L’étude des propriétés spectroscopiques d’ions en phase gazeuse, un système par définition très dilué, nécessite l’emploi de méthodes expérimentales particulières. Des scientifiques d’Orsay, Lille, et de SOLEIL, ont développé une méthode basée sur la comparaison de 2 techniques d’analyse, mises en œuvre sur les lignes DESIRS et PLEIADES, pour obtenir les sections efficaces absolues d’une réaction d’ionisation.
La spectroscopie est l’étude d’un système physique à travers son interaction avec les radiations électromagnétiques. Ainsi, la mesure de l’atténuation du rayonnement électromagnétique en fonction de la longueur d’onde fournit le spectre d’absorption du système irradié. Dans ce type de spectre, la position en longueur d’onde du signal est reliée à l’énergie des processus physiques. Lorsque l’intensité des spectres est mesurée dans un système d’unités standardisé, on parle de mesure absolue permettant de comparer différents systèmes, de calculer la probabilité d’occurrence ainsi que les cinétiques des phénomènes de relaxation consécutifs à l’absorption. Néanmoins, la mesure absolue des intensités n’est pas aisée et nécessite une connaissance aussi précise que possible de tous les paramètres expérimentaux durant la mesure.
Dans le cas de systèmes très dilués, des méthodes expérimentales particulières doivent être mises en œuvre. Il arrive qu’il ne soit pas possible de mesurer l’atténuation d’un faisceau de lumière à travers un échantillon car elle est trop ténue, l’échantillon étant considéré alors comme optiquement mince. L’étude des propriétés spectroscopiques des ions en phase gazeuse relève de ce cas et implique de mesurer les produits de l’irradiation, i.e. les conséquences de l’absorption, en fonction de la longueur d’onde. On parle alors de spectroscopie d’action.
Deux grands types d’expériences sont généralement utilisées en spectroscopie d’ion : les expériences basées sur le recouvrement de faisceaux (merged beams) et celles mettant en jeu des pièges à ions. Dans les expériences du type merged-beams, un faisceau d’ions intense est recouvert par un faisceau de lumière colinéaire sur une grande distance (de 0,5 à 1 m). Les produits de l’irradiation sont ensuite analysés après la zone d’interaction. Un montage de ce type, l’expérience MAIA, est installé au synchrotron SOLEIL sur la ligne PLEIADES. MAIA utilise une source d’ions basée sur la résonance cyclotronique électronique (ECR) qui produit des courants d’ions atomiques élevés. MAIA permet de déterminer les sections efficaces (probabilité d’interaction avec une particule pour une réaction donnée –ici : interaction ion/photon) absolues des processus d’ionisation.
L’expérience en piège à ions couplée avec la ligne DESIRS permet quant à elle de stocker des quantités d’ions plus faibles que MAIA mais pendant des temps beaucoup plus longs. Elle utilise des sources d’ions à pression atmosphérique comme l’électronébulisation (ESI) ou la photoionisation à pression atmosphérique (APPI) qui permettent de mettre en phase gazeuse des espèces moléculaires fragiles et de grande taille sous forme d’ions, beaucoup plus faciles à trier, manipuler et stoker que des neutres. La spectroscopie d’action en piège à ions est une méthode qui connait un fort développement depuis une dizaine d’années et dans laquelle SOLEIL a été pionnier, notamment pour l’étude de larges biopolymères en phase gaz. Jusqu’à présent, les sections efficaces absolues des processus photophysiques ne pouvaient pas être mesurées par les méthodes en piège à ions, seuls des rendements relatifs étaient accessibles. Une nouvelle méthode a été développée dans le cadre d’une collaboration entre les scientifiques des lignes de lumière DESIRS et PLEIADES, l’INRA et l’Université Paris-Sud, avec pour but d’obtenir après calibration les sections efficaces absolues d’ionisation en piège à ions.
Comparaison des sections efficaces absolues du C60+ mesurées en piège à ions, merged beams et calculées.
Le choix du C60
Le C60, aussi appelé Buckminsterfullérène, est une molécule composée d’atomes de carbone arrangés en forme de ballon de football. Depuis sa découverte en 1985, la molécule de C60 ainsi que ses ions sont devenus des objets d’intérêt, notamment en raison de leur position intermédiaire entre l’atome et le solide. De plus, il a récemment été montré que l’ion C60+ était présent dans le milieu interstellaire.
Les sections efficaces absolues de photoionisation du C60 sous ses formes neutres et ioniques ont été rapportées dans la littérature. Les mesures faites sur le C60 cationique en expérience de type merged-beam étaient en désaccord avec les prédictions théoriques ainsi qu’avec les mesures réalisées sur le neutre. Dans le cadre de cette collaboration, les scientifiques ont alors décidé de se pencher sur ce problème.
Apport de cette méthode
Les mesures en merged-beams ont été refaites sur MAIA dans des conditions expérimentales qui évitent certains artifices expérimentaux (courbe verte) et se sont révélées en accord avec la littérature (courbe orange). En revanche, les mesures en piège à ions réalisées sur DESIRS (courbe rouge) sont en accord avec les calculs quantiques (courbe bleue).
La divergence entre les méthodes de merged-beams et en piège à ions proviendrait d’un excès d’énergie interne apporté au système durant l’ionisation en source ECR produisant des ions « chauds ». L’ionisation APPI utilisée pour les expériences en piège est douce et conduit à des ions plus froids. De plus, le stockage des ions durant des temps relativement longs dans le piège permet aux espèces moléculaires de se relaxer, ce qui fournit un certain contrôle sur la cible.
Ces travaux ouvrent la voie à l’étude des sections efficaces absolues sur des cibles moléculaires fragiles ou de grande taille qui n’étaient pas accessibles à l’ionisation ECR.