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Enseignements sur l'histoire du textile et la durabilité des fibres grâce à l’étude d’un fil de lin égyptien de 4000 ans

L'Égypte ancienne a jeté les bases de la culture du lin en tant que fibre textile, notamment pour la fabrication de draps funéraires et de bandelettes de momie pour la haute société. Aujourd'hui, les fibres de lin sont utilisées dans des textiles de grande valeur, ainsi que pour renforcer des matériaux composites. Le lin est donc un pont entre les âges et les civilisations.

Dans cette étude, un fil provenant d'un linge mortuaire égyptien datant du début du Moyen Empire (2033 - 1963 avant J.-C.), a été examiné à l'aide de techniques d’analyse de pointe, telles que la nano-tomographie, la microscopie à excitation biphotonique et la microscopie à force atomique, et comparé à un fil de lin moderne. L'objectif final est de comprendre les éléments entrant en jeu dans les mécanismes de vieillissement et la durabilité des fibres de lin.

Parmi toutes les fibres végétales utilisées aujourd'hui pour les textiles, les papiers et les matériaux composites, le lin a une histoire longue et fascinante. Géographiquement, c'est dans le Croissant Fertile que l'on a trouvé les plus anciennes traces de graines ou de capsules de lin, et donc des preuves de la domestication de cette plante. Cependant, les plus belles pièces datent de l'Égypte ancienne, leur état de préservation étant le résultat d'une conservation optimale pendant des millénaires dans des sarcophages ou des tombes aux conditions d'humidité et de température remarquablement stables, ainsi qu'à l'abri des UV. 

Depuis plusieurs décennies, le développement de techniques d'analyse non destructives a donné lieu à de nombreux travaux sur la conservation des textiles anciens, dont le lin. Les techniques de spectroscopie optique, infrarouge ou vibratoire ont été largement utilisées. Ces études ont montré que ces fibres végétales anciennes se conservent bien, et ce malgré des défauts morphologiques et structuraux souvent plus prononcés que sur les fibres modernes, défauts pouvant être attribués à une éventuelle détérioration liée à la période de conservation des échantillons. Ces études se concentrent principalement sur l'imagerie et la composition biochimique des échantillons historiques. La conservation des performances mécaniques des fibres, les différences microstructurales entre les variétés anciennes et modernes, et la question de savoir si ces différences sont liées au patrimoine génétique ou à la méthode de culture ou à la fibre, n'ont pas été examinées.

Dans cette étude, les chercheurs ont évalué un fil de lin ancien provenant du début du Moyen Empire égyptien et un fil de lin moderne, en utilisant des méthodes d'imagerie avancées et non destructives pour étudier les différences (et les similitudes) dans leurs caractéristiques morphologiques, microstructurales et mécaniques. L'étude a été menée avec le soutien d'équipes complémentaires issues de différents musées et instituts de recherche français (Institut IRDL CNRS, Synchrotron SOLEIL, INRAe, FEMTO, LMGC, Musée du Louvre) et anglais (Université de Cambridge).

Figure 1 : Linge mortuaire, 2140-1976 avant notre ère, utilisé dans cette étude. L'image provient de la collection personnelle des auteurs et a été obtenue avec l'autorisation spécifique du Musée du Louvre.

Une partie des résultats a été obtenue sur ligne DISCO, en particulier grâce à son installation de microscopie bi-photonique. La microscopie à génération de seconde harmonique (SHG) est capable de fournir des informations précises et pertinentes sur l'arrangement des parois cellulaires cellulosiques telles que les fibres de lin.

Figure 2 : Mise en évidence des zones de genoux (défauts) dans les fibres. Observation par microscopie SHG mettant en évidence la désorganisation locale des macrofibrilles de cellulose dans une zone de genoux pour le lin ancien.

L’examen comparatif de la structure de fibres de lin égyptiennes vieilles de 4000 ans et de fibres de lin modernes a fourni un certain nombre d'informations sur le savoir-faire textile des Égyptiens, ainsi que sur l'évolution temporelle des fibres de lin. La finesse des fibres de lin, hautement individualisées et sans résidus obtenues par le rouissage à l'eau, ont permis aux anciens Égyptiens de fabriquer des textiles de qualité, doux et luxueux, malgré un traitement entièrement manuel. A l'échelle de la paroi cellulaire, les mesures nanomécaniques montrent une rigidité des fibres anciennes tout à fait comparable à celle des fibres modernes. Cependant, à l'échelle de la fibre, la présence plus importante de défauts structurels - des bandes de cisaillement (ou genoux) concentrant les contraintes avec une plus faible cristallinité de la cellulose - est notable sur les fibres anciennes et fragiles. Pour améliorer la durabilité à l'échelle de la fibre, il est nécessaire de produire des fibres présentant de faibles quantités de défauts, en particulier si elles doivent être utilisées comme renforts dans les futures générations de matériaux composites bio-basés.