Aller au menu principal Aller au contenu principal

Stockage de l’information – Propriétés de matériaux ferroélectriques étudiées par XPS/PEEM

Les mémoires à base de matériaux ferroélectriques pourraient constituer une alternative aux mémoires magnétiques pour de futurs périphériques de stockage de masse. De tels composants ont des avantages considérables : ils sont non volatiles, ont des temps de lecture-écriture courts, utilisent des tensions compatibles avec l’électronique à base de Silicium et consomment peu d'énergie. Cependant, pour envisager des applications basées sur de tels matériaux, une meilleure compréhension des propriétés électroniques de couches minces ferroélectriques est essentielle. Or, une telle caractérisation est souvent impossible avec les techniques conventionnelles. Des chercheurs de l’IRAMIS (CEA), de l’Institut des Nanotechnologies de Lyon (ECL), de l’UMRPhys CNRS/Thalès, de l’université d’Arkansas et de l’Institut d’Electronique Fondamentale (Université d’Orsay) ont étudié sur la ligne TEMPO des couches ultra-minces de matériaux ferroélectriques par spectroscopie et microscopie de photoélectrons, une technique d’analyse particulièrement adaptée.

Dans un composant ferroélectrique, la polarisation électrique locale est utilisée pour stocker des informations, soit directement (FeRAMS), soit en agissant sur l’état bistable d’un autre matériau (mémoires résistives).

La propriété fondamentale d'un matériau ferroélectrique (FE) est de posséder une polarisation macroscopique spontanée qui peut être inversée par l'application d'un champ électrique. L'inversion de la polarisation de couches minces ferroélectriques nécessite une électrode métallique, ce qui pose des questions fondamentales quant au comportement de l'interface entre la couche FE et l'électrode. En effet, la polarisation crée des charges fixes de signes opposés aux deux interfaces métal-FE. Les porteurs de charges dans les électrodes métalliques écrantent la charge de polarisation. Toutefois, cet écrantage est généralement imparfait et le champ de dépolarisation résiduel dans le FE altère le potentiel électrostatique et peut même supprimer la polarisation ferroélectrique sous une épaisseur dite critique.

Mesure de la réponse électronique d’une interface métal/FE au renversement de polarisation

La spectroscopie de photoémission (XPS) avec application in-situ d'une tension a permis de mesurer directement l'alignement des bandes de conduction ainsi que la structure électronique du BaTiO3 (BTO) au voisinage de l'interface Pt/BTO dans une hétérostructure de Pt/BTO/SrTiO3:Nb. Des électrodes de 300 × 300 μm² de surface et de 3 nm d'épaisseur ont été fabriquées par gravure ionique. Des couches plus épaisses en palladium chevauchant partiellement les électrodes de Pt ont été déposées afin de permettre la connexion des électrodes du haut avec le porte-échantillon (Figure 1a). Sur la ligne de lumière TEMPO, le faisceau (dimensions 100 × 100 μm²) a pu être dirigé vers une unique électrode, localisée grâce à une carte de l'échantillon. Cette carte a été obtenue en scannant la surface de l’échantillon avec le faisceau tout en mesurant le seuil d'absorption du Pt (Figure 1b).

Figure 1 : (a) Schéma du condensateur ; (b) Carte d'intensité du niveau de coeur Pt 4f présentant 20 condensateurs identiques de Pt/BTO/NSTO (300x300 µm²) sur la surface de 5x5 mm².

Dans l'état P+ (polarisation du BTO vers le Pt), la structure peut être modélisée comme deux diodes montées dos à dos. Cela induit une conduction de type Schotkky pour la structure complète. En effet, le décalage en énergie entre les bandes de conduction est de 0,40 eV à l'interface Pt/BTO et de 0,45 eV à l'interface BTO/NSTO. Dans l'état P- (polarisation du FE vers le NSTO), l'alignement des bandes de l’interface supérieure (Pt/BTO) est toujours de type Schottky (+0,90 eV) mais à l’interface du bas, les bandes de conduction s’alignent. Le transport électronique est alors ohmique, en accord avec la caractérisation électrique du système par des mesures Courant – Tension. Les hauteurs de barrières, ou alignement des bandes, dépendent à la fois de la chimie de l'interface et de la polarisation du FE (réf 1).

