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Sur les traces de l’ivoire de mammouth, un témoin de la préhistoire

Il y a 40 000 ans, les humains préhistoriques ont utilisé l’ivoire de mammouth pour façonner les premières statuettes et fabriquer les premiers instruments de musique découverts à ce jour. L’ivoire est donc un matériau très précieux car il est un des rares indices restants témoignant de cette activité artistique. Sur la ligne de lumière PUMA du synchrotron SOLEIL, les physiciens et chimistes travaillent avec les archéologues pour étudier ces morceaux d’ivoire en utilisant le rayonnement lumineux. Celui-ci permet d’y détecter des éléments dont la concentration est extrêmement faible qui sont caractéristiques des conditions d’enfouissement de l’ivoire archéologique ou du lieu de vie du mammouth vivant.

Une équipe conjointe de chercheuses et de chercheurs entre les laboratoires IPANEMA et la fédération de recherche New AGLAE CNRS au Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF) a analysé les éléments traces présents dans les ivoires de plusieurs sites préhistoriques en France et en Allemagne. Ces sites datent de la période Aurignacienne (35 000-45 000 ans). Ils ont utilisé l’accélérateur de particules (protons) AGLAE (Accélérateur Grand Louvre d’analyse élémentaire), un appareil destiné à l’étude des œuvres d’art et d’archéologie situé au musée du Louvre, pour obtenir les premiers résultats. Les chercheuses ont observé que les concentrations d’éléments traces tels que le zinc, le strontium et le brome diffèrent d’un site préhistorique à l’autre. Comme ces éléments traces caractéristiques s’y sont principalement incorporés lorsque le mammouth était vivant, ils correspondent à l’habitat du mammouth et donc, après sa mort, forment une signature chimique de la provenance de l’ivoire utilisé par les humains de l’époque. On parle d’éléments endogènes ou biogéniques. A l’inverse d’autres éléments tels que le fluor, le fer ou le manganèse n’étaient pas présents initialement dans l’ivoire et s’y sont incorporés pendant l’enfouissement. Ce sont des éléments exogènes. Ils sont témoins de l’altération de l’ivoire dans le sol.

Afin de confirmer ces résultats ces chercheuses et chercheurs sont venus sur la ligne PUMA au synchrotron SOLEIL pour analyser des échantillons d’ivoire datant de l’Aurignacien provenant du site de Hohle Fels au Sud-Ouest de l’Allemagne.

C’est dans ce site que les archéologues ont trouvé une des plus anciennes statuettes aux traits humains jamais découvertes et les plus anciens instruments de musique connus. Ce site a aussi été occupé successivement par l’homme de Néanderthal (Homo sapiens neanderthalensis) puis par Homo sapiens sapiens dont nous descendons.

Figure 1 : Cartographies par fluorescence X des traces de manganèse et de strontium dans un échantillon d’ivoire provenant de la grotte de Hohle Fels. La zone de mesure sur l’échantillon est indiquée par le cercle rouge sur la photo en haut à gauche (a).

Les scientifiques ont visualisé la répartition spatiale des éléments endogènes/exogènes composant l’ivoire (avec des concentrations massiques variant de 0,1 à 0,001%) (voir figure 1). Les cartographies des éléments plus lourds que le fer et de faible concentration (autour de 0,001%) comme le strontium peuvent être mieux obtenues sur PUMA qu’à AGLAE. A l’inverse l’accélérateur AGLAE est plus adapté pour fournir des cartographies des éléments plus légers que le calcium tel que le fluor. Enfin certains éléments comme le manganèse ou le fer sont bien détectés à PUMA et à AGLAE. Cette complémentarité de la ligne PUMA et de l’accélérateur AGLAE a permis une étude complète des échantillons d’ivoire.

La répartition spatiale des éléments endogènes et exogènes est différente. Les éléments endogènes ont une répartition homogène, lorsqu’ils sont bien conservés, sur la surface des échantillons comme on peut le voir dans le cas du strontium dans la figure 1b. À l’inverse un élément exogène comme le manganèse est réparti d’une façon hétérogène, par ex. concentré dans les points noirs et en surface et au niveau de la fissure (figure 1d). L’étude a confirmé les précédentes observations faites à AGLAE et a permis de détecter d’autres éléments traces à SOLEIL et de les classer comme endogène ou exogène.

Grâce à une analyse combinée sur la ligne PUMA du synchrotron SOLEIL et sur la ligne New AGLAE au C2RMF une équipe de chercheuses et de chercheurs a pu distinguer les éléments endogènes et exogènes d’échantillons d’ivoire préhistoriques provenant de la grotte de Hohle Fels en Allemagne sans les abîmer. Les archéologues peuvent déduire les approvisionnements d’ivoire et les possibles échanges des hommes préhistoriques grâce aux différents éléments endogènes variables entre sites. Les éléments exogènes nous renseignent sur la dégradation de l’ivoire pendant son enfouissement. Cette dernière question est cruciale pour conserver ces matériaux anciens précieux et les transmettre aux générations futures.