Comment un neurochirurgien peut-il être sûr qu'il a bien enlevé toute la tumeur cérébrale de son patient, tout en préservant les tissus sains, lorsqu'il opère ? Pour l'y aider, des chercheurs et médecins collaborent pour mettre au point une caméra capable de distinguer avec fiabilité, pendant l'opération, les cellules saines des cellules malades. Pour cela, elle va analyser la fluorescence naturellement émise par les tissus, riche en informations, et comparer le résultat à une banque de données, avant de donner son verdict final : tissu sain ou tissu tumoral.
En 2017, pour constituer cette base de données, les chercheurs sont notamment venus au synchrotron SOLEIL, sur la ligne de lumière DISCO, pour établir les caractéristiques des différents types de cellules dans les ultraviolets. Dans le cadre de notre série "Chapitre suivant", nous avons retrouvé les scientifiques filmés en 2017 et leur avons demandé comment leurs travaux de recherche ont avancé depuis.
Darine Abi Haidar (Paris Cité - IJClab) filmée en 2017 sur la ligne de lumière DISCO, devant des images obtenues par microspectroscopie UV.
La physicienne Darine Abi Haidar consacre depuis 2012 ses recherches à l'amélioration du geste chirurgical visant à éliminer les tumeurs cérébrales. L'entreprise est extrêmement complexe, car ces tumeurs sont dites « infiltrantes », et se développent insidieusement dans les tissus entourant le site initial. C'est seulement une analyse anatomopathologique, réalisée après l'opération, qui permet de dire si tout le tissu malade a bien été prélevé.
Darine a donc entrepris de créer un outil de diagnostic per-opératoire, utilisable pendant l'intervention même. Il s'agit d'une sorte de stylet que le chirurgien pourrait tenir en main et passer sur le cerveau, et qui indiquerait avec des signaux clairs si le tissu ciblé est sain ou non. Pour cela, la spécialiste de l'optique met à profit la fluorescence naturelle des tissus. Lorsqu'on les éclaire avec certaines lumières, ils sont alors « excités » et renvoient une autre lumière, révélant un peu de leur nature. Darine a tout d'abord choisi d'observer et de comprendre cette fluorescence à partir de nombreux échantillons, dans l'infrarouge, sur la plate-forme PIMPA, et dans l'ultraviolet, au synchrotron SOLEIL, sur la ligne DISCO.
« Ma collaboration avec SOLEIL a rendu possibles plusieurs publications, explique Darine. L'analyse sur DISCO s'est avérée particulièrement utile pour déterminer le grade (la gravité) que l'on attribue au méningiome, mais aussi pour enquêter sur les tumeurs métastatiques et trouver leur provenance dans l'organisme ».
L'outil que développe Darine comporte trois aspects : la base de données, l'instrumentation, et l'intelligence artificielle. Concernant la base de données, ce sont pas moins de 300 échantillons de cerveau prélevés à l'hôpital qui sont passés au crible de la fluorescence.
L'instrumentation consiste à concevoir le stylet, équipé d'une fibre optique. Le signal capté est alors analysé par un programme entraîné à partir de la base de données, constituant la couche « intelligence artificielle ». Cette dimension logicielle met en œuvre des techniques à la pointe du domaine (machine learning, deep learning).
Il faut aussi penser à l'interface homme-machine, le système qui permet de visualiser tout cela de façon éloquente et simple pour le chirurgien. Il est d'ailleurs prévu que la même information soit disponible en temps réel pour un anatomopathologiste, de façon à croiser les expertises – encore une fois, pendant l'opération. On peut imaginer que, sur un écran, se surimprime à l'image du cerveau un certain nombre d'informations, des couleurs par exemple, qui qualifient le type de tissu.
L'ambitieux projet (MITA-OPALIS) ne cesse de se développer. Il collabore non seulement avec l'hôpital Sainte-Anne, mais aussi La Riboisière à Paris, et Henri Mondor à Créteil. Il s'intéresse aussi depuis peu à d'autres types de tumeurs : en urologie (vessie), ORL, et gynécologie (sein). « Le domaine urologique a ceci d'intéressant que les débouchés sont nombreux, et que les tumeurs sont plus faciles à cerner que dans le cerveau », commente Darine.
Des brevets, à ce jour bien sûr confidentiels, sont en pleine maturation, et seront prochainement déposés – comme Darine l'espère avec enthousiasme. Et leur aboutissement logique serait alors la possible création d'une start-up.