La lumière polarisée interagit avec les matériaux qu'elle éclaire en fonction des propriétés chimiques et magnétiques de ces matériaux. La lumière alors diffusée crée un motif de diffraction qui contient des informations sur ces deux types de propriétés. Traditionnellement, la séparation des signaux liés aux propriétés magnétiques et chimiques nécessite deux mesures indépendantes, avec différentes polarisations, ou l’utilisation d’un analyseur de polarisation, ce qui complique la configuration optique. Récemment, des scientifiques des laboratoires SIMaP, de l'Institut Néel et de l'ESRF à Grenoble ont développé sur la ligne de lumière HERMES une nouvelle méthode permettant de séparer les images magnétiques et chimiques à partir d'une seule mesure microscopique.
La lumière polarisée consiste en des ondes électromagnétiques qui oscillent dans des directions spécifiques, tandis que les ondes de la lumière non polarisée, comme la lumière du soleil, oscillent dans toutes les directions. Il existe plusieurs types de polarisation : linéaire, avec des ondes oscillant dans un seul plan ; circulaire, où les ondes tournent autour de la direction de propagation ; et elliptique, qui combine des éléments de polarisation linéaire et circulaire.
La lumière interagit avec les propriétés chimiques et magnétiques du matériau. Si le matériau réagit différemment en fonction de la polarisation de la lumière, on dit qu’il présente du dichroïsme, une caractéristique que l'on retrouve dans les matériaux magnétiques. Cette propriété permet de séparer les réponses chimiques et magnétiques du matériau en combinant deux mesures indépendantes prises avec des polarisations différentes. Il est également possible d'ajouter un analyseur de polarisation à la configuration optique pour analyser ces réponses.
Les matériaux magnétiques sont essentiels dans de nombreuses applications technologiques, notamment le stockage d'informations, l'informatique et la production d'énergie, ce qui rend leur étude et leur contrôle importants pour la société. Étant donné que les phénomènes magnétiques se produisent à l’échelle nanométrique, la visualisation de la structure magnétique avec une résolution spatiale nanométrique est clé pour comprendre leur comportement. Cette capacité est fournie par des techniques de microscopie avancées.
Les rayons X sont particulièrement adaptés à la microscopie, car ils peuvent pénétrer plusieurs micromètres de matière tout en permettant d’atteindre une résolution nanométrique. Une des techniques de microscopie est la ptychographie, dans laquelle un échantillon est scanné point par point par le faisceau X, avec des zones éclairées qui se chevauchent, tandis qu'une caméra à rayons X enregistre pour chaque position scannée les rayons X diffusés par le matériau (figure 1).

Figure 1 : La microscopie ptychographique utilise des rayons X pour éclairer un matériau point par point, chaque zone éclairée se chevauchant avec la précédente. Les rayons X transmis diffusent et sont captés par une caméra. Les données collectées sont ensuite analysées pour extraire les informations chimiques et magnétiques du matériau.
Un avantage intéressant de la ptychographie est que la redondance de l'information, due au chevauchement des zones éclairées, permet de récupérer plus de données qu'une seule image ne pourrait fournir. Cela inclut des détails tels que la forme du faisceau diffusé, ses positions pendant le balayage et, notamment, la capacité à distinguer plusieurs ondes incohérentes.
Dans cette étude, les scientifiques ont tiré parti de la redondance de l'information en ptychographie pour extraire à la fois les signaux magnétiques et chimiques en les traitant comme deux modes incohérents indépendants pour la reconstruction à partir du motif de diffraction (figure 2).

Figure 2 : Images chimique (à gauche) et magnétique (à droite) obtenues simultanément à partir d'une seule mesure de ptychographie sur une multicouche Co/Pt par analyse multimodale (zone de 1 µm2). L'image chimique (couleur grise uniforme, au bruit près) indique que la concentration de Co dans l'échantillon est uniforme. Dans l'image magnétique, les zones noires et blanches indiquent la présence de domaines magnétiques : les zones noires représentent une aimantation dirigée vers l'extérieur de l'écran, et les zones blanches une aimantation dirigée vers l'intérieur de l'écran. Dans ce motif rappelant un labyrinthe, les bandes ont une largeur d'environ 100 nm.
L'ensemble des données expérimentales sur lesquelles est basée cette nouvelle méthode a été enregistré sur la ligne de lumière HERMES, spécialisée en ptychographie à haute résolution spatiale. La reconstruction multimodale a été mise en œuvre à l'aide de la bibliothèque PyNX, qui facilite la reconstruction d'images à partir de techniques d'imagerie par diffraction cohérente, y compris la ptychographie. Pour démontrer cette nouvelle approche, des scans obtenus avec des rayons X polarisés linéairement ont été réalisés, et la validité de la méthode a été confirmée en comparant les résultats avec les contrastes typiques obtenus à partir de mesures utilisant des polarisations circulaires positives et négatives, produisant des résultats identiques.
La capacité de la ptychographie multimodale à résoudre des polarisations orthogonales dans une seule mesure, sans nécessiter un analyseur de polarisation physique, est d’un grand intérêt pour l’imagerie magnétique. Cette méthode est particulièrement prometteuse pour l’imagerie de configurations magnétiques plus complexes ou difficiles à détecter, telles que les matériaux antiferromagnétiques, et pourrait également être appliquée dans des géométries de diffusion à grand angle où le choix de la polarisation incidente ne permet pas facilement de séparer images chimique et magnétique.