Une équipe dirigée par des paléontologues de l'Imperial College de Londres, en collaboration avec des scientifiques de l'Institut IPANEMA et de la ligne de lumière PSICHE, a révélé l'anatomie 3D de fossiles marins âgés d'environ 430 millions d'années, grâce à la tomographie par rayons X à contraste de phase sur PSICHE. Ils ont ainsi identifié deux nouvelles espèces d'organismes ressemblant à des vers dotés de piquants, qui documentent une diversité morphologique et écologique jusque-là inconnue chez les Aculifères, l'une des deux branches fondamentales de l'arbre de vie des mollusques. Leur découverte a été publiée le 8 janvier 2025 dans le journal Nature.
Le phylum des Mollusques (comme les escargots, limaces, moules, calmars, pieuvres et chitons) est l'un des groupes d'animaux les plus diversifiés sur Terre, mais de nombreuses inconnues demeurent concernant leur évolution. Cela s'explique par le fait que les mollusques vivant aujourd'hui ne représentent qu'une fraction de la vaste diversité qui existait autrefois, et que, mis à part leurs coquilles, les fossiles parfaitement conservés de ces organismes très sensibles à la dégradation sont extrêmement rares. L'un des aspects les plus insaisissables concerne l'histoire des Aculifères, l'une des deux branches principales de l'arbre de vie des mollusques. Les aculifères vivants incluent les polyplacophorans (couramment appelés chitons ou coquilles en manteau de mailles), qui ressemblent à des patelles à huit coquilles, et les aplacophorans relativement obscurs — des vers mollusques sans coquille. La vision dominante est que la morphologie des aculifères est restée largement inchangée au fil du temps, un modèle qui contraste avec la variabilité considérable observée chez d'autres mollusques.
L'un des rares sites ayant livré des fossiles entièrement préservés des premiers aculifères est le Lagerstätte* de Herefordshire (Angleterre), un gisement fossile datant de la période Silurienne, il y a environ 430 millions d'années. Ce site présente une faune marine diversifiée dans des détails extraordinaires. Les fossiles ont conservé leur forme tridimensionnelle, avec de nombreux tissus mous intacts.
Jusqu'à présent, ils ont été étudiés numériquement en tant que « fossiles virtuels » à l'aide d'une technique de broyage en série destructive. Le fossile est révélé en broyant progressivement la roche (et le fossile), tout en enregistrant des images couche par couche. Ainsi, la forme en 3D est révélée, mais le fossile est détruit dans le processus. Avec cette approche, l'équipe avait déjà trouvé deux des fossiles d'aculifères les plus complets connus dans ce gisement. Pour chercher d'autres spécimens, les scientifiques se sont tournés vers la tomographie par rayons X sur la ligne de lumière PSICHE, à SOLEIL. Cette technique, semblable à un scanner médical, permet une imagerie non destructive et a été utilisée pour étudier sans les endommager des fossiles de Herefordshire qui n'avaient pas encore été examinés.
À la grande satisfaction de l'équipe, deux nouvelles espèces ont été découvertes. Leur anatomie a été soigneusement étudiée et décrite (figures 1 & 2).
Figure 1 : Rendu 3D des nouveaux fossiles d’aculifères Punk ferox et Emo vorticaudum.
© Quentin Gueriau.
Les deux sont vermiformes, avec de nombreuses épines qui pointent vers le haut et l'extérieur, et une partie inférieure lisse, sans épines, utilisée pour le mouvement. Cependant, au-delà de ces similarités, elles diffèrent de manière significative — non seulement des deux espèces déjà découvertes, mais aussi l'une de l'autre. L'une a été nommée Punk ferox en raison de sa « coiffure » épineuse distinctive. L'autre, Emo vorticaudum, possède deux coquilles en forme d'ergots sur sa surface supérieure, des épines plus courtes formant un motif frangé, et une queue entourée d'épines torsadées en spirale. Ces combinaisons de caractéristiques sont totalement uniques. Par exemple, l'extrémité arrière de Emo ressemble à celle de certains aplacophorans modernes, bien que ses coquilles et sa morphologie ventrale diffèrent des traits typiques de ce groupe. Punk, quant à lui, partage certaines caractéristiques avec les polyplacophorans modernes, mais est complètement dépourvu de coquille. De plus, Emo est conservé dans une posture suggérant qu'il se déplaçait en « rampant » — un mode de locomotion ressemblant à celui d'une chenille, jamais observé chez d'autres mollusques.
Figure 2 : Sections de tomographie par rayons X en série (en haut) et par rayons X synchrotron (SR µCT, en bas) des fossiles d’aculifères Punk ferox et Emo vorticaudum.
La découverte de Punk et Emo révèle que les premiers aculifères n’étaient pas plus conservateurs dans leur morphologie et leur écologie que d’autres groupes de mollusques, les espèces vivantes ne représentant qu'une petite fraction d'un groupe jadis très diversifié et ayant une histoire évolutive complexe.
Figure 3 : sur la ligne PSICHE, Pierre Gueriau positionne l’un des fossiles marins de Herefordshire âgés d’environ 430 millions d’années pour les mesures de microtomographie par rayons X.
* Lagerstätte : dépôt sédimentaire qui contient une grande diversité de fossiles, ou des fossiles très complets.