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Les biradicaux : des molécules insaisissables

Les biradicaux sont des molécules possédant 2 électrons non-appariés. Les plus connus sont le dioxygène (O2) et l'ozone (O3), mais d'autres biradicaux apparaissent dans les processus de combustion ou en tant qu'intermédiaires dans des réactions chimiques. L’étude de la chimie de ces molécules est donc très pertinente dans un large volet de domaines touchant à notre vie quotidienne.

Des chercheurs de Bordeaux, Milan, Orsay/Saclay et Würzburg ont débuté sur la ligne DESIRS un projet visant à élucider la structure des biradicaux possédant des atomes de bore. Ils ont publié de premiers résultats dans The Journal of Physical Chemistry Letters.

Les spins des biradicaux peuvent être parallèles ou antiparallèles, ce qui détermine si le biradical est de type triplet ou singulet. Il est difficile de décrire correctement la structure des biradicaux par la théorie ou l'expérience, et davantage de données expérimentales obtenues à haute résolution et en phase gazeuse sont nécessaires. L'un des défis majeurs à relever lors de telles expériences est la synthèse des biradicaux, car la plupart d'entre eux sont hautement réactifs, ne peuvent être stockés, et doivent donc être produits in situ.

Un consortium de chercheurs de Bordeaux, Milan, Orsay/Saclay et Würzburg a récemment débuté un projet sur la ligne de lumière DESIRS visant à élucider la structure des biradicaux possédant des atomes de bore, en utilisant le rayonnement synchrotron. Ils ont synthétisé et étudié le diborène (HBBH), illustré sur la Figure 1.

Figure 1 : Diagramme d'orbitales moléculaires du diborène. Les deux électrons non-appariés de l'orbitale p peuvent être identifiés.

Il s'agit d'un système modèle qui suscite un grand intérêt en chimie inorganique. Comme le montre le diagramme d'orbitales moléculaires, cette molécule possède un électron non-apparié sur chaque atome de bore. Le diborène a été synthétisé à partir du B2H6 dans un réacteur à écoulement pourvu d’une décharge produisant des atomes de fluor, développé par l'équipe bordelaise de Jean-Christophe Loison (dans le cadre de l’ANR Synchrokin). Les atomes de fluor produits dans la décharge à micro-ondes arrachent des atomes d'hydrogène au B2H6, jusqu'à ne laisser que des biradicaux HBBH. Ces derniers sont ensuite ionisés par le rayonnement synchrotron dans le VUV, ce qui produit un ion chargé positivement et un électron. Sur la ligne de lumière DÉSIRS, les caractéristiques du rayonnement synchrotron et le dispositif SAPHIRS/DELICIOUS3 permettent de  corréler les électrons et les ions détectés en coïncidence, ce qui indique de quelle molécule l'électron a été éjecté. L'énergie cinétique de l'électron (eKE) est ensuite analysée en fonction de l'énergie du photon (énergie du rayonnement synchrotron) et on obtient le graphique de la Figure 2. A partir de la loi de conservation de l'énergie, on obtient de ce graphique un spectre de photoélectron (ligne blanche) du cation HBBH, qui peut être comparé aux calculs et fournit des informations détaillées sur les biradicaux neutres ainsi que sur le cation.

Figure 2 : Ce graphique à deux dimensions représente l'énergie cinétique des électrons (eKE) en fonction de l'énergie de photon. Il permet d'obtenir le spectre du cation HBBH (ligne blanche). Les pics dans le spectre fournissent des informations sur la liaison entre les deux atomes de bore.

La structure du spectre est dominée par le mouvement relatif des atomes de bore (vibration bore-bore) dans la molécule. Après ionisation, la liaison entre les deux atomes de bore s'affaiblit et s'allonge. Cette augmentation produit une excitation du mouvement vibrationnel qui se traduit par une série de bandes vibrationnelles dans le spectre. D'autres informations ont été obtenues des calculs de haut niveau, par exemple une levée de dégénérescence des bandes dite de Renner-Teller, qui rend compte des détails plus fins.

Un aspect intéressant de l’étude est la possibilité de remplacer les atomes d'hydrogène (voir la Figure 1) par d'autres atomes ou des groupes chimiques plus complexes ce qui est impossible dans un biradical simple tel que O2.

La photoionisation avec le rayonnement synchrotron offre ensuite la possibilité de suivre dans la liaison chimique les changements qui sont associés à des modifications de la structure. Ainsi, les diborènes permettent d'étudier systématiquement les propriétés des biradicaux en fonction de la structure chimique. Cet axe de recherche sera exploré dans l'avenir proche.

Les membres de l'équipe expérimentale (de gauche à droite) : E. Reusch (Würzburg), J.C. Loison, D. Nunez-Reyes (Bordeaux), D. Schleier (Würzburg) et C. Alcaraz (Paris). Il manque : F. Hozmeier (Milan), G. Garcia (ligne DESIRS) et I. Fischer (Würzburg). Le groupe de théoriciens de R. Mitric (Würzburg) a aussi contribué à ces travaux.