Les arbres souffrent du réchauffement climatique à travers le monde. Face à des épisodes de sécheresse trop intenses et trop fréquents, des massifs forestiers entiers dépérissent. De nombreuses espèces de conifères seraient sur la sellette. Pour identifier les espèces les plus vulnérables à la sécheresse, des chercheurs de l’INRA ont décidé de se fier à l’apparition de petites bulles d’air dans les vaisseaux qui transportent l’eau au sein de la plante.
Des recherches menées sur la ligne PSICHE en 2016. Dans le cadre de notre série "Chapitre suivant", nous avons retrouvé les scientifiques filmés en 2016 et leur avons demandé comment leurs travaux de recherche ont avancé depuis.
Sylvain Delzon (Biogeco, INRAE), lors de ses expériences filmées en 2016, commente l'une des images obtenues par tomographie X sur la ligne PSICHE.
« Le chêne est-il si vulnérable que ça face à la sécheresse ? » C’est pour répondre à cette question que Sylvain Delzon, écophysiologiste à l’INRAE de Bordeaux, se rend au synchrotron SOLEIL en 2016. Grâce à la micro-tomographie aux rayons X de la ligne de lumière PSICHE, le chercheur peut observer la survenue de petites bulles d’air dans les vaisseaux de l’arbre et évaluer son seuil de résistance à la sécheresse. En effet, plus la plante a soif, plus elle pompe l’eau du sol avec avidité et plus les bulles d’air dans la sève sont nombreuses, finissant par menacer la survie de l’individu. « Le grand avantage de la ligne PSICHE, c’est qu’il est possible de scanner une plante vivante entière, sans être obligé de la couper, rappelle Sylvain Delzon. Il n’y a donc aucun artefact de mesure, aucune bulle d’air qui s’introduit artificiellement dans les vaisseaux au moment de la préparation de l’échantillon et qui vient fausser les mesures. »
« Et, à ma connaissance, il n’y a qu’au synchrotron SOLEIL que les tomographes disposent de platines de marbre creuses, dans lesquelles on peut installer de grandes plantes allant jusqu’à 2 mètres », rajoute le chercheur qui, depuis, revient régulièrement au synchrotron SOLEIL. Après une semaine de mesures, et l’étude d’une dizaine de jeunes plants plus ou moins stressés par la manque d’eau, les scientifiques ont la preuve que le chêne tempéré est bien plus résistant que le laissaient présager de précédents travaux (1). Des travaux similaires sur la ligne PSICHE sont réalisés par la suite sur le frêne et la vigne, et se soldent par les mêmes conclusions : ces espèces sont plus tenaces que prévues face à la sécheresse (2).
Régulièrement donc, Sylvain Delzon et ses collègues viennent collecter de nouvelles données au synchrotron SOLEIL pour mieux comprendre et anticiper les effets du changement climatique sur le monde végétal. En 2018, ils mettent par exemple en évidence que l’accumulation de bulles d’air dans le système vasculaire – qui correspond au phénomène d’embolie – est irréversible. Autrement dit que l’air s’accumule dans les vaisseaux à chaque épisode de sécheresse jusqu’à ce que le système vasculaire en soit rempli à 90 %, entraînant la mort de la plante. « On aurait pu penser que les végétaux réinitialisaient leur système après chaque hiver, qu’ils évacuaient les bulles d’air accumulées, mais pas du tout », conclut Sylvain Delzon (3)
Puis, en 2020, les chercheurs s’attaquent à une théorie couramment admise en biologie selon laquelle les arbres seraient capables d’atteindre de grandes tailles grâce à leur système vasculaire. Pour tester cette hypothèse, les chercheurs décident d’analyser la plus grande mousse au monde qui mesure 25 cm. « Nous avons découvert sur les images obtenues grâce à PSICHE que cette mousse dispose de canaux appelés des hydroïdes qui fonctionnent exactement de la même façon que les vaisseaux d’arbres, comme le chêne, et sont susceptibles d’acheminer la sève en hauteur ». Ce n’est donc pas l’absence de système vasculaire qui empêche certains végétaux d’atteindre de grandes tailles, le facteur limitant de la croissance est à chercher ailleurs. Les résultats de cette étude, qui viennent bousculer un véritable dogme de la biologie végétale, ont été publiés dans la revue Nature Plants (4).
Depuis peu, ce sont les racines des arbres qui ont tout l’intérêt des chercheurs. Grâce à un ingénieux système de culture, permettant de faire pousser chaque ramification racinaire dans de petits cylindres pouvant être scannés en 3D sur la ligne PSICHE, les scientifiques ont mis en évidence un effet notable de la sécheresse sur la taille des racines (5). Des mesures qui viennent compléter celles faites en routine au laboratoire Biogeco de l’INRAE de Bordeaux grâce notamment à des centrifugeuses baptisées des « cavitrons », capables de simuler des épisodes de sécheresse et de suivre leurs effets dans le temps. « La limite avec le synchrotron, c’est qu’on ne peut pas réaliser de suivi de mesures sur plusieurs mois. L’idéal serait d’avoir un mini-synchrotron en permanence ! », conclut Sylvain Delzon qui, en attendant cette invention, revient chaque année faire des mesures au synchrotron SOLEIL.