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Du jaune au blanc et inversement : le secret des changements de couleur de l'araignée-crabe

La couleur des animaux fascine toujours autant. Si le processus de pigmentation est bien compris chez la plupart des animaux (dont les humains), celui de dépigmentation l’est beaucoup moins. En étudiant le changement de couleur des araignées, des chercheurs ont commencé à percer le secret du phénomène de dégradation des pigments.

Méconnus, les mécanismes qui permettent aux cellules de dégrader les pigments, voire de les recycler, sont nécessaires dans des contextes comme celui de la vision, lorsque les cellules pigmentées de la rétine sont confrontées à un flux important de lumière qui peut les endommager, ou bien lors des changements de couleur de quelques espèces animales. C’est le cas de certaines araignées-crabes, qui peuvent passer réversiblement du blanc au jaune en fonction de la fleur sur laquelle elles chassent ; une forme de camouflage qui pourrait les avantager dans la capture de leurs proies. 

Figure 1 : Thomise variable (Misumena vatia) jaune à l’affut sur une fleur de la même couleur. Crédit : Florent Figon/Flickr – CC BY SA.



En étudiant ces mécanismes de pigmentation et dépigmentation grâce à une combinaison de techniques d’imageries de pointe, des scientifiques de l’université de Tours, du CNRS, de l’Institut Curie, en collaboration avec les chercheurs de la ligne NANOSCOPIUM et la société CryoCapCell, ont découvert que les organites pigmentés des araignées-crabes (« usines et lieux de stockage » intracellulaires des pigments) sont similaires aux organites pigmentés des humains, des serpents ou encore des insectes, notamment car ils dérivent tous d’un même précurseur et qu’ils accumulent naturellement des métaux.

La ligne NANOSCOPIUM a joué un rôle-clé dans la détection de ces métaux à l’intérieur d’organites d’une taille inférieure au micromètre, à différents stades de pigmentation. En couplant la grande sensibilité de la technique de fluorescence des rayons X à un système multi-échelle par balayage unique mis en œuvre sur la ligne, il a été possible d’identifier du zinc, du calcium ou encore du cobalt à des échelles micro- et nanoscopiques, dans des échantillons biologiques complexes et diversement colorés.

Figure 2 :  Analyse corrélative de l’architecture de cellules pigmentées d’araignées-crabes blanches (A) et jaunes (B) avec la distribution des métaux qu’elles contiennent. Les métaux sont révélés à l’échelle intracellulaire par la technique de spectroscopie de fluorescence des rayons X (SFRX) sur NANOSCOPIUM. Résolution spatiale = 200 nm/pixel.
L’image tout à droite est obtenue par microscopie électronique à transmission-balayage (STEM) puis corrélée aux signaux des métaux enregistrés par SFRX.
Ca, calcium. Co, cobalt. Cu, cuticule. n, noyau. Os, osmium (utilisé comme contrastant pour révéler l’architecture cellulaire). Zn, zinc.

Figure 3 : Images SFRX de cellules pigmentées d’araignée-crabe, à la résolution spatiale de 50 nm par pixel.
Le signal de l’osmium, Os (image du haut), souligne l’architecture cellulaire, comme le noyau (n), la membrane plasmique, l’endocuticule (ec) et les organites pigmentés (flèches).
Les images du bas montrent que le zinc (Zn), le calcium (Ca) et le cobalt (Co) peuvent être détectés et imagés à la même résolution que l’Os dans les organites pigmentés, et cela malgré leur faible concentration.

Les résultats obtenus permettent ainsi de classer les organites pigmentés d’araignées-crabes dans la grande famille des organites apparentés aux lysosomes. Or, les lysosomes font partie des principaux acteurs de la dégradation du contenu cellulaire, indiquant que les organites pigmentés possèdent ces mêmes capacités et ont donc la faculté de dégrader leurs pigments. Cette hypothèse est confirmée par la description en 3D d’organites pigmentés dont le contenu est en cours de dégradation chez des araignées qui blanchissent.

Au-delà du cas des araignées-crabes, ces résultats indiqueraient que l’ensemble des organites pigmentés chez les animaux pourrait posséder les mêmes facultés de dégradation, donc que les mécanismes à l’œuvre dans le changement de couleur pourraient aussi fonctionner dans d’autres contextes : les araignées-crabes ouvrent de nouvelles perspectives de recherche pour mieux comprendre le cycle de vie des pigments.

Ce modèle d’étude et ces résultats sont à ce jour les plus précis sur les phénomènes de recyclage de pigments supposés exister dans l'œil humain.

Image de présentation : Thomise variable (Misumena vatia) jaune à l’affut sur une fleur de la même couleur. Crédit : Florent Figon/Flickr – CC BY SA