Aller au menu principal Aller au contenu principal

Les effets du confinement (des électrons) sur les états de surface d’un isolant topologique

Aujourd’hui, la capacité totale de stockage de données dans le monde se situe entre 10 et 50 zettaoctets (1021), et cette valeur pourrait doubler tous les deux ans. La recherche portant sur de nouveaux matériaux qui permettraient une plus grande densité de stockage de données et une plus faible consommation électrique est très active. Des scientifiques de la ligne CASSIOPEE étudient des matériaux prometteurs : des isolants topologiques de formule chimique Bi1-xSbx

En 2017, le numérique représentait moins de 3% de la consommation électrique mondiale mais cette part devrait doubler d’ici 2025 ; certaines études prédisent même qu’elle pourrait monter à 30% d’ici 2030. La spintronique, une électronique utilisant aussi le « spin » de l’électron en plus de sa charge, donne la perspective de composants moins gourmands en énergie. Un de ses plus grands succès a déjà été de gagner trois ordres de grandeur sur la densité de données stockées sur un disque dur grâce à la grande sensibilité des capteurs à magnétorésistance géante. On cherche maintenant à mettre au point des mémoires magnétiques non-volatiles et à basse consommation d’énergie.

Ces mémoires magnétiques stockent l’information sous la forme d’une aimantation d’une couche magnétique : une aimantation dans une direction est un 1, tandis que l’aimantation dans la direction opposée est un 0. Pour inverser un bit magnétique on utilise les propriétés de l’électron : il « suffit » d’injecter dans la couche magnétique un courant avec la « polarisation en spin » adéquate. Le spin de l’électron est, avec sa charge et sa masse, sa troisième propriété intrinsèque ; sensible aux champs magnétiques, le spin peut être grossièrement vu comme une sorte d’aimant minuscule porté par l’électron, et il existe sous deux « orientations », up et down. Un courant polarisé en spin est constitué par des électrons dont les spins sont massivement orientés soit up, soit down. Le problème est de pouvoir créer ces courants polarisés en spin.

L’intérêt des isolants topologiques

C’est là qu’interviennent les isolants topologiques. Ce sont des matériaux isolants électriques, mais dont la surface (sur quelques plans atomiques) est conductrice. Les électrons les plus externes sont libres de circuler à la surface du matériau, il s’agit d’électrons qui sont très éloignés des noyaux atomiques et donc peu liés aux atomes ; leur énergie de liaison est faible, voire nulle. Confinés dans les premiers plans atomiques du matériau, ils forment un « métal bidimensionnel ». Leur quantité de mouvement (le vecteur indiquant leur direction de déplacement en mécanique classique) est donc elle aussi parallèle à la surface et on peut la décrire par deux composantes (kx et ky). La spectroscopie de photoémission d’électrons résolue en angle permet de mesurer une « carte d’intensité » de ces états de surface en fonction des composantes kx et ky, pour les électrons d’énergie de liaison nulle (surface de Fermi). Ces composantes kx et ky étant quantifiées, cette carte nous dit quels sont les états autorisés pour ces électrons les plus périphériques des atomes. Elle est représentée sur la figure 1 pour un des composés Bi1-xSbx étudiés sur la ligne CASSIOPEE.

Figure 1 : Surface de Fermi d’un composé Bi-Sb et la texture de spin attendue.

Pourquoi une telle mesure ?

Tout d’abord pour vérifier si la carte d’intensité des états de surface reflète les symétries du cristal. Les composés Bi1-xSbx présentent une surface à réseau hexagonal : en effet, on observe bien une surface de Fermi en forme de fleur à six pétales au cœur hexagonal. Ensuite, et surtout, parce que la théorie prévoit que cette surface de Fermi doit présenter une texture de spin, c’est-à-dire un arrangement régulier représenté sur la figure 1 par les flèches rouges, qui symbolisent la direction des spins pour les états électroniques observés. Les spins s’enroulent dans un sens sur le cœur hexagonal et dans le sens inverse sur les pétales. Cette texture doit permettre une conversion courant de charges-courant de spins très efficace : le passage d’un courant « classique » (de charges) dans une direction doit générer un courant polarisé en spin dans la direction perpendiculaire.

Pour pouvoir être incorporés dans un dispositif électronique, ces matériaux doivent être élaborés en couche mince sur des substrats compatibles avec ces applications. Dans cette étude, les échantillons Bi1-xSbx sont fabriqués en évaporant du Bismuth (Bi) et de l’Antimoine (Sb) sur un substrat de Silicium. On peut ainsi faire varier la composition x de l’alliage (pour changer la forme de la surface de Fermi) en jouant sur les vitesses relatives d’évaporation, ainsi que sur l’épaisseur totale du film. Un des résultats surprenants est la variation de la structure électronique avec l’épaisseur du film. L’étude montre que ce confinement des électrons en couche mince influe sur les propriétés du matériau, et qu’il est à prendre en compte pour optimiser ses performances lors de son utilisation en spintronique.

Laetitia Baringthon sur la ligne CASSIOPEE. Ces résultats ont été obtenus dans le cadre de son travail de thèse.

Ce matériau est-il vraiment efficace pour la conversion courant de spin/courant de charge ? Cette question a fait l’objet d’une autre étude sur CASSIOPEE, dont les résultats vont également être publiés. À suivre !