La carence en fer est la principale cause d'anémie, qui touche environ 25% de la population mondiale. Le développement de nouveaux aliments riches en fer, naturellement apporté par les ingrédients utilisés, est une approche prometteuse pour y remédier. Néanmoins, l’absorption du fer par l’organisme est un phénomène complexe dépendant de nombreux facteurs.
Des scientifiques d’INRAE et de l’ADIV à Clermont-Ferrand se sont penchés sur la question de la biodisponibilité du fer, en utilisant les rayons X sur la ligne de lumière LUCIA, afin de concevoir de nouveaux aliments pour les personnes carencées.
Au-delà de la quantité de fer ingérée, la spéciation du fer, c’est-à-dire son état d’oxydation et sa liaison à d’autres éléments chimiques, joue un rôle déterminant dans son absorption par l’organisme. Dans l’alimentation, le fer se trouve sous deux formes : le fer héminique, essentiellement d’origine animale (viande) et le fer non-héminique que l’on retrouve à la fois dans les produits animaux et végétaux et qui regroupe les ions de fer libre (Fe2+ et Fe3+), mais aussi des formes complexées comme la ferritine. Le fer non-héminique est le fer majoritairement consommé, mais il est beaucoup moins bien absorbé que le fer héminique car il interagit plus facilement avec d’autres composés. Des études ont mis en évidence certains composés capables d’inhiber l’absorption du fer, comme l’acide phytique (riche en phosphore) ou les polyphénols et d’autres, au contraire, capables de favoriser cette absorption, comme l’acide ascorbique et les tissus animaux, contenant notamment des peptides soufrés.
Dans ce contexte, des travaux émergent afin de mettre au point des associations d’ingrédients permettant de maximiser l’absorption du fer par l’organisme : c’est le cas de l’association de matières premières animales et végétales. En effet, il a été démontré que les produits animaux tels que les abats, en plus de contenir du fer très assimilable, étaient aussi en capacité d’augmenter l’absorption du fer végétal en réduisant l’impact de certains inhibiteurs s’ils sont consommés en même temps.
L’objectif de cette étude était d’investiguer l’effet de la conservation d’un aliment mixte multicouche, imprimé en 3D et composé de foie et de lentilles, sur l’évolution de la spéciation du fer et sur sa distribution dans le produit. Pour ce faire, des coupes cryogéniques de cet aliment mixte ont été réalisées après différentes durées de conservation, en présence ou en absence d’oxygène (remplacé par de l’azote, N2), puis analysées via une approche combinant la cartographie de fluorescence X (XRF) et la spectroscopie d’absorption X (XANES) mise en œuvre sur la ligne LUCIA (Figure 1).
Figure 1 : Schéma expérimental pour l’étude du fer dans l’aliment mixte.
La microspectroscopie de fluorescence X (µ-XRF) a permis de cartographier dans l’aliment la distribution du fer, mais aussi, simultanément, celles du phosphore et du soufre. Ces analyses ont ainsi mis en évidence une concentration du fer dans les amyloplastes des lentilles en présence d’oxygène, ainsi que la colocalisation du fer avec le soufre et le phosphore (Figure 2). Ces données suggèrent que le fer pourrait interagir avec la ferritine, les phytates, ou encore les acides aminés soufrés, avec de possibles conséquences sur son absorption.
Figure 2 : Comparaison des profils du fer (Fe), du phosphore (P) et du soufre (S) extraits des cartographies µ-XRF dans les aliments en fonction des conditions de conservation (en présence d’azote, N2-MAP ou d’oxygène, O2-MAP). La ligne en pointillé marque l'interface végétal/animal, avec la partie végétale à gauche et la partie animale à droite.
Dans un second temps, la spectroscopie XANES a permis d’identifier et de différencier les formes de fer propres aux matrices animales et végétales. Les résultats ont montré des formes de fer plus réduites pour les matrices à base de foie et des formes plus oxydées pour celles contenant des lentilles (Figure 3). Après quelques jours de conservation, la spectroscopie µ-XANES a révélé des interactions entre les parties animales et végétales dans l’aliment mixte, avec la présence de formes de fer réduites proches de celles du foie dans la partie végétale. Deux hypothèses ont alors été formulées : un phénomène de diffusion du fer d’origine animale vers la partie végétale ou un changement dans la spéciation du fer d’origine végétale vers une forme plus réduite, ce qui pourrait expliquer une meilleure assimilation ensuite par l’organisme.
Figure 3 : Comparaison des spectres XANES du fer, pour les mélanges animaux et végétaux dans la région du pré-pic (énergies comprises entre 7105,2 – 7121,0 eV).
Ces travaux apportent de nouveaux éléments sur les mécanismes d’interaction entre le fer et les autres constituants, à prendre en compte lors de la conception d’aliments innovants riches en fer. Cette étude montre également l’intérêt des aliments mixtes, associant matières premières animales, notamment issues de coproduits, et matières premières végétales comme moyen pour lutter contre les carences en fer. En complément, des expériences in vivo seraient particulièrement intéressantes pour évaluer la biodisponibilité du fer d’un tel aliment à l’échelle de l’organisme.
Image d’illustration : Cartographie d’une coupe d’aliment mixte : partie végétale (lentilles) à gauche et partie animale (foie) à droite - Image obtenue par spectroscopie de fluorescence X sur la ligne LUCIA (fer en rouge ; phosphore en vert)