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Du sol à la fève de cacao : quelles voies emprunte le cadmium dans les cacaoyers ?

L'accumulation dans les fèves de cacao de cadmium (Cd), un métal potentiellement toxique, est récemment devenue un sujet de recherche intense, après que l'Union européenne et le Codex Alimentarius* ont décidé d'abaisser les limites légales de cadmium dans le chocolat. À ce jour, on ne sait absolument pas comment le Cd est transporté du sol aux fèves.

L’étude décrite ici a été menée dans le but de déterminer quelles pourraient être les voies de transport du Cd dans les cacaoyers, afin de développer des stratégies permettant de réduire la teneur en cadmium dans les fèves de cacao, et donc dans notre chocolat préféré.

Le cadmium (Cd) est un métal trace potentiellement toxique qui n'a aucune fonction biologique connue chez l'homme et les plantes. Suite à de récentes réglementations, la recherche s’est mobilisée dans le monde entier pour surveiller et atténuer l'accumulation de Cd dans le cacao. À court terme, les changements agronomiques tels que les amendements du sol et les traitements post-récolte pourraient offrir des stratégies efficaces et durables pour atténuer le Cd dans le cacao. À long terme, la sélection de cultivars (variétés obtenues artificiellement, pour être cultivées) à faible teneur en cadmium offre probablement le plus grand potentiel. Cependant, la recherche en génétique et en sélection est actuellement limitée par le manque de compréhension de la façon dont le Cd s’accumule dans le fruit du cacaoyer en développement.

L'objectif de cette étude était de décrypter le transfert de Cd depuis le sol jusqu’à la fève dans un cultivar de cacao à forte accumulation de Cd, en combinant des mesures de fractionnement des isotopes stables du Cd, de spéciation, et de la localisation du Cd dans différents organes du cacaoyer. Une collaboration internationale a été mise en place.

Tout d'abord, des échantillons d'arbres ont été choisis dans l'International Cocoa Genebank, Trinidad (ICGT) avec l’aide de scientifiques du Cocoa Research Center. Ensuite, les échantillons ont été envoyés à l'Université Grenoble Alpes où des analyses ont été effectuées pour évaluer la teneur en éléments dans les organes de la plante. Avec l'aide des chercheurs de la plateforme Géochimie de l'ENS Lyon et leur expertise en fractionnement des isotopes stables, des informations ont pu être obtenues sur le cycle du Cd dans les arbres.

Sur la ligne de lumière SAMBA, l'environnement chimique du Cd a été mesuré dans différents organes des arbres par XANES (Figure 1). Associés à l'imagerie des sections transversales des branches (Figure 2, réalisée à la KU Leuven, Belgique), les résultats ont permis de comprendre les mécanismes utilisés par l'arbre pour accumuler et détoxifier le Cd.

La combinaison de ces données a permis de proposer des voies de transfert du Cd du sol à la graine dans un cultivar de cacao à forte accumulation de Cd. Les scientifiques ont ainsi élargi les connaissances jusqu’alors limitées sur l'accumulation du Cd dans les cultures pérennes et ligneuses, et révélé que la voie du Cd dans le cacao est nettement différente de celle des cultures annuelles, comme les céréales, bien étudiées, et plus proche de celle des plantes hyper-accumulatrices de Cd. Les parties ligneuses ont été identifiées comme un compartiment de stockage majeur, et les molécules contenant de l'oxygène comme ligands principaux. Des études supplémentaires qui identifient les gènes régulateurs correspondants permettront aux programmes de sélection de produire des cultivars à faible accumulation de Cd sur le long terme.

Enfin, la forme chimique du Cd dans les graines a été analysée, ce qui peut avoir des implications importantes pour les études de nutrition humaine : il est apparu que, dans les fèves, le Cd pouvait être complexé avec le phytate - le phytate (C6H18O24P6) est la principale forme de stockage du phosphore dans de nombreux tissus végétaux. En raison de sa forte affinité de liaison avec les micronutriments Ca, Fe et Zn présents dans les aliments, le phytate inhibe leur absorption par l'intestin grêle humain. Ainsi, le phytate pourrait également inhiber l'absorption gastro-intestinale du Cd, ce qui diminuerait le risque représenté par le Cd dérivé des produits du cacao dans la chaîne alimentaire. Des études supplémentaires sur cet aspect seront nécessaires.

Figure 1 :
(En haut) Spectres XANES obtenus sur les branches et les fèves de cacao sur SAMBA
(En bas, en couleur) Bibliothèque de spectres de référence utilisée pour l'ajustement par combinaison linéaire avec les spectres mesurés. Le cadmium était principalement associé aux ligands oxygène dans les branches et dans les fèves.

Figure 2 : Coupe transversale d'un rameau de cacaoyer (en haut à gauche) et distribution des éléments obtenue par couplage ablation laser – spectrométrie de masse à source plasma (LA-ICP-MS). L'écorce a été identifiée comme un compartiment majeur pour la régulation du transfert du Cd vers les fèves.

*Codex Alimentarius : recueil de normes alimentaires et textes apparentés internationalement adoptés ayant pour objet de protéger la santé des consommateurs et d'assurer des pratiques loyales dans le commerce des produits alimentaires. Il est élaboré par une Commission rassemblant des délégués de 188 pays, créée en 1962 et placée sous la tutelle de l’Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) et de l’Organisation mondiale pour la Santé (OMS).