occupés, ils forment un moment magnétique très localisé. D’un autre côté, les électrons de conduction sont complètement délocalisés et peuvent être diffusés par les moments magnétiques 4f. A haute température ces interactions sont sans conséquence mais lorsque la température diminue, ces interactions deviennent importantes comparé aux autres énergies. On définit alors la température de Kondo qui est la température en-dessous de laquelle on assiste à un couplage entre les moments magnétiques et les électrons de conduction qui forment des quasi-particules non magnétiques (couplage antiferromagnétique) et de masse effective très élevée qui traduit le piégeage des électrons de conduction. L’impossibilité pour les électrons de conduction de se déplacer en-dessous de la température de Kondo correspond, en physique du solide, à l’ouverture d’un gap au niveau de Fermi dans la structure de bande et à l’apparition d’une phase isolante.