 

En utilisant le détecteur résolu en temps disponible sur la ligne de lumière TEMPO, la réponse temporelle du condensateur au renversement de polarisation a pu être mesurée. Le système a pu être modélisé par un circuit électrique équivalent et son comportement correspond bien aux résultats de photoémission sur le système réel. Ceci montre le potentiel de la spectroscopie de photoémission résolue en temps pour suivre les changements chimiques/électroniques dans des composants microélectroniques fonctionnels, dans ce cas un condensateur ferroélectrique (réf 2).

L'étape suivante sera d'effectuer des mesures pompe-sonde in-operando de la dynamique électronique de la structure, en examinant la réponse du ferroélectrique au voisinage de l'interface de l'électrode supérieure. Un dispositif pompe-sonde utilisant le système XPS comme sonde constitue l'outil idéal, et semble bien adaptée aux fonctionnalités de détection résolue en temps de TEMPO.

Cartographie de polarisation dans des couches ferroélectriques ultra-minces 

L’existence d’une épaisseur critique pour la ferroélectricité est un problème fondamental pour le développement futur d’applications basées sur des couches minces nanométriques.

La microscopie de photoélectrons (PEEM) offre une solution originale à ce problème grâce à sa grande sensibilité au potentiel de surface, et donc aux différences de charges de surface, par exemple entre des domaines polarisés P+ et P-. Une corrélation spatiale du potentiel de surface, de la chimie et de la structure de bandes peut être réalisée à des échelles compatibles avec les composants réels.

Par exemple, un cristal de BaTiO3(001)  a été étudié en utilisant un PEEM filtré en énergie sur la ligne TEMPO. Les spectres au seuil de photoémission des régions d'intérêt - indiquées par les rectangles sur la figure 2a - montrent trois seuils de photoémission distincts. Une analyse pixel par pixel fournit la carte du seuil de photoémission dont les valeurs correspondent aux domaines de polarisation pointant hors de la surface, dans le plan de la surface et pointant vers la surface. Ainsi, la PEEM filtrée en énergie permet une cartographie précise de la distribution des domaines polaires sur la surface (Figure 2 ; réf 3).

Figure 2 : (a) Image au seuil de photoémission d'un cristal unique de BTO (001) présentant trois niveaux d'intensité. (b) Spectres au seuil extraits des rectangles (en traits pleins) dans (a). (c) Cartes de seuil de photoémission obtenues grâce à un ajustement pixel par pixel des spectres au seuil.

Lors d’une autre étude, des couches ultra-minces de BiFeO3 ont été déposées sur un substrat (La, Sr)MnO3/SrTiO3(001) au laboratoire UMPhys (CNRS/Thalès). Des régions de taille micrométrique ont été polarisées par microscopie à force piézoélectrique. Encore, une mesure du seuil de photoémission résolue spatialement fournit une estimation directe et sans contact de la polarisation des couches minces (Figure 3). En dessous de 5-7 nm, la polarisation de la couche tombe à zéro. Toutefois, la diffraction de rayons X montre que la distorsion tétragonale reste constante pour ces épaisseurs, ce qui indique que la réduction brutale de la polarisation n’est pas causée par des modifications structurelles. Des calculs d’Hamiltoniens effectifs basées sur le premier prince suggèrent que lorsque l'écrantage de la polarisation ferroélectrique est trop inefficace, il devient impossible de maintenir une phase à domaine unique ; plutôt, on observe une transition vers une phase à domaines en bandes alternées de tailles nanométriques. Cette phase montre une polarisation moyenne nulle quand elle est mesurée à l'échelle du micron par le PEEM tout en conservant une distorsion tétragonale importante (réf 4). Maintenant, le défi réside dans l'observation expérimentale de ces domaines nanométriques prédits par les calculs théoriques.

Figure 3 : (a) Spectres au seuil extraits des domaines P+ (vers le haut) et P- (vers le bas) (b) Carte du travail de sortie obtenue à partir de la série d'images de seuil (couche mince de 70 nm).