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Photoionisation de la sérine - effets de condensation sur les asymétries chirales électroniques. Des molécules libres aux nanoparticules

Des chercheurs de la ligne de lumière DESIRS ont mesuré pour la première fois des asymétries chirales* (causées par le dichroïsme circulaire de photoélectrons (PECD*)) dans des expériences d'imagerie de photoélectrons* sur des particules chirales d'aérosol. De telles asymétries peuvent être utilisées pour obtenir des informations structurales, par exemple sur l'ordre local, les conformations moléculaires ou la chiralité supramoléculaire. Elles sont en général difficiles à mesurer pour les particules d'aérosol, car par comparaison avec la phase gazeuse (molécules libres), elles sont réduites à cause de processus de diffusion électronique et se superposent avec des asymétries non chirales dominantes spécifiques aux nanoparticules et causées par l'effet dit de « shadowing » (« ombrage »).
Cette étude de validation de principe a été réalisée sur la sérine. Elle compare des données obtenues avec des nanoparticules d'aérosol de sérine à celles obtenues pour différents conformères de sérine libre en phase gazeuse.

Les mots indiqués par un astérisque sont expliqués dans le glossaire ci-dessous

La comparaison de données d'imagerie par cartographie de vitesses de photoélectrons (VMI) entre la phase gazeuse et les espèces condensées (c'est-à-dire les particules d'aérosol) montre une série de différences prononcées. Après condensation, les énergies d'ionisation* se décalent vers des valeurs plus basses, et les spectres de photoélectrons s’élargissent, ce qui marque l'émergence d'une structure de bandes électroniques. Les distributions angulaires des photoélectrons sont aussi altérées par les effets de condensation : outre la modification de la nature des orbitales électroniques et de la conformation moléculaire, qui peut affecter la distribution angulaire* de la photoémission (càd le paramètre d’anisotropie usuel β*, ou le PECD pour les systèmes chiraux) la diffusion de photoélectrons à l'intérieur des particules d'aérosol a tendance à rendre la distribution plus isotrope. De plus, l'effet dit de « shadowing » (ombrage) crée une asymétrie avant/arrière spécifique aux nanoparticules dans les images de VMI qui peut être expliquée par le fait que l'hémisphère faisant face à la source lumineuse d'une particule sphérique a tendance à émettre davantage d'électrons que l’hémisphère opposée à cette source. L'effet d’ombrage est souvent bien plus prononcé que l'anisotropie angulaire usuelle (paramètre b ou PECD) et domine par conséquent les asymétries visibles sur les images de photoélectrons d'aérosols en général.

Les différences entre les images de VMI (velocity map imaging) en phase gazeuse et sur aérosols sont illustrées par les images simulées de la figure 1.

Figure 1 : les images d'électrons en phase gazeuse dans le cas d'une molécule chirale, simulées pour de la lumière en polarisation circulaire* (CPL) gauche et droite (images de gauche et du centre), présentent une asymétrie avant/arrière claire par rapport à l'axe des photons (lumière se propageant de gauche à droite) créée par le PECD. Cette asymétrie est antisymétrique par permutation entre une CPL gauche et droite, ou en changeant d'énantiomère (c'est-à-dire en échangeant la molécule échantillon avec son image miroir). Le PECD est observable avec la sensibilité maximale lorsque l'image-différence est calculée à partir des 2 polarisations de la lumière (à droite). Dans les cas des aérosols chiraux, le PECD ne peut être identifié directement à partir des images électroniques individuelles car celles-ci sont dominées par l'effet d’ombrage non chiral. L'image-différence montre toutefois que l'effet chiroptique du PECD est encore présent et peut être extrait.

Pour les molécules en phase gazeuse, la spectroscopie de coïncidence photoélectrons-photoions* par imagerie double (i2PEPICO) telle que mise en œuvre sur la ligne de lumière DESIRS permet d'enregistrer des images de photoélectrons sélectionnées par la masse du photoion (parents ou fragments) formé après photoionisation*. Dans le cas spécifique de la sérine, la fragmentation des photoions dépend de la conformation moléculaire de telle sorte que les spectres de photoélectrons et le PECD peuvent être enregistrés pour chaque conformère. La figure 2 fournit ces données pour les trois conformères les plus abondants enregistrés à une énergie de photon de 12.4 eV. Le PECD dans le volet inférieur donne l'amplitude de l'image différence (voir la figure 1) comme pourcentage de l'intensité du signal des images individuelles. On observe clairement non seulement la différence entre les spectres des photoélectrons des trois conformères (en énergie d'ionisation et niveaux de signal relatif pour différentes bandes), mais aussi l'amplitude (de l'ordre de quelques %) et la dépendance énergétique du PECD qui est sensible au potentiel moléculaire par lequel les photoélectrons émis sont diffusés.

Figure 2 : Spectres de photoélectrons (volet supérieur) et de PECD (volet inférieur) obtenus pour différents conformères de la molécule de sérine en phase gazeuse. Le processus de fragmentation qui se produit est indiqué dans le volet supérieur. Les traces PECD en miroir indiquées en bleu et rouge ont été obtenues pour la D-sérine et la L-sérine.

