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Une transition métal-isolant originale vue par photoémission

Les transitions métal-isolant sont un des phénomènes les plus spectaculaires de la matière condensée…

Dans de nombreuses situations très différentes, on peut observer des variations de plusieurs ordres de grandeur de la résistivité d’un composé en fonction de différents paramètres : température, dopage, pression, champ électrique ou magnétique. Quand ce paramètre est facile à contrôler (une impulsion électrique par exemple), ces transitions pourraient être exploitées de façon intéressante pour certaines applications (« switchs » résistifs). D’un autre côté, leurs origines peuvent être très diverses et parvenir à les identifier permet souvent de comprendre intimement la nature d’un matériau. Elles peuvent par exemple être dues simplement à une transition structurale, ou bien à des corrélations compliquées entre électrons, ou encore à un mélange des deux où les interactions entre électrons et vibrations du réseau jouent un rôle essentiel.

Plusieurs équipes françaises (LPS-Orsay, LSI-Polytechnique, IMN-Nantes) se sont intéressées récemment à une transition assez inhabituelle, qui peut être induite par des impulsions électriques, comme l’ont démontré des chercheurs de l’IMN. Elle se produit dans le composé [LaS]1.2VS2 dont la structure est représentée en Fig. 1a. Dans cette structure bidimensionnelle, les couches LaS et VS2 ont des périodicités différentes dans la direction a. On pourrait penser que ceci devrait rendre le composé instable, mais le réseau d’atomes de vanadium dans les plans VS2 réussit à s’adapter grâce à une modulation des positions des atomes correspondant à la différence de périodicité (cf Fig. 1b).
Il est difficile de prédire a priori quelles devraient être les propriétés électroniques de ces matériaux.

Des informations apportées par la photoémission…

Les mesures de photoémission effectuées sur la ligne CASSIOPEE donnent une image très claire de ce qui se passe en fonction de la température. Les spectres de la figure 1c représentent la densité d’état électronique au point de l’espace réciproque où les bandes s’approchent le plus du niveau de Fermi (EF). A température ambiante, le composé est « presque » métallique : le pic principal se trouve un peu en dessous de EF (il serait à EF pour un vrai métal) mais il y a un peu d’intensité à EF qui permet d’assurer un comportement conducteur. En fonction de la température, le pic s’éloigne de Fermi et le composé devient complètement isolant. Cette très forte variation de la position du pic en fonction de la température était totalement inattendue, ce n’est pas ce qui se passe dans un isolant ou semi-conducteur « classique », et cela démontre que ce composé a une aptitude particulière pour passer d’un état quasi-métallique à un état quasi-isolant.

Les chercheurs ont montré que le gap (la position du pic par rapport à EF) suit en fait l’amplitude de la distorsion, qui augmente légèrement à basse température. Ceci témoigne  d’une extrême sensibilité de la structure électronique à la distance, entre atomes de vanadium.

… et plus spécifiquement par le FemtoARPES*

Pour mieux comprendre le lien entre propriétés électroniques et structure dans ce composé, les scientifiques ont utilisé l’expérience FemtoARPES installée à SOLEIL, qui permet de sonder la dynamique de la transition à l’aide d’un laser femtoseconde. On utilise ici une impulsion laser intense qui donne de l’énergie aux électrons et crée un état excité, puis on observe par photoémission le retour à l’équilibre.
Il a été constaté qu’en partant de l’état à basse température, il était très facile de créer des états dans le gap avec l’impulsion laser et rendre le composé quasiment métallique. De façon surprenante, ceci se passe très rapidement (en moins de 80 fs, limite expérimentale), comme si l’énergie communiquée aux électrons permettait quasiment instantanément de modifier certaines caractéristiques du réseau.
Ceci montre combien les états électroniques participent activement à la stabilité de la structure. Dans ce cas, les deux phénomènes sont si fortement liés qu’ils régissent à toute modification d’un système ou de l’autre.

*FemtoARPES : photoémission résolue en angle (ARPES) et en temps, à l’échelle de la femto-seconde.

Fig. 1 : (a) Empilement des couches LaS et VS2 dans [LaS]1.2VS2. (b) Détails du plan VS2 avec la modulation sinusoïdale due à l’incommensurabilité, distordant le réseau triangulaire des Vanadiums (en bleu). (c) Spectre de photoémission à différentes température au point de l’espace réciproque où les bandes s’approchent le plus de EF (référence des énergies).