Des fouilles archéologiques réalisées entre 2022 et 2024 sur le site de l’ancien hôpital Porte Madeleine d’Orléans par le Service Archéologique de la ville d’Orléans ont permis de mettre au jour une nécropole de l’époque romaine jusqu’alors inconnue. Les sépultures qu’elle contient ont livré 18 tablettes de défixion (du latin defixio, envoûtement ou malédiction) en plomb, pliées ou enroulées sur elles-mêmes.
Afin d’avoir accès au texte gravé sur ces tablettes sans risquer de les détériorer en les dépliant, les archéologues ont fait appel à l’équipe de la ligne PSICHE.
Cette nécropole, par ses caractéristiques, présente de nombreuses particularités par rapport à d’autres nécropoles de la même période : toutes les sépultures sont des inhumations, installées en une unique rangée le long d’un mur parcellaire, sur au moins 140 m de longueur. Tous les individus mis au jour sont des adultes de sexe masculin, installés dans des cercueils de bois dont les clous en fer ont été retrouvés. L’identité des défunts reste encore un mystère, mais le plan particulier de la nécropole et l’homogénéité des gestes funéraires incite l’équipe archéologique à proposer l’hypothèse d’un regroupement lié à un type de population particulier ou à une corporation : des édiles, des magistrats, une corporation marchande ?
Plusieurs de ces sépultures ont livré des tablettes de défixion : il s’agit de très fines plaques de plomb inscrites d’un message ou de symboles puis roulées ou pliées sur elles-mêmes (figure 1). L’usage du plomb se révèle à la fois pratique et symbolique : facilement malléable et incisable, ce métal froid renvoie aux profondeurs de la terre et aux divinités chtoniennes (divinités infernales et telluriques, par opposition aux divinités célestes). Ces tablettes sont ainsi le plus souvent retrouvées dans des puits, des sources, ou encore en contexte funéraire. Il s’agit généralement de malédictions ou parfois de magie blanche, toujours lié à une intercession auprès des divinités.
Figure 1 : la sépulture F2199 mise au jour dans la nécropole ; la flèche indique l’emplacement de la tablette de défixion associée (© Service d'archéologie, 2022).
Sur la nécropole de l’hôpital Porte Madeleine d’Orléans, ce sont pas moins de 18 tablettes de défixion qui ont été mises au jour, ce qui constitue un corpus exceptionnel pour ce type de contexte. Deux tablettes issues d’une première fouille du site en 2022 ont été dépliées et sont inscrites en cursives latines, l’une avec un texte en langue gauloise et l’autre avec un texte en latin. Le processus d’ouverture des tablettes, réalisé par une restauratrice du patrimoine (figure 2), constitue à chaque fois une petite prise de risque pour l’intégrité de l’objet, avec notamment l’apparition de craquelures du métal à l’emplacement des pliures ce qui complique la tâche de transcription du texte par la suite.
Figure 2 : à gauche, tablette de défixion retrouvée pliée dans la sépulture F2199, la règle pour donner l’échelle mesure 5 cm (© Service d’archéologie, 2023) ; à droite, tablette de défixion de la sépulture F2199 dépliée et restaurée, photographiée au moyen de la technique RTI* (© Antoine Cazin, La Fabrique de Patrimoine en Normandie, 2023).
L’idée était de tenter une lecture d’une des tablettes de défixion, sans même avoir à la déplier, au moyen de la tomographie à rayons X et de la ligne PSICHÉ du synchrotron SOLEIL, une technique d’analyse comparable à un scanner médical. Après l’enregistrement d’images 3D, le « déroulement virtuel » de l’objet tomographié est réalisé grâce à un long travail de reconstruction des images planes, qui est basé sur l’adaptation spécifique à l’objet d’un programme de traitement d’images. Cette reconstruction sur-mesure (en fonction du degré d’enroulement des spires, etc) est réalisée par Andrew King, scientifique sur la ligne PSICHE. Une approche qui a déjà donné des résultats impressionnants sur un talisman mandéen du futur musée des écritures d’Ampus (Var), résultats remarqués par l’équipe d’Orléans.
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Des « mesures-tests » réalisées sur PSICHE
Les premières mesures-tests effectuées début octobre 2024 (figure 3) ont permis de démontrer la faisabilité de l’étude.
Figure 3 : le rouleau, à gauche, est fixé sur le porte échantillon dans la cabane d’expériences de la ligne PSICHE (à droite) après avoir été protégé dans une enveloppe plastique pour éviter tout risque de choc. Le porte-échantillon est ensuite piloté à distance de façon à positionner et faire tourner le rouleau dans le faisceau de rayons X.
Les résultats obtenus sont très prometteurs (figure 4) et les scientifiques de PSICHE ont déjà des idées de stratégie à adopter pour améliorer le contraste et la résolution lors de futures mesures avec l’équipe orléanaise.
À bientôt pour la suite !
Figure 4 : Deux scans superposés de tomographie X du rouleau réalisés sur PSICHE; l’image correspond donc à une section du rouleau (soit une taille d’environ 1,5 cm x 0,5 cm). Le pliage interne du rouleau est ainsi révélé.
*RTI : Reflectance Transformation Imaging, méthode photographique permettant de produire une image dynamique à partir d'une série de clichés pris avec des angles de lumières multiples. Un traitement logiciel permet de créer un modèle de l'objet photographié et de modifier dynamiquement la localisation de la source lumineuse. Des détails invisibles à l'œil nu ou en lumière naturelle peuvent ainsi être mis en évidence (Source).