Le spectre de photoélectrons de particules d'aérosol de sérine enregistré à une énergie de photon de 11 eV est présenté dans la figure 3. Bien que le spectre de photoélectrons ne montre aucune structure résolue, le PECD (indiqué par les traces rouge et bleue en miroir représentant les données obtenues pour les aérosols homochiraux de la D-sérine et la L-sérine) présentent une dépendance claire à l'énergie de liaison électronique. Le PECD pour les particules d'aérosol est réduit en amplitude par rapport à celui obtenu pour les conformères en phase gazeuse, mais reste clairement détectable (de l'ordre de ~0.5 %), avec des différences qualitatives clairement observables par rapport aux données des conformères en phase gazeuse. Cette conservation de l’asymétrie liée au PECD est assez surprenante car les images de photoélectrons sont souvent supposées isotropes en raison de processus de diffusion électronique importants qui brouillent les dépendances angulaires. Les asymétries non nulles induites par PECD dans les aérosols chiraux sont peut-être dues à un effet d'ordre local ou à un plus petit nombre de conformères utilisés pour constituer les aérosols. Ces deux effets augmenteraient l'asymétrie chirale, compensensant en partie l'effet de brouillage et la perte de mémoire de polarisation initiale en raison des processus de diffusion.

Cette étude montre qu'il est possible de déterminer les asymétries chirales (PECD) et éventuellement aussi les paramètres d'anisotropie photoélectronique (paramètres usuels β) pour les particules d'aérosol. En particulier, la technique PECD offre une voie prometteuse pour des études à venir sur les effets de condensation ou de solvatation sur la conformation moléculaire et la structure électronique des molécules/nanoparticules d’intérêt biologique.

Figure 3 : Spectres de photoélectrons (haut) et PECD (bas) de nanoparticules homochirales de serine mesurés à une énergie de photon de 11 eV.

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GLOSSAIRE 

Chiralité/énantiomère: Un objet est dit chiral s’il existe sous deux formes non superposables mais image l’une de l’autre dans une symétrie miroir. C’est le cas des mains (ou des pieds !), des hélices, mais aussi de nombreuses molécules (par exemple celles possédant un carbone asymétrique relié à 4 groupement chimiques différents) pour lesquels on parle d’énantiomère gauche ou droit.

Acides aminés/homochiralité : les 22 acides aminés qui sont les briques élémentaires des protéines sont tous chiraux, sauf le plus simple d’entre eux, la glycine. Le Vivant n’utilise que la forme (l’énantiomère) gauche des acides aminés chiraux (et la forme droite des sucres entrant dans la composition de l’ADN et l’ARN). C’est l’homochiralité de la vie.

Conformères : comme beaucoup d’autres molécules et notamment celle du Vivant, les acides aminés sont des molécules « souples » qui existent sous forme de plusieurs conformères, obtenus par rotations de groupement chimiques autour d’une liaison chimique, par exemple du groupement carboxylique (COOH) ou du groupe amino (NH2) autour de la liaison qui les lie au carbone asymétrique central. 

Lumière polarisée circulairement (LPC) : la polarisation est une propriété géométrique de la lumière, qui décrit le mouvement du champ électrique associé à l’onde lumineuse lors de sa propagation. Dans le cas d’une lumière polarisée circulairement, le champ électrique décrit une hélice (comme un tire-bouchon) qui peut être enroulé dans le sens horaire ou anti-horaire, d’où l’appellation de LPC d’hélicité gauche ou droite. A noter que cette lumière LPC est un objet chiral.

Photoémission / photoionisation : action de la lumière qui arrache un électron à la matière : c’est l’effet photoélectrique dans lequel l’énergie du photon incident (hν) se partage entre le travail d’extraction de l’électron (énergie de liaison) et l’énergie cinétique du photoélectron émis (Ek). Le composé (atome ou molécule) auquel la lumière a arraché un électron est dit photoionisé/devient un photoion.
La spectroscopie de photoélectron (PES) consiste à mesurer la distribution des énergies Ek pour un photon incident donné, ce qui permet de déterminer les niveaux d’énergie (de liaison) des électrons de la molécule (ce qui correspond à l’énergie des différentes orbitales moléculaires). On peut aussi mesurer dans quelles directions sont éjectés les photoélectrons par rapport à un axe donné : on parle de distributions angulaires. Cette distribution (caractérisée par le paramètre β) ne présente pas les mêmes propriétés dans toutes les directions, autrement dit : n’est pas isotrope (β ≠0) car la molécule se « souvient » de la polarisation de la lumière incidente.

Dichroïsme circulaire de photoélectrons (PECD) : La LPC étant un objet chiral, elle va induire des processus énantio-spécifiques quand elle interagit avec un enantiomère donné d’une molécule chirale : ce sont les dichroïsmes circulaires, une reconnaissance chirale entre objets chiraux, comme un gant gauche « reconnaît » une main gauche.  Dans le cas de la photoémission d’un énantiomère donné d’une molécule chirale par une LPC d’une hélicité (gauche ou droite) donnée, le PECD se manifeste par une asymétrie avant/arrière par rapport à l’axe de propagation de la lumière, que l’on ne retrouve pas pour une molécule non-chirale. Cette asymétrie s’inverse quand on change d’énantiomère ou d’hélicité de la lumière. La spécificité du PECD, par rapport à d’autres types de dichroïsmes circulaires, est son intensité : de quelques % à quelques dizaines de %. Il est de plus très sensible aux structures moléculaires comme les isomères (molécules ayant la même composition atomique, mais un arrangement différent de ces atomes), ou les conformères.