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Qu’y a-t-il dans le tronc des arbres ? Le projet WoodSun apporte une réponse en 3D

Imaginez pouvoir explorer ce qui se cache à l'intérieur des différentes essences de bois, à l’échelle du micromètre, tout ça sans détruire les arbres et sans microscope ! C'est précisément le but du projet WoodSun d’Eric Badel et son équipe, mené en collaboration avec SOLEIL et basé sur la microtomographie X mise en œuvre sur la ligne PSICHE. Comme un scanner, cette technique permet de reconstituer des images 3D de l’intérieur des objets analysés. Les données obtenues sur PSICHE sont ensuite converties de façon à être « lisibles » par des imprimantes 3D, qui vont alors pouvoir reproduire des répliques d’échantillons de bois à l’échelle x 1000 (un micromètre devient un millimètre), révélant des détails invisibles à l'œil nu. Une véritable plongée sous l’écorce !

Le projet WoodSun s’inscrit dans le GDR (Groupement de Recherche) « science du bois », financé par le CNRS, INRAE, le ministère de la Culture et AgroParisTech. Ce GDR -une structure d'animation qui favorise les échanges entre les scientifiques des différentes entités citées- s’intéresse aux caractéristiques du bois, de la biologie à l'ingénierie, tout en explorant les liens entre structures et propriétés. Il coordonne des actions pédagogiques, partage des ressources et collabore avec la communauté scientifique et les professionnels du secteur.

Dans le cadre de ce GDR, une équipe inter-laboratoires (cf figure 1) s’est lancé un défi : proposer un nouvel outil pédagogique, permettant à tous d’apprécier la diversité des microstructures des bois sans mettre les yeux sur un microscope ! Et dans cet objectif, elle a demandé l’aide de SOLEIL.

Figure 1 : L’équipe (de gauche à droite) : Joffrey Viguier, Maître de Conférences ENSAM au LaBoMaP (Cluny) ; debout : Eric Badel, Directeur de Recherches INRAE à l’UMR PIAF (Clermont Ferrand) et Directeur du GDR 3544 « Sciences du Bois » ; accroupi : Yvan Duhamel, Ingénieur Université Montpellier (Montpellier) ; Cyril Bozonnet, post-doctorant INRAE à l’UMR PIAF (Clermont Ferrand) ; Olivier Arnould, Maître de Conférences Université Montpellier à l’UMR LMGC (Montpellier) ; Julien Ruelle, Ingénieur INRAE à l’UMR SILVA (Nancy).

Il existe une très grande diversité d’essences de bois, chacune avec des propriétés particulières, qu’elles soient physiques ou mécaniques, olfactives ou chimiques. Ces propriétés sont définies, en partie, par des structures anatomiques très différentes. Par exemple, le fonctionnement hydraulique d’un arbre dépend largement du système vasculaire formé par le bois, qui transporte l’eau des racines aux feuilles à travers des canaux internes. Sur le plan mécanique, le bois joue aussi un rôle crucial en assurant le soutien structurel de l’arbre, nécessitant une structure robuste pour supporter son poids et les contraintes environnementales telles que le vent. Le bois sert aussi de zone de stockage pour diverses substances produites par l’arbre, telles que les réserves carbonées (sucres) qui peuvent être mobilisées en cas de besoin pour résister au froid ou répondre à d’autres exigences. Ces trois grandes fonctions – conduction hydraulique, soutien mécanique et stockage – sont essentielles pour la pérennité de l’arbre et sont caractérisées par des structures cellulaires très précises et spécifiques qui varient entre les essences et leurs conditions environnementales de croissance. Connaître, identifier et comprendre ces structures permettent d’utiliser chaque essence de bois au mieux (dans le domaine de la construction, de l’agroalimentaire etc.)

Eric Badel : « On connaît très bien quelques-unes de ces structures, comme le chêne, le hêtre, mais moins bien toute la diversité qui existe à l’échelle planétaire. Afin de répertorier cette diversité de bois, les scientifiques ont toujours ramené des échantillons pour les stocker, les caractériser, les archiver et créer ce qu’on appelle une xylothèque. »

Figure 2 : Échantillonnage sur arbres vivants (gauche) et au sein des xylothèques d’AgroPariTech (Nancy) et du CIRAD (Montpellier).

Ces xylothèques peuvent servir à produire des Atlas, des livres dans lesquels sont répertoriées coupes et images de la structure du bois, dans le but d'identifier et reconnaître les bois et de rendre ces informations accessibles au plus grand nombre.

Eric Badel : « Ces xylothèques sont un patrimoine important et rassemblent la connaissance sur toutes les essences du bois dans le monde depuis plusieurs siècles. Pour ce projet, on s'intéresse davantage aux bois disponibles actuellement sur la planète. »

Très peu de gens ont accès aux xylothèques. De plus, si on souhaite regarder les différences entre essences de bois, il faut utiliser un microscope. Il y a 10 ans, Eric Badel, en couplant des outils de microtomographie à rayons X de laboratoire, d’analyse d’image et d’impression 3D, a créé un premier modèle 3D exact d’une structure microscope de bois de chêne qu’il a utilisée comme support pédagogique pour des étudiant.e.s. et lors de manifestations grand public. « Ce modèle s'est avéré très utile et les enseignants, du Secondaire comme du Supérieur en sont très demandeurs ! »

Le projet a donc pour but de rendre la structure microscopique des différents types de bois accessible et visible par tous. Mais il a aussi un objectif de conservation car certaines xylothèques ont presque 100 ans et sont fragiles : « ce projet a donc aussi une vocation de sauvegarde de ce patrimoine sous forme numérique ». 

Pour le réaliser, Eric et l’équipe issue des différents laboratoires du GDR « Sciences du Bois » se sont tournés vers SOLEIL, où ils ont utilisé la microtomographie X. Cette technique, tel un scanner, permet une visualisation 3D de la structure interne étudiée à une résolution submicronique. Une fois la tomographie réalisée, l’image en volume obtenue sera transformée en objet grâce à une imprimante 3D – réplique agrandie à volonté de l’échantillon de bois analysé.

Exploration 3D à SOLEIL : révélation des structures du bois

C’est sur PSICHE, la ligne de microtomographie à haute résolution utilisant le rayonnement X de haut flux de SOLEIL, qu’Eric et son équipe ont réalisé les images de microtomographie, avec l’aide d’Andrew King, scientifique sur la ligne.

Eric Badel : « On peut réaliser des microtomographies dans nos laboratoires, mais sur quelques échantillons. Ici, la vitesse d'acquisition nous permet, en seulement 48 h, de faire de l’ordre de 200 scans de très grande qualité. Et on les réalise à différentes résolutions spatiales pour visualiser des éléments anatomiques jusqu’à une échelle submicronique. Sur nos appareils de laboratoire la qualité d'image obtenue est nettement moins bonne et il faudrait ensuite des journées de travail en traitement d’image pour nettoyer chaque volume ; alors que sur les scans réalisés sur PSICHE quelques heures suffiront. Sans le synchrotron, le projet n’aurait pas pu avoir cette ampleur. »

Concrètement, la microtomographie est réalisée sur de petits barreaux de bois découpés à partir d’échantillons provenant de deux grandes xylothèques (AgroParisTech à Nancy et Cirad à Montpellier), et placés sur un porte échantillon. Une acquisition d’image prend seulement quelques minutes. Il faut ensuite transformer ces images volumiques en données utilisables pour une imprimante 3D. Au total, plus d’une centaine d’essences tempérées et tropicales ont été scannées, ce qui représente plus de 20 térabits de données au final ! Et il faudra presque deux ans pour traiter tous les fichiers et les rendre disponibles à tous.

Figure 3 : Préparation des échantillons et installation sur le porte-échantillon de la ligne PSICHE

Dans un esprit de Science Ouverte, les fichiers traités dans les laboratoires du GDR Sciences du Bois et en particulier la plateforme PHENOBOIS Clermont-Ferrand seront progressivement mis à disposition de tous sur internet, en open source (accessible au public). Les premiers sont disponibles sur le site du GDR https://eng-gdr-sciences-du-bois.hub.inrae.fr/resources/wood-3d-printing

Perspective : une base de données innovante pour l'étude comparative

à terme, le projet vise à créer une banque de données où seront répertoriés le nom, une coupe transversale, une image de tomographie et le fichier pour l’imprimante 3D de chaque essence. Cette banque de données pourra ainsi permettre aux étudiant.e.s et aux scientifiques d’avoir accès et d’étudier les structures de différentes essences de bois et d’en comparer les propriétés physiques et mécaniques.

Figure 4 :
a)
image 2D obtenue par microscopie optique (x20) sur une coupe d’échantillon d’épicéa colorée à la safranine, montrant le réseau de cellules qui servent à la conduction de l’eau et au soutien mécanique de l’arbre (barre d’échelle : 200µm).
b) image 3D obtenue également sur une coupe d’épicéa par microtomographie X sur PSICHE, avec une résolution de 0.63µm / pixel ; on distingue bien les parois cellulaires (barre d’échelle : 200µm).
c) modèle 3D à l’échelle x 1000 de la structure interne d’un échantillon de chêne (à gauche), obtenu par impression 3D à partir de mesures de microtomographie X réalisées sur PSICHE.

Eric Badel : « Quand on fait une banque de données on a quelques idées de ce à quoi elles vont servir, mais on ne sait pas exactement quelles seront leurs futures utilisations. Il y a sûrement des communautés qui voudront voir des choses particulières sur ces objets, et auxquelles on n'a pas encore pensé ! C’est pour cela qu’au-delà des fichiers imprimables, nous réfléchissons à la façon de mettre à disposition dans un entrepôt de données institutionnel les images brutes scannées sur PSICHE. C’est tout l’esprit des Sciences Ouvertes dans lesquelles nous sommes engagés